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Déja de fes vaiffeaux la pointe étoit tournée,
Et la voile flottoit aux vents abandonnée.
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,
none. Fais briller la couronne à fes yeux.
Qu'il mette fur fon front le facré diadême:
Je ne veux que l'honneur de l'attacher moi-même,
Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
Il inftruira mon fils dans l'art de commander.
Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père ;
Je mets fous fon pouvoir & le fils & la mère.
Pour le fléchir enfin tente tous les moyens.
Tes difcours trouveront plus d'accès que les miens,
Preffe, pleure, gémis, peins-lui Phédre mourante,
Ne rougis point de prendre une voix fuppliante,
Je t'avouerai de tout, je n'efpère qu'en toi,
Va, j'attends ton retour pour difpofer de moi.

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Toi, qui vois la honte où je fuis defcendue,
Implacable Vénus, fuis-je affez confondue ?
Tu ne faurois plus loin pouffer ta cruauté.
Ton triomphe eft parfait, tous tes traits ont porté.
Cruelle, fi tu yeux une gloire nouvelle,

Attaque un ennemi qui te foit plus rébelle.
Hippolyte te fuit; &, bravant ton courroux,
Jamais à tes Autels n'a fléchi les genoux,

Ten nom femble offenfer fes fuperbes oreilles,
Déeffe, venge-toi, nos caufes font pareilles.
Qu'il aime. Mais déja tu reviens fur tes pas,
Enone? On me détefte, on ne t'écoute pas.

SCENE

I I I.

PHÉDRE,

NON E.

EN ON E.

Il faut d'un vain amour étouffer la pensée,

Madame. Rappellez votre vertu passée.

Le Roi, qu'on a cru mort, va paroître à vos yeux.
Théfée eft arrivé, Thésée est en ces lieux.

Le Peuple, pour le voir, court & fe précipite.
Je fortois par votre ordre, & cherchois Hippolyte,
Lorfque, jufques au Ciel, mille cris élancés...

PHÉDRE.

Mon époux eft vivant, Enone, c'est affez.
J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage;
Il vit. Je ne veux pas en favoir davantage.

Quoi?

NONE.

PHEDRE.

Je te l'ai prédit, mais tu n'as pas voulu;
Sur mes juftes remords tes pleurs ont prévalu.
Je mourois ce matin digne d'être pleurée;
J'ai fuivi tes confeils, je meurs déshonorée.

Vous mourez!

Ε Ν Ο Ν Ε.

PHÉDRE.

Jufte Ciel! qu'ai-je fait aujourd'hui ?
Mon époux va paroître, & fon fils avec lui.
Je verrai le témoin de ma flamme adultère,
Obferver de quel front j'ofe aborder fon père,
Le cœur gros de foupirs qu'il n'a point écoutés,
L'œil humide de pleurs par l'ingrat rebutés.
Penfes-tu que, fenfible à l'honneur de Théfée,
Il lui cache l'ardeur dont je fuis embrasée ?
Laiffera-t-il trahir & fon père & fon Roi?
Pourra-t-il contenir l'horreur qu'il a pour moi ?
Il fe tairoit en vain. Je fais mes perfidies,
Enone, & ne fuis point de ces femmes hardies,
Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont fû fe faire un front qui ne rougit jamais.
Je connois mes fureurs, je les rappelle toutes.
Il me femble déja que ces murs, que ces voûtes
Vont prendre la parole; &, prêts à m'accufer,
Attendent mon époux pour le désabuser.

Mourons. De tant d'horreurs qu'un trépas me délivre,
Eft-ce un malheur fi grand que de ceffer de vivre!
La mort aux malheureux ne cause point d'effroi.
Je ne crains que le nom que je laisse après moi.
Pour mes triftes enfans quel affreux héritage!
Le fang de Jupiter doit enfler leur courage.

Mais, quelque jufte orgueil qu'inspire un fang fi beau,
Le crime d'une mère eft un pefant fardeau.
Je tremble qu'un discours, hélas, trop véritable,
Un jour ne leur reproche une mère coupable!
Je tremble, qu'opprimés de ce poids odieux,
L'un ni l'autre jamais n'ofe lever les yeux.

E NONE.

Il n'en faut point douter, je les plains l'un & l'autre.
Jamais crainte ne fut plus jufte que la vôtre.
Mais à de tels affronts pourquoi les expofer?
Pourquoi contre vous-même allez-vous dépofer?
C'en eft fait. On dira que Phédre, trop coupable,
De fon époux trahi fuit l'aspect redoutable.
Hippolyte eft heureux qu'aux dépens de vos jours,
Vous-même, en expirant, appuyiez fes difcours;
A votre accufateur que pourrai-je répondre?
Je ferai devant lui trop facile à confondre.
De fon triomphe affreux je le verrai jouir,
Et conter votre honte à qui voudra l'ouïr.
Ah, que plutôt du Ciel la flamme me dévore!
Mais ne me trompez point, vous eft-il cher encore?
De quel œil voyez-vous ce Prince audacieux ?

PHEDRE.

Je le vois comme un monftre effroyable à mes yeux.

Ε Ν Ο Ν Ε.

Pourquoi donc lui céder une victoire entière ?
Vous le craignez. Ofez l'accufer la première

Du crime dont il peut vous charger aujourd'hui.
Qui vous démentira? Tout parle contre lui.
Son épée en vos mains heureufement laiffée,
Votre trouble préfent, votre douleur paffée,
Son père par vos cris dès long-tems prévenu,
Et déja fon exil par vous-même obtenu.

PHÉDRE.

Moi, que j'ofe, opprimer & noircir l'innocence!

NONE.

Mon zèle n'a befoin que de votre filence.

Tremblante, comme vous j'en fens quelques remords,
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais, puisque je vous perds fans ce triste remède,
Votre vie eft pour moi d'un prix à qui tout cède.
Je parlerai. Théfée aigri par mes avis,
Bornera fa vengeance à l'exil de fon fils.

Un père, en punissant, Madame, eft toujours père,
Un fupplice léger fuffit à fa colère.

Mais le fang innocent dût-il être verfé,

Que ne demande point votre honneur menacé ?
C'est un tréfor trop cher pour ofer le commettre.

Quelque loi qu'il vous dicte, il faut vous y foumettre,
Madame; &, pour fauver notre honneur combattu,
Il faut immoler tout, & même la vertu.

On vient; je vois Thésée.

PHÉDR E.

Ah, je vois Hippolyte;

Dans fes yeux infolens je vois ma perte écrite.

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