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Voilà l'ambition d'un cœur comme le mien.
Voyez-moi plus fouvent, & ne me donnez rien.
Tous vos momens font-ils dévoués à l'Empire ?
Ce cœur, après huit jours, n'a-t-il rien à me dire ?
Qu'un mot va raffurer mes timides efprits!

Mais parliez-vous de moi, quand je vous ai furpris
Dans vos fecrets difcours étois-je intéreffée,
Seigneur? Etois-je, au moins, présente à la pensée ?

TITUS.

N'en doutez point, Madame; & j'attefte les Dieux
Que toujours Bérénice eft présente à mes yeux.
L'abfence, ni le tems, je vous le jure encore,
Ne vous peuvent ravir ce cœur qui vous adore.

BÉRÉNICE.

Hé quoi, vous me jurez une éternelle ardeur,
Et vous me la jurez avec cette froideur !
Pourquoi même du Ciel attefter la puissance ?
Faut-il par des fermens vaincre ma défiance?

Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,
Et je vous en croirai fur un fimple soupir.

Madame...

TITUS.

BÉRÉNICE.

Hé bien, Seigneur? Mais quoi,fans me répondre, Vous détournez les yeux, & femblez vous confondre ? Ne m'offrirez-vousplus qu'un vifage interdit? Toujours la mort d'un père occupe votre efprit :

Rien ne peut-il charmer l'ennui qui vous dévore?

TITUS

Plût aux Dieux que mon père, hélas, vécût encore !
Que je vivrois heureux !

BÉRÉNICE.

Seigneur, tous ces regrets

De votre piété font de juftes effets.

Mais vos pleurs ont assez honoré fa mémoire.
Vous devez d'autres foins à Rome, à votre gloire.
De mon propre intérêt je n'ose vous parler.
Bérénice autrefois pouvoit vous confoler.
Avec plus de plaifir vous m'avez écoutée.
De combien de malheurs, pour vous perfécutée,
Vous ai-je, pour un mot, facrifié mes pleurs?
Vous regrettez un père. Hélas, foibles douleurs !
Et moi (ce fouvenir me fait frémir encore)
On vouloit m'arracher de tout ce que j'adore;
Moi, dont vous connoiffez le trouble & le tourment,
Quand vous ne me quittez que pour quelque moment:
Moi, qui mourrois le jour qu'on voudroit m'interdire
De vous...

TITUS.

Madame, hélas ! que me venez-vous dire ? Quel tems choififfez-vous? Ah, de grace, arrêtez! C'est trop, pour un ingrat, prodiguer vos bontés.

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Pour un ingrat, Seigneur? Et le pouvez-vous être ?
Ainfi donc mes bontés vous fatiguent peut-être ?

TITUS.

Non, Madame. Jamais, puifqu'il faut vous parler,
Mon cœur de plus de feux ne se sentit brûler.

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Sortons, Paulin, je ne lui puis rien dire.

SCENE V.
BÉRÉNICE, PHÉNICE.

QUOI,

BÉRÉNICE.

UOI, me quitter fi-tôt, & ne me dire rien ! Chère Phénice, hélas, quel funefte entretien ! Qu'ai-je fait ? Que veut-il ? Et que dit ce filence ?

P HÉNIСЕ.

Comme vous, je me perds d'autant plus que j'y pense,

Mais ne s'offre-t-il rien à votre fouvenir,

Qui, contre vous, Madame, ait pû le prévenir ?

Voyez, examinez.

BÉRÉNICE.

Hélas, tu peux m'en croire !

Plus je veux du paffé rappeller la mémoire,
Du jour que je le vis jufqu'à ce trifte jour,

Plus je vois qu'on me peut reprocher trop d'amour.
Mais tu nous entendois. Il ne faut rien me taire ;
Parle. N'ai-je rien dit qui lui puiffe déplaire?
Que fais-je ? J'ai peut-être, avec trop de chaleur,
Rabaiffé fes préfens, ou blâmé fa douleur.
N'eft-ce point que de Rome il redoute la haine?
Il craint peut-être, il craint d'époufer une Reine.
Hélas, s'il étoit vrai!... Mais non, il a, cent fois,
Raffuré mon amour contre leurs dures loix.
Cent fois... Ah, qu'il m'explique un filence fi rude!
Je ne refpire pas dans cette incertitude.

Moi, je vivrois, Phénice, & je pourrois penser
Qu'il me néglige, on bien que j'ai pû l'offenfer?
Retournons fur fes pas. Mais, quand je m'examine,
Je crois de ce défordre entrevoir l'origine,
Phénice; il aura fù tout ce qui s'eft paffé:
L'amour d'Antiochus l'a peut-être offensé.
Il attend, m'a-t-on dit, le Roi de Comagène.
Ne cherchons point ailleurs le fujet de ma peine.
Sans doute ce chagrin, qui vient de m'allarmer,
N'eft qu'un léger soupçon facile à défarmer.

Je ne te vante point cette foible victoire,
Titus. Ah, plût an Ciel, que, fans blesser ta gloire
Un rival plus puiffant voulût tenter ma foi,

Et pût mettre à mes pieds plus d'empires que toi ;
Que de fceptres fans nombre il pût payer ma flamme;
Que ton amour n'eût rien à donner que'ton ame !
C'eft alors, cher Titus, qu'aimé, victorieux,
Tu verrois de quel prix ton cœur eft à mes yeux.
Allons, Phénice, un mot pourra le fatisfaire.
Raffurons-nous, mon cœur, je puis encor lui plaire.
Je me comptois trop tôt au rang

des malheureux :

Si Titus eft jaloux, Titus eft amoureux.

Fin du fecond Acte.

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