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A votre inimitié j'ai pris foin de m'offrir.
Aux bords que j'habitois je n'ai pû vous souffrir.
En public, en fecret, contre vous déclarée,

J'ai voulu par des mers en être séparée.
J'ai même défendu, par une expresse loi,
Qu'on ofât prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant à l'offense on mefure la peine;
Si la haine peut feule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
Et moins digne, Seigneur, de votre inimitié.

HIPPOLYTE.

Des droits de fes enfans une mère jalouse,
Pardonne rarement aux fils d'une autre épouse,
Madame, je le fais. Les foupçons importuns
Sont d'un second hymen les fruits les plus communs.
Tout autre auroit pour moi pris les mêmes ombrages,
Et j'en aurois peut-être effuyé plus d'outrages.

PHÉDRE.

Ah, Seigneur, que le Ciel, j'ofe ici l'attefter,
De cette loi commune a voulu m'excepter!
Qu'un foin bien différent me trouble & me dévore!

HIPPOLYTE.

Madame, il n'eft pas tems de vous troubler encore.
Peut-être votre époux voit encore le jour.

Le Ciel peut à nos pleurs accorder fon retour.
Neptune le protège, & ce Dieu tutélaire
Ne fera pas en vain imploré par mon père.

PHÉDRE.

On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur. Puifque Théfée a vu les fombres bords,
En vain vous espérez qu'un Dieu vous le renvoie,
Et l'avare Achéron ne lâche point fa proie.

Que dis-je ? Il n'eft point mort, puisqu'il refpire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle, & mon cœur... Je m'égare,
Seigneur; ma folle ardeur, malgré moi, fe déclare.

HIPPOLYTE.

Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il eft, Thésée eft présent à vos yeux,
Toujours de fon amour votre ame eft embrasée.

PHEDRE.

Oui, Prince, je languis, je brûle pour Théfée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les Enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche;
Mais fidèle, mais fier, & même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après foi,
Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous voi.
Il avoit votre port, vos yeux, votre langage;
Cette noble pudeur coloroit fon vifage,
Lorfque de notre Crète il traverfa les flots,
Digne fujet des vœux des filles de Minos.
Que faifiez-vous alors? Pourquoi, fans Hippolyte,
Des Héros de la Grèce affembla-t-il l'élite?

Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors

Entrer dans le vaisseau qui le mit fur nos bords?
Par vous auroit péri le monftre de la Crète,
Malgré tous les détours de fa vafte retraite.
Pour en développer l'embarras incertain,
Ma foeur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non, dans ce deffein je l'aurois devancée.
L'amour m'en eût d'abord infpiré la penfée.
C'eft moi, Prince, c'eft moi, dont l'utile secours
Vous eût du labyrinthe enfeigné les détours.
Que de foins m'eût coûté cette tête charmante !
Un fil n'eût point affez rassuré votre amante.
Compagne du péril qu'il vous falloit chercher,
Moi-même devant vous j'aurois voulu marcher;
Et Phédre au labyrinthe avec vous defcendue,
Se feroit avec vous retrouvée ou perdue.

HIPPOLYTE.

Dieux, qu'est-ce que j'entends? Madame, oubliez-vous
Que Théfée eft mon père, & qu'il eft votre époux ?
PH, É DR E.

Et fur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire,
Prince? Aurois-je perdu tout le foin de ma gloire?

HIPPOLYT E.

Madame, pardonnez. J'avoue, en rougiffant,
Que j'accufois à tort un difcours innocent.
Ma honte ne peut plus foutenir votre vue;
Et je vais...

PHÉDRE.

Ah, cruel, tu m'as trop entendue!

Je t'en ai dit affez pour te tirer d'erreur.

Hé bien, connois donc Phédre & toute fa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même ;
Ni
que du fol amour qui trouble ma raison,

Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me déteftes.
Les Dieux m'en font témoins; ces Dieux qui,dans mon flanc,
Ont allumé le feu fatal à tout mon fang;

Ces Dieux qui fe font fait une gloire cruelle
De féduire le cœur d'une foible Mortelle.
Toi-même en ton efprit rappelle le` passé.
C'eft peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chaffé.
J'ai voulu te paroître odieuse, inhumaine.
Pour mieux te réfifter, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles foins?

Tu me haïffois plus, je ne t'aimois pas moins.
Tes malheurs te prêtoient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai féché dans les feux, dans les larmes.
Il fuffit de tes yeux pour t'en perfuader,
Si tes yeux, un moment, pouvoient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu fi honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'ofois trahir,
Je te venois prier de ne le poirt haïr.

Foibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime !
Hélas, je ne t'ai pû parler que de toi-même !

Venges-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du Héros qui t'a donné le jour,
Délivre l'Univers d'un monftre qui t'irrite.
La veuve de Théfée ofe aimer Hippolyte!
Crois-moi, ce monftre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon cœur. C'est-là que ta main doit frapper.
Impatient déja d'expier son offense,

Au-devant de ton bras je le fens qui s'avance.
Frappe. Ou fi tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un fupplice fi doux,
Ou fi d'un fang trop vil ta main feroit trempée,
Au défaut de ton bras, prête-moi ton épée.
Donne,

NON E.

Que faites-vous, Madame? Juftes Dieux!
Mais on vient. Evitez des témoins odieux.
Venez, rentrez, fuyez une honte certaine.

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