Page images
PDF
EPUB

Même aux pieds des Autels que je faifois fumer,
J'offrois tout à ce Dieu que je n'ofois nommer.
Je l'évitois par-tout. O comble de mifère !
Mes yeux le retrouvoient dans les traits de fon père.
Contre moi-même enfin j'ofai me révolter.
J'excitai mon courage à le perfécuter.
Pour bannir l'ennemi dont j'étois idolâtre,
J'affectai les chagrins d'une injufte marâtre.
Je preffai fon exil; & mes cris éternels
L'arrachèrent du fein & des bras paternels.
Je refpirois, Enone; &, depuis fon abfence,
Mes jours moins agités couloient dans l'innocence.
Soumise à mon époux, & cachant mes ennuis,
De fon fatal hymen je cultivois les fruits.
Vaines précautions! Cruelle deftinée !

Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J'ai revu l'ennemi que j'avois éloigné.

Ma bleffure trop vive auffi-tôt a faigné.

Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée;
C'est Vénus toute entière à fa proie attachée.
J'ai conçu pour mon crime une jufte terreur.
J'ai pris la vie en haine, & ma flamme en horreur.
Je voulois, en mourant, prendre foin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme fi noire.
Je n'ai pû foutenir tes larmes, tes combats.
Je t'ai tout avoué, je ne m'en repens pas,
Pourvu que de ma mort refpectant les approches,
Tu ne m'affliges plus par d'injuftes reproches;
Tome II.

R

Et que tes vains fecours ceffent de rappeller
Un refte de chaleur, tout prêt à s'exhaler.

SCENE I V.

PHÉDRE, ENONE, PANOPE.

PANOPE.

JE voudrois vous cacher une triste nouvelle,

Madame; mais il faut que je vous la révèle.
La mort vous a ravi votre invincible époux,
Et ce malheur n'est plus ignoré que de vous.

Panope, que dis-tu ?

NON E.

PANOPE.

Que la Reine abufée,

En vain demande au Ciel le retour de Théfée;
Et que, par des vaiffeaux arrivés dans le port,
Hippolyte fon fils vient d'apprendre sa mort,

PHÉDRE.

Ciel!

PANOP E.

partage,

Pour le choix d'un maître Athènes fe
Au Prince votre fils l'un donne fon fuffrage,
Madame; & de l'Etat l'autre oubliant les loix,
Au fils de l'Etrangère ofe donner fa voix.
On dit même qu'au trône une brigue infolente
Veut placer Aricie, & le fang de Pallante,

J'ai cru de ce péril vous devoir avertir.
Déja même Hippolyte eft tout prêt à partir.
Et l'on craint, s'il paroît dans ce nouvel orage,
Qu'il n'entraîne après lui tout un peuple volage.

NONE.

Panope, c'est assez. La Reine, qui t'entend,
Ne négligera point cet avis important.

SCENE V.

PHÉDRE, NON E.

EN ONE.

MADAME, je ceffois de vous preffer de vivre;

Déja même au tombeau je fongeois à vous fuivre;
Pour vous en détourner je n'avois plus de voix :
Mais ce nouveau malheur vous prescrit d'autres loix.
Votre fortune change, & prend une autre face.
Le Roi n'eft plus, Madame, il faut prendre fa place.
Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez,
Efclave s'il vous perd, & Roi fi vous vivez.
Sur qui, dans fon malheur, voulez-vous qu'il s'appuie?
Ses larmes n'auront plus de main qui les effuie;
Et fes cris innocens, portés jufques aux Dieux,
Iront contre fa mère irriter fes ayeux.

Vivez; vous n'avez plus de reproche à vous faire,
Votre flamme devient une flamme ordinaire.

Théfée, en expirant, vient de rompre les nœuds
Qui faifoient tout le crime & l'horreur de vos feux,
Hippolyte pour vous devient moins redoutable,

Et vous pouvez le voir fans vous rendre coupable,
Peut-être, convaincu de votre averfion,

Il va donner un chef à la fédition,

Détrompez fon erreur, fléchiffez fon courage.

Roi de ces bords heureux, Trézène eft fon partage,
Mais il fait que les loix donnent à votre fils
Les fuperbes remparts que Minerve a bâtis.
Vous avez l'un & l'autre une jufte ennemie ;
Uniffez-vous tous deux pour combattre Aricie,
PHÉDR E.

Hé bien, à tes confeils je me laisse entraîner,
Vivons, fi vers la vie on peut me ramener,
Et fi l'amour d'un fils, en ce moment funefte,
De mes foibles efprits peut ranimer le reste,

Fin du premier Acte.

[ocr errors]

ACTE I I.

SCENE PREMIER E. ARICIE, IS MEN E.

HIPPOLYTE

ARICIE.

IPPOLYTE demande à me voir en ce lieu?
Hippolyte me cherche, & veut me dire adieu ?
Ifmène, dis-tu vrai? N'es-tu point abusée ?
IS MEN È.

C'eft le premier effet de la mort de Théfée.
Préparez-vous, Madame, à voir de tous côtés
Voler vers vous les cœurs par Thésée écartés.
Aricie à la fin de fon fort eft maîtreffe,

Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.

ARICI E.

Ce n'eft donc point, Ifmène, un bruit mal affermi ?
Je ceffe d'être efclave, & n'ai plus d'ennemi?

ISMEN E.

Non, Madame, les Dieux ne vous font plus contraires, Et Théfée a rejoint les manes de vos frères.

ARICI E.

Dit-on quelle aventure a terminé ses jours?

ISMEN E.

On feme de fa mort d'incroyables difcours.
On dit que, ravisseur d'une amante nouvelle,
Les flots ont englouti cet époux infidèle.

« PreviousContinue »