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Ah, Dieux! Lorsqu'à mes vœux l'ingrat inexorable
S'armoit d'un œil fi fier, d'un front fi redoutable,
Je penfois qu'à l'amour fon cœur toujours fermé,
Fût contre tout mon fexe également armé.
Une autre cependant a fléchi son audace;
Devant fes
yeux cruels une autre a trouvé
Peut-être a-t-il un cœur facile à s'attendrir.
Je fuis le feul objet qu'il ne fauroit souffrir.
Et je me chargerois du foin de le défendre!

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grace.

PHÉDRE, ENO N E.

PHÉDR E.

CHÈRE Enone, fais-tu ce que je viens d'apprendre?

NON E.

Non. Mais je viens tremblante, à ne vous point mentir.
J'ai pâli du deffein qui vous a fait fortir.
J'ai craint une fureur à vous-même fatale.

PHÉDRE.

Enone, qui l'eût cru? J'avois une rivale.

Comment!

NON E.

PHEDRE..

Hippolyte aime, & je n'en puis douter. Ce farouche ennemi qu'on ne pouvoit dompter, Qu'offenfoit le refpect, qu'importunoit la plainte, Ce tigre, que jamais je n'abordai fans crainte,

Soumis, apprivoifé, reconnoît un vainqueur.
Aricie a trouvé le chemin de fon cœur.

Aricie?

ΕΝΟΝ Ε.

PHÉDRE.

Ah, douleur non encore éprouvée!

A quel nouveau tourment je me fuis réservée !
Tout ce que j'ai fouffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'infupportable injure,

N'étoit qu'un foible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?
Comment fe font-ils vûs?Depuis quand? Dans quels lieux?
Tu le favois. Pourquoi me laifois-tu féduire ?
De leur furtive ardeur ne pouvois-tu m'inftruire?
Les a-t-on vûs fouvent fe parler, fe chercher ?
Dans le fond des forêts alloient-ils fe cacher?
Hélas, ils fe voyoient avec pleine licence!

Le Ciel de leurs foupirs approuvoit l'innocence.
Ils fuivoient, fans remords, leur penchant amoureux,
Tous les jours fe levoient clairs & fereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachois au jour, je fuyois la lumière;
La mort est le feul Dieu que j'ofois implorer..
J'attendois le moment où j'allois expirer,
Me nourriffant de fiel, de larmes abreuvée.
Encor dans mon malheur de trop près observée,

Je n'ofois dans mes pleurs me noyer à loifir.
Je goûtois, en tremblant, ce funeste plaifir;
Et, fous un front ferein déguisant mes allarmes,
Il falloit bien fouvent me priver de mes larmes.

EN ONE.

Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours?
Ils ne fe verront plus.

PHÉDRE.

Ils s'aimeront toujours.

Au moment que je parle, ah, mortelle pensée!
Ils bravent la fureur d'une amante infenfée.
Malgré ce même exil qui va les écarter,

Ils font mille fermens de ne fe point quitter.
Non, je ne puis fouffrir un bonheur qui m'outrage,
Enone. Prends pitié de ma jalouse rage.

Il faut perdre Aricie. Il faut, de mon époux,
Contre un fang odieux réveiller le courroux.
Qu'il ne fe borne pas à des peines légères ;
Le crime de la fœur paffe celui des frères.
Dans mes jaloux tranfports je le veux implorer.
Que fais-je ? Où ma raison se va-t-elle égarer?
Moi jalouse? Et Théfée eft celui que j'implore!
Mon époux eft vivant, & moi je brûle encore !
Pour qui ? Quel eft le cœur où prétendent mes vœux ?
Chaque mot, fur mon front fait dreffer mes cheveux.
Mes crimes déformais ont comblé la mefure:

Je refpire à la fois l'incefte & l'imposture.

Mes

Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le fang innocent brûlent de fe plonger.
Misérable! Et je vis! Et je soutiens la vue
De ce facré foleil dont je fuis defcendue ?
J'ai pour ayeul le père & le maître des Dieux.
Le Ciel, tout l'Univers eft plein de mes ayeux.
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? Mon père y tient l'urne fatale.
Le fort, dit-on, l'a mise en fes févères mains.
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah, combien frémira fon ombre épouvantée,
Lorfqu'il verra fa fille, à fes yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux Enfers!
Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un fupplice nouveau,
Toi-même de ton fang devenir le bourreau.
Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille.
Reconnois fa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas, du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon trifle cœur n'a recueilli le fruit!
Jufqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourmens une pénible vie.

ΕΝΟΝ Ε.

Hé, repouffez, Madame, une injufte terreur. Regardez d'un autre œil une excufable erreur.

Tome II.

T

Vous aimez. On ne peut vaincre fa destinée.
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
Eft-ce donc un prodige inoui parmi nous ?
L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous?
La foibleffe aux humains n'eft que trop naturelle.
Mortelle, fubiffez le fort d'une Mortelle.

Vous vous plaignez d'un joug impofé dès long-tems.
Les Dieux mêmes, les Dieux de l'Olympe habitans,
Qui d'un bruit fi terrible épouvantent les crimes,
Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes.

PHÉDRE.

Qu'entends-je ? Quels confeils ofe-t-on me donner?
Ainfi donc jufqu'au bout tu veux m'empoisonner,
Malheureufe! Voilà comme tu m'as perdue.
Au jour que je fuyois, c'est toi qui m'as rendue.
Tes prières m'ont fait oublier mon devoir.
J'évitois Hippolyte, & tu me l'as fait voir.

De quoi te chargeois-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle, en l'accufant, ofé noircir fa vie?
Il en mourra peut-être, & d'un père insensé
Le facrilège vœu peut-être eft exaucé.

Je ne t'écoute plus. Va-t-en, monftre exécrable.
Va, laiffe-moi le foin de mon fort déplorable.
Puiffe le jufte Ciel dignement te payer;
Et puiffe ton fupplice à jamais effrayer

Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adresses,
Des Princes malheureux nourriffent les foibleffes,

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