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SCENE IV.

CLYTEMNESTRE, EGINE, GARDES

CLYTEMNESTRE.

AH, vous n'irez pas feule, & je ne prétends pas...
Ан

Mais on fe jette en foule au-devant de mes pas.
Perfides, contentez votre foif fanguinaire.

AGINE.

Où courez-vous, Madame ? Et que voulez-vous faire ?

CLYTEM NESTRE.

Hélas, je me confume en impuiffans efforts,
Et rentre au trouble affreux, dont à peine je sors.
Mourrai-je tant de fois, fans fortir de la vie !

AGINE.

Ah, favez-vous le crime, & qui vous a trahie,
Madame? Savez-vous quel ferpent inhumain
Iphigénie avoit retiré dans fon fein?

Eriphile, en ces lieux par vous-même conduite,
A feule à tous les Grecs révélé votre fuite.

CLYTEM NESTRE.

O monftre, que Megère en fes flancs a porté !
Monftre, que dans nos bras les enfers ont jetté !
Quoi, tu ne mourras point? Quoi, pour punir fon crime...
Mais où va ma douleur chercher une victime?
Quoi, pour noyer les Grecs & leurs mille vaiffeaux,
Mer, tu n'ouvriras pas des abymes nouveaux ?

?,

Quoi, lorfque les chassant du port qui les recèle,
L'Aulide aura vomi leur flotte criminelle,

Les vents, les mêmes vents fi long-tems accufés,
Ne te couvriront pas de fes vaiffeaux brifés?
Et toi, Soleil, & toi, qui, dans cette contrée,
Reconnois l'héritier & le vrai fils d'Atrée;
Toi, qui n'ofas du père éclairer le feftin,
Recule, ils t'ont appris ce funefte chemin !
Mais cependant, ô Ciel! ô mère infortunée !
De feftons odieux ma fille couronnée,

Tend la gorge aux couteaux par fon père apprêtés.
Calchas va dans fon fang... barbares, arrêtez;
C'est le pur fang du Dieu qui lance le tonnerre.
J'entends gronder la foudre, & fens trembler la terre.
Un Dieu vengeur, un Dieu fait retentir fes coups.

SCENE

V.

CLYTEMNESTRE, ÆGINE, ARCAS, GARDES.

ARCAS.

N'EN doutez point, Madame, un Dieu combat pour

vous:

Achille en ce moment exauce vos prières;
Il a brifé des Grecs les trop foibles barrières.)
Achille eft à l'Autel. Calchas eft éperdu.
Le fatal facrifice eft encor fufpendu.

On fe menace, on court, l'air gémit, le fer brille.
Achille fait ranger autour de votre fille

Tous fes amis, pour lui prêts à fe dévouer.
Le trifte Agamemnon, qui n'ofe l'avouer,
Pour détourner fes yeux des meurtres qu'il préfage,
Ou pour cacher fes pleurs, s'eft voilé le vifage.
Venez, puifqu'il fe tait, venez par vos difcours
De votre défenfeur appuyer le secours.
Lui-même, de fa main de fang toute fumante,
Il veut entre vos bras remettre fon amante;
Lui-même il m'a chargé de conduire vos pas.
Ne craignez rien.

CLYTEM NESTRE.

Moi, craindre! Ah, courons, cher Arcas]

Le plus affreux péril n'a rien dont je pâliffe.

J'irai par-tout. Mais, Dieux! ne vois-je pas Ulyffe? C'eft lui. Ma fille eft morte, Arcas, il n'eft plus tems.

SCENE DERNIERE. : ULYSSE, CLYTEMNESTRE, ARCAS, EGINE, GARDES.

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ULYSS E.

NON, Madame, elle vit, & les Dieux font contens.

Raffurez-vous. Le Ciel a voulu vous la rendre.

CLY TEMNESTRE.

Elle vit! Et c'est vous qui venez me l'apprendre..

ULYSSE.

Oui, c'eft moi, qui, long-tems contre elle & contre vous,
Ai cru devoir, Madame, affermir votre époux:
Moi qui, jaloux tantôt de l'honneur de nos armes,
Par d'auftères confeils ai fait couler vos larmes;
Et qui viens, puifqu'enfin le Ciel eft appaifé,
Réparer tout l'ennui que je vous ai causé.

CLY TEM NESTRE.

Ma fille! Ah, Prince! ô Ciel! je demeure éperdue.
Quel miracle, Seigneur, quel Dieu me l'a rendue ?

ULYSS E.

Vous m'en voyez moi-même, en cet heureux moment,
Saifi d'horreur, de joie & de ravissement.

Jamais jour n'a paru fi mortel à la Grèce.
Déja de tout le camp la Difcorde maîtreffe,
Avoit fur tous les yeux mis fon bandeau fatal,
Et donné du combat le funefte fignal."
De ce fpectacle affreux votre fille allarmée,
Voyoit pour elle Achille, & contre elle l'armée.
Mais, quoique feul pour elle, Achille furieux.
Epouvantoit l'armée & partageoit les Dieux.
Déja de traits en l'air s'élevoit un nuage;
Déja couloit le fang, prémices du carnage.
Entre les deux partis Calchas s'eft avancé,
L'œil farouche, l'air fombre, & le poil hériffé;

Terrible, & plein du Dieu qui l'agitoit, fans doute:
Vous, Achille, a-t-il dit, & vous, Grecs, qu'on m'écoute.

Le

Le Dieu qui maintenant vous parle par ma voix,
M'explique fon oracle & m'inftruit de fon choix.
Un autre fang d'Hélène, une autre Iphigénie,
Sur ce bord immolé y doit laiffer fa vie.
Théfée, avec Hélène uni fecrettement,
Fit fuccéder l'hymen à fon enlevement.
Une fille en fortit, que fa mère a celée,
Du nom d'Iphigénie elle fut appellée.
Je vis moi-même alors ce fruit de leurs amours;
D'un finiftre avenir je menaçai fes jours.
Sous un nom emprunté, fa noire destinée
Et fes propres fureurs ici l'ont amenée.

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Elle me voit, m'entend; elle est devant vos yeux ;
Et c'est elle, en un mot, que demandent les Dieux.
Ainfi parle Calchas. Tout le camp immobile
L'écoute avec frayeur, & regarde Eriphile.
Elle étoit à l'Autel, & peut-être en fon cœur
Du fatal facrifice accufoit la lenteur.

Elle-même tantôt, d'une courfe fubite,

Etoit venue aux Grecs annoncer votre fuite.

On admire en fecret fa naissance & fon fort.

Mais, puifque Troye enfin eft le prix de sa mort, L'armée, à haute voix, fe déclare contre elle,

Et

prononce à Calchas sa sentence mortelle.

Déja, pour la faifir, Calchas leve le bras.
Arrête, a-t-elle dit, & ne m'approche pas.

Le fang de ces Héros, dont tu me fais descendre,
Sans tes profanes mains faura bien fe répandre.

Tome II.

Q

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