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On dit même, & ce bruit eft par-tout répandu,
Qu'avec Pirithoüs aux Enfers defcendu,
Il a vu le Cocyte & les rivages fombres,
Et s'eft montré vivant aux infernales ombres;
Mais qu'il n'a pû fortir de ce trifte féjour,
Et repaffer les bords qu'on paffe fans retour.

ARICIE.

Croirai-je qu'un Mortel, avant fa dernière heure,
Peut pénétrer des morts la profonde demeure ?
Quel charme l'attiroit fur ces bords redoutés ?

IS MEN E.

Théfée eft mort, Madame, & vous feule en doutez.
Athènes en gémit, Trézène en eft inftruite,

Et déja pour fon Roi reconnoît Hippolyte.
Phédre, dans ce Palais tremblante pour fon fils,
De fes amis troublés demande les avis.

ARICIE.

Et tu crois que, pour moi, plus humain que son père,
Hippolyte rendra ma chaîne plus légère?
Qu'il plaindra mes malheurs?

IS MENE.

Madame, je le croi.

ARICIE.

L'infenfible Hyppolyte eft-il connu de toi?

Sur quel frivole efpoir penses-tu qu'il me plaigne, Et refpecte en moi feule un fexe qu'il dédaigne ? Tu vois depuis quel tems il évite nos pas,

Et cherche tous les lieux où nous ne fommes pas

IS MEN E.

Je fais de fes froideurs tout ce que l'on récite.
Mais j'ai vu près de vous ce fuperbe Hippolyte;
Et même, en le voyant, le bruit de fa fierté
A redoublé pour lui ma curiofité.

Sa présence, à ce bruit, n'a point paru répondre.
Dès vos premiers regards je l'ai vu fe confondre.
Ses yeux, qui vainement vouloient vous éviter,
Déja pleins de langueur ne pouvoient vous quitter.
Le nom d'amant, peut-être, offense fon courage,
Mais il en a les yeux, s'il n'en a le langage.

ARICIE.

Que mon cœur, chère Ifmène, écoute avidement
Un difcours qui, peut-être, a peu de fondement !
O toi, qui me connois, te fembloit-il croyable,
Que le trifte jouet d'un fort impitoyable,

Un cœur toujours nourri d'amertume & de pleurs,
Dût connoître l'amour & fes folles douleurs?
Refte du fang d'un Roi, noble fils de la Terre,
Je fuis feule échappée aux fureurs de la guerre.
J'ai perdu dans la fleur de leur jeune saison,
Six frères : quel efpoir d'une illuftre maison !
Le fer moiffonna tout ; & la terre humectée
But, à regret, le fang des neveux d'Erectée.
Tu fais, depuis leur mort, quelle févère loi
Défend à tous les Grecs de foupirer pour moi.
On craint que de la fœur les flammes téméraires
Ne raniment un jour la cendre de fes frères.

Mais tu fais bien auffi de quel œil dédaigneux
Je regardois ce foin d'un vainqueur foupçonneux.
Tu fais que
de tout tems à l'amour oppofée,
Je rendois fouvent grace à l'injufte Thésée,
Dont l'heureuse rigueur fecondoit mes mépris.
Mes yeux alors, mes yeux n'avoient pas vu fon fils.
Non que, par les yeux feuls lâchement enchantée,
J'aime en lui fa beauté, fa grace tant vantée,
Préfens dont la nature a voulu l'honorer,

Qu'il méprife lui-même, & qu'il femble ignorer.
J'aime, je prife en lui de plus nobles richesses,
Les vertus de fon père, & non point les foibleffes.
J'aime, je l'avouerai, cet orgueil généreux
Qui jamais n'a fléchi fous le joug amoureux.
Phédre en vain s'honoroit des foupirs de Théfée.
Pour moi, je fuis plus fière, & fuis la gloire aisée
D'arracher un hommage à mille autres offert,
Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une ame infenfible,
D'enchaîner un captif de fes fers étonné,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné ;
C'eft-là ce que je veux, c'est-là ce qui m'irrite.
Hercule à défarmer coûtoit moins qu'Hippolyte;
Et vaincu plus fouvent, & plutôt furmonté,
Préparoit moins de gloire aux yeux qui l'ont dompté.
Mais, chère Ifmène, hélas, quelle eft mon imprudence!
On ne m'opposera que trop de réfistance.

Tu m'entendras peut-être, humble dans mon ensui, Gémir du même orgueil que j'admire aujourd'hui. Hippolyte aimeroit! Par quel bonheur extrême Aurois-je pû fléchir...

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Mon père ne vit plus. Ma jufte défiance
Présageoit les raisons de fa trop longue absence.
La mort feule, bornant ses travaux éclatans,
Pouvoit à l'Univers le cacher fi long-tems.
Les Dieux livrent enfin à la Parque homicide,
L'ami, le compagnon, le fucceffeur d'Alcide.
Je crois que votre haine, épargnant fes vertus,
Ecoute, fans regret, ces noms qui lui font dûs.
Un espoir adoucit ma trifteffe mortelle.
Je puis vous affranchir d'une auftère tutelle.
Je révoque des loix dont j'ai plaint la rigueur.
Vous pouvez difpofer de vous, de votre cœur.;

Et dans cette Trézène, aujourd'hui mon partage,
De mon ayeul Pitthée autrefois l'héritage,

Qui m'a, fans balancer, reconnu pour fon Roi,
Je vous laiffe auffi libre, & plus libre

ARICIE.

que moi.

Modérez des bontés dont l'excès m'embarrasse.
D'un foin fi généreux honorer ma disgrace,
Seigneur, c'eft me ranger, plus que vous ne penfez,
Sous ces auftères loix dont vous me dispensez.

HIPPOLYT E.

Du choix d'un fucceffeur Athènes incertaine,
Parle de vous, me nomme, & le fils de la Reine.

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HIPPOLYTE.

Je fais, fans vouloir me flatter,

Qu'une fuperbe loi semble me rejetter.

La Grèce me reproche une mère étrangère.

Mais, fi pour concurrent je n'avois que mon frère, Madame, j'ai fur lui de véritables droits

Que je faurois fauver du caprice des loix.

Un frein plus légitime arrête mon audace.

Je vous cède, ou plutôt je vous rends une place,
Un fceptre que jadis vos ayeux ont reçu
De ce fameux Mortel que la terre a conçu.
L'adoption le mit entre les mains d'Egée,
Athènes, par mon père accrue & protégée,

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