SCENE VI.
HIPPOLYTE, THÉRAMENE.
EST-CE Phédre qui fuit, ou plutôt qu'on entraîne?
Pourquoi, Seigneur, pourquoi ces marques de douleur ? Je vous vois fans épée, interdit, fans couleur,
Théramène, fuyons. Ma furprise eft extrême. Je ne puis fans horreur me regarder moi-même. Phédre... Mais non, grands Dieux, qu'en un profond oubli Cet horrible fecret demeure enfeveli!
Si vous voulez partir, la voile eft préparée; Mais Athènes, Seigneur, s'eft déja déclarée. Ses chefs ont pris les voix de toutes les tribus; Votre frère l'emporte, & Phédre a le deffus.
Un héraut chargé des volontés d'Athènes, De l'Etat en fes mains vient remettre les rênes. Son fils eft Roi, Seigneur.
HIPPOLYTE.
Dieux, qui la connoiffez!
Eft-ce donc fa vertu que vous récompensez?
Cependant un bruit fourd veut que le Roi refpire. On prétend que Théfée a paru dans l'Epire;
Mais moi, qui l'y cherchai, Seigneur, je fais trop bien...
N'importe, écoutons tout, & ne négligeons rien. Examinons ce bruit, remontons à sa source. S'il ne mérite pas d'interrompre ma course, Partons, &, quelque prix qu'il en puiffe coûter. Mettons le fceptre aux mains dignes de le porter.
ACTE I I I.
SCENE PREMIERE.
PHÉDRE, Œ NON E.
AH,que l'on porte ailleurs les honneurs qu'on m'envoie!
Importune, peux-tu fouhaiter qu'on me voie? De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé ? Cache-moi bien plutôt ; je n'ai que trop parlé. Mes fureurs au-dehors ont ofé fe répandre: J'ai dit ce que jamais on ne devoit entendre. Ciel, comme il m'écoutoit! Par combien de détours L'infenfible a long-tems éludé mes difcours! Comme il ne refpiroit qu'une retraite prompte! Et combien fa rougeur a redoublé ma honte! Pourquoi détournois-tu mon funeste dessein ? Hélas, quand fon épée alloit chercher mon fein, A-t-il pâli pour moi! Me l'a-t-il arrachée! Il fuffit que ma main l'ait une fois touchée; Je l'ai rendue horrible à fes yeux inhumains, Et ce fer malheureux profaneroit ses mains.
Ainfi, dans vos malheurs ne fongeant qu'à vous plaindre, Vous nourriffez un feu qu'il vous faudroit éteindre.
Ne vaudroit-il pas mieux, digne fang de Minos, Dans de plus nobles foins chercher votre repos ? Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite? Régner, & de l'Etat embraffer la conduite? PHEDRE.
Moi, régner! Moi, ranger un Etat fous ma loi, Quand ma foible raison ne règne plus fur moi! Lorsque j'ai de mes fens abandonné l'empire! Quand fous un joug honteux à peine je refpire! Quand je me meurs !
Vous l'ofâtes bannir, vous n'ofez l'éviter.
Il n'eft plus tems. Il fait mes ardeurs insensées. De l'auftère pudeur les bornes font passées.
J'ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur; Et l'efpoir, malgré moi, s'eft gliffé dans mon cœur. Toi-même, rappellant ma force défaillante, Et mon ame déja fur mes lèvres errante, Par tes confeils flatteurs tu m'as fû ranimer, Tu m'as fait entrevoir que je pouvois l'aimer.
Hélas! de vos malheurs innocente ou coupable, De quoi, pour vous fauver n'étois-je point capable?
Mais fi jamais l'offenfe irrita vos efprits, Pouvez-vous d'un fuperbe oublier les mépris ? Avec quels yeux cruels fa rigueur obstinée Vous laiffoit à fes pieds, peut s'en faut, profternée! Que fon farouche orgueil le rendoit odieux ! Que Phédre, en ce moment n'avoit-elle mes yeux ? PHÉDRE.
Enone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse, Nourri dans les forêts, il en a la rudeffe. Hippolyte, endurci par de fauvages loix, Entend parler d'amour pour la première fois. Peut-être fa furprise a caufé fon filence;
Et nos plaintes, peut-être, ont trop de violence.
Songez qu'une barbare en fon fein l'a formé.
Quoique Scyte & barbare, elle a pourtant aimé.
Il a pour tout le sexe une haine fatale.
Je ne me verrai point préférer de rivale. Enfin, tous tes conseils ne font plus de saison : Sers ma fureur, Enone, & non point ma raison. Il oppose à l'amour un cœur inacceffible;
Cherchons, pour l'attaquer, quelque endroit plus fenfible. Les charmes d'un Empire ont paru le toucher, Athènes l'attiroit, il n'a pû s'en cacher ;
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