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ACTE III.

SCENE PREMIERE.

TITUS, ANTIOCHUS, ARSACE.

TITUS.

Quoi, Prince, vous partiez? Quelle raifon fubite

Preffe votre départ, ou plutôt votre fuite ?
Vouliez-vous me cacher jufques à vos adieux?
Eft-ce comme ennemi que vous quittez ces lieux ?
Que diront avec moi, la Cour, Rome, l'Empire?
Mais, comme votre ami, que ne puis-je vous dire ?
De quoi m'accufez-vous? Vous avois-je, fans choix,
Confondu jufqu'ici dans la foule des Rois ?

Mon cœur vous fut ouvert tant qu'a vécu mon père :
C'étoit le feul préfent que je pouvois vous faire.
Et lorfqu'avec mon cœur ma main peut s'épancher,
Vous fuyez mes bienfaits tout prêts à vous chercher :
Penfez-vous qu'oubliant ma fortune paffée,
Sur ma feule grandeur j'arrête ma pensée ;
Et que tous mes amis s'y préfentent de loin
Comme autant d'inconnus, dont je n'ai plus befoin?
Vous-même, à mes regards qui vouliez vous souftraire,
Prince, plus que jamais vous m'êtes nécessaire.

ANTIOCH US.

Moi, Seigneur ?

TITUS.

Vous.

ANTIOCHUS.

Hélas, d'un Prince malheureux,

Que pouvez-vous, Seigneur, attendre que des vœux?

TITUS.

Je n'ai pas oublié, Prince, que ma victoire
Devoit à vos exploits la moitié de fa gloire;
Que Rome vit paffer au nombre des vaincus,
Plus d'un captif chargé des fers d'Antiochus ;
Que dans le Capitole elle voit attachées
Les dépouilles des Juifs par vos mains arrachées.
Je n'attends pas de vous de ces fanglans exploits;
Et je veux feulement emprunter votre voix.
Je fais que Bérénice, à vos foins redevable,
Croit pofféder en vous un ami véritable.

Elle ne voit dans Rome, & n'écoute que vous.
Vous ne faites qu'un cœur & qu'une ame avec nous.
Au nom d'une amitié fi conftante & fi belle,
Employez le pouvoir que vous avez fur elle.
Voyez-la de ma part.

ANTIOCH US.

Moi, paroître à fes yeux!

La Reine, pour jamais, a reçu mes adieux.

TITUS.

Prince, il faut que pour moi vous lui parliez encore.

ANTIOCHUS.

Ah, parlez-lui, Seigneur! La Reine vous adore.

Pourquoi vous dérober vous-même, en ce moment,
Le plaifir de lui faire un aveu fi charmant?
Elle l'attend, Seigneur, avec impatience.
Je réponds, en partant, de fon obéiffance ;
Et même elle m'a dit que, prêt à l'époufer,
Vous ne la verrez plus que pour l'y disposer.

TITUS.

Ah, qu'un aveu fi doux auroit lieu de me plaire!
Que je ferois heureux, fi j'avois à le faire!
Mes tranfports aujourd'hui s'attendoient d'éclater;
Cependant aujourd'hui, Prince, il faut la quitter.

ANTIOCH US.

La quitter! Vous, Seigneur !

TITUS.

Telle eft ma destinée;

Pour elle & pour Titus il n'eft plus d'hyménée.
D'un espoir fi charmant je me flattois en vain.
Prince, il faut avec vous qu'elle parte demain.

ANTIOCH US.

Qu'entens-je? O Ciel!

TITUS,

Plaignez ma grandeur importune,

Maître de l'Univers, fe règle sa fortune;
Je puis faire les Rois, je puis les déposer,
Cependant de mon cœur je ne puis difpofer.
Rome, contre les Rois de tout tems foulevée,
Dédaigne une Beauté dans la pourpre élevée.
L'éclat du diadême, & cent Rois pour ayeux,
Déshonorent ma flamme, & blessent tous les yeux.

Mon cœur, libre d'ailleurs, fans craindre les murmures,
Peut brûler à fon choix dans des flammes obfcures;
Et Rome, avec plaifir, recevroit de ma main
La moins digne Beauté qu'elle cache en son sein.
Jules céda lui-même au torrent qui m'entraîne.
Si le peuple demain ne voit partir la Reine,
Demain elle entendra ce peuple furieux
Me venir demander fon départ à fes yeux.
Sauvons de cet affront mon noin & fa mémoire;
Et puifqu'il faut céder, cédons à notre gloire.
Ma bouche & mes regards, muets depuis huit jours,
L'auront pû préparer à ce triste discours.

Et même, en ce moment, inquiette, empreffée,
Elle veut qu'à fes yeux j'explique ma pensée.
D'un amant interdit foulagez le tourment.
Epargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble & mon filence:
Sur-tout, qu'elle me laiffe éviter fa présence.
Soyez le feul témoin de fes pleurs & des miens.
Portez-lui mes adieux, & recevez les fiens.
Fuyons tous deux, fuyons un fpectacle funefte,
Qui de notre constance accableroit le refte.
Si l'espoir de régner & de vivre en mon cœur,
Peut de fon infortune adoucir la rigueur,
Ah, Prince, jurez-lui que, toujours trop fidelle,
Gémiffant dans ma Cour, & plus exilé qu'elle,
Portant jufqu'au tombeau le nom de son amant,
Mon règne ne fera qu'un long banniffement,

Si le Ciel, non content de me l'avoir ravie,
Veut encor m'affliger par une longue vie.
Vous, que l'amitié feule attache sur ses pas,
Prince, dans fon malheur, ne l'abandonnez pas.
Que l'Orient vous voie arriver à sa suite;
Que ce foit un triomphe, & non pas une fuite.
Qu'une amitié fi belle ait d'éternels liens ;

Que mon nom foit toujours dans tous vos entretiens,
Pour rendre vos Etats plus voifins l'un de l'autre,
L'Euphrate bornera fon Empire & le vôtre.
Je fais que le Sénat, tout plein de votre nom,
D'une commune voix confirmera ce don.
Je joins la Cilicie à votre Comagène.

Adieu. Ne quittez point ma Princeffe, ma Reine,
Tout ce qui de mon cœur fut l'unique defir,
Tout ce que j'aimerai jusqu'au dernier foupir.

SCENE I I.

ANTIOCH US, ARSACE

AINSI

ARSAC E.

INSI le Ciel s'apprête à vous rendre justice, Vous partirez, Seigneur, mais avec Bérénice, Loin de vous la ravir, on va vous la livrer,

ANTIOCH US.

Arface, laiffe-moi le tems de refpirer,

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