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Mais à peiue le Ciel eut rappellé mon père ;
Dès que ma trifte main eut fermé sa paupière,
De mon aimable erreur je fus désabusé ;
Je fentis le fardeau qui m'étoit impofé.

Je connus que bientôt, loin d'être à ce que j'aime,
Il falloit, cher Paulin, renoncer à moi-même;
Et que le choix des Dieux, contraire à mes amours,
Livroit à l'Univers le refte de mes jours.

Rome obferve aujourd'hui ma conduite nouvelle.
Quelle honte pour moi! Quel préfage pour elle,
Si, dès le premier pas, renversant tous fes droits,
Je fondois mon bonheur fur le débris des loix?
Réfolu d'accomplir ce cruel facrifice,
J'y voulus préparer la trifte Bérénice.

Mais par où commencer? Vingt fois, depuis huit jours,
J'ai voulu devant elle en ouvrir le difcours;
Et, dès le premier mot ma langue embarrassée,
Dans ma bouche, vingt fois, a demeuré glacée.
J'efpérois que, du moins, mon trouble & ma douleur
Lui feroient pressentir notre commun malheur.
Mais, fans me foupçonner, fenfible à mes allarmes,
Elle m'offre fa main pour effuyer mes larmes;
Et ne prévoit rien moins, dans cette obscurité,
Que la fin d'un amour qu'elle a trop mérité.
Enfin, j'ai ce matin rappellé ma conftance.
Il faut la voir, Paulin, & rompre le filence.
J'attends Antiochus, pour lui recommander
Ce dépôt précieux que je ne puis garder.

Jufques dans l'Orient je veux qu'il la remène :
Demain Rome, avec lui, verra partir la Reine.
Elle en fera bientôt inftruite

par ma voix; Et je vais lui parler pour la dernière fois.

PAULI N.

Je n'attendois pas moins de cet amour de gloire,
Qui par-tout, après vous, attacha la victoire.
La Judée affervie, & fes remparts fumans,
De cette noble ardeur éternels monumens,
Me répondoient affez que votre grand courage
Ne voudroit pas, Seigneur, détruire fon ouvrage
Et qu'un Héros, vainqueur de tant de nations,
Sauroit bien, tôt ou tard, vaincre fes paffions..

Ah, que

TITUS.

fous de beaux noms cette gloire eft cruelle
Combien mes triftes yeux la trouveroient plus belle,
S'il ne falloit encor qu'affronter le trépas!
Que dis-je ? Cette ardeur que j'ai pour fes appas,
Bérénice en mon fein l'a jadis allumée.

Tu ne l'ignores pas : toujours la Renommée
Avec le même éclat n'a pas femé mon nom..
Ma jeuneffe, nourrie à la Cour de Néron,
S'égaroit, cher Paulin, par l'exemple abusée,
Et fuivoit du plaifir la pente trop aisée.
Bérénice me plut. Que ne fait point un cœur
Pour plaire à ce qu'il aime, & gagner fon vainqueur?
Je prodiguai mon fang. Tout fit place à mes armes :
Je revins triomphant, Mais le fang & les larmes

Ne me fuffifoient pas pour mériter fes vœux.
J'entrepris le bonheur de mille malheureux.
On vit de toutes parts mes bontés fe répandre ;
Heureux, & plus heureux que tu ne peux comprendre,
Quand je pouvois paroître à fes yeux fatisfaits,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits!
Je lui dois tout, Paulin. Récompenfe cruelle !
Tout ce que je lui dois va retomber sur elle.
Pour prix de tant de gloire & de tant de vertus,
Je lui dirai: Partez, & ne me voyez plus.

PAULIN.

Hé quoi, Seigneur, hé quoi? Cette magnificence
Qui va jufqu'à l'Euphrate étendre fa puissance;
Tant d'honneurs, dont l'excès a surpris le Sénat,
Vous laiffent-ils encor craindre le nom d'ingrat?
Sur cent peuples nouveaux Bérénice commande.

TITUS.

Foibles amusemens d'une douleur fi grande !
Je connois Bérénice, & ne fais que trop bien
Que fon cœur n'a jamais demandé que le mien.
Je l'aimai, je lui plûs. Depuis cette journée,
Dois-je dire funefte, hélas ! ou fortunée;
Sans avoir, en aimant, d'objet que fon amour,
Etrangère dans Rome, inconnue à la Cour,
Elle paffe fes jours, Paulin, fans rien prétendre
Que quelque heure à me voir, & le refte à m'attendre,
Encor fi, quelquefois, un peu moins affidu,

Je paffe le moment où je fuis attendu;

Je la revois bientôt de pleurs toute trempée;
Ma main à les fécher eft long-tems occupée.
Enfin, tout ce qu'amour a de nœuds plus puissans,
Doux reproches, tranfports fans ceffe renaissans,
Soin de plaire fans art, crainte toujours nouvelle,
Beauté, gloire, vertu, je trouve tout en elle.
Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,
Et crois toujours la voir pour la première fois.
N'y fongeons plus. Allons, cher Paulin, plus j'y penfe,
Plus je fens chanceler ma cruelle conftance.
Quelle nouvelle, ô Ciel, je lui vais annoncer!
Encore un coup, allons, il n'y faut plus penfer.
Je connois mon devoir, c'est à moi de le fuivre;
Je n'examine point fi j'y pourrai furvivre.

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Quoi, déja vous femblez reculer?

De vos nobles projets, Seigneur, qu'il vous fouvienne,

Voici le tems.

TITUS.

Hé bien, voyons-la. Quelle vienne.

SCENE

IV.

BÉRÉNICE, TITUS, PAULIN,

PHÉNICE.

BÉRÉNICE.

NE vous offenfez pas, fi mon zèle indiscret

De votre folitude interrompt le fecret.

Tandis qu'autour de moi votre Cour affemblée
Retentit des bienfaits dont vous m'avez comblée,
Eft-il jufte, Seigneur, que, feule en ce moment,
Je demeure fans voix & fans reffentiment!
Mais, Seigneur, (car je fais que cet ami fincère
Du fecret de nos cœurs connoît tout le mystère)
Votre deuil eft fini, rien n'arrête vos pas;
Vous êtes feul enfin, & ne me cherchez pas.
J'entends que vous m'offrez un nouveau diadême,
Et ne puis cependant vous entendre vous-même.
Hélas, plus de repos, Seigneur, & moins d'éclat !
Votre amour ne peut-il paroître qu'au Sénat?
Ah, Titus, (car enfin l'amour fuit la contrainte
De tous ces noms que fuit le respect & la crainte }
De quel foin votre amour va-t-il s'importuner!
N'a-t-il que des Etats qu'il me puiffe donner?
Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche?
Un foupir, un regard, un mot de votre bouche,

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