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Redoute mon bûcher, & frémit de vos larmes.
Allez; & dans ces murs vuides de Citoyens,
Faites pleurer ma mort aux veuves des Troyens.
Je meurs, dans cet efpoir, fatisfaite & tranquille,
Si je n'ai pas vécu la compagne d'Achille,
J'espère que du moins un heureux avenir,
A vos faits immortels joindra mon fouvenir;
Et qu'un jour mon trépas, fource de votre gloire,
Ouvrira le récit d'une fi belle hiftoire.
Adieu, Prince, vivez digne race des Dieux.

A CHILL E.

Non, je ne reçois point vos funeftes adieux.
En vain, par ce difcours, votre cruelle adresse
Veut fervir votre père, & tromper ma tendresse,
En vain vous prétendez, obftinée à mourir,
Intéreffer ma gloire à vous laiffer périr.

Ces moiffons de lauriers, ces honneurs, ces conquêtes,
Ma main, en vous fervant, les trouve toutes prêtes.
Et qui de ma faveur se voudroit honorer,
Si mon hymen prochain ne peut vous affurer?
Ma gloire, mon amour, vous ordonnent de vivre.
Venez, Madame, il faut les en croire, & me fuivre.
IPHIGÉNIE.

Qui, moi? Que, contre un père ofant me révolter,
Je mérite la mort que j'irois éviter !

Où feroit le refpect, & ce devoir fuprême...

A CHILL E.

Vous fuivrez un époux avoué par lui-même.

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C'est un titre qu'en vain il prétend me voler.
Ne fait-il des fermens que pour les violer?
Vous-même, que retient un devoir fi févère,

Quand il vous donne à moi, n'eft-il point votre pére? Suivez-vous feulement fes ordres abfolus,

Quand il ceffe de l'être, & ne vous connoît plus ? Enfin c'eft trop tarder, ma Princeffe; & ma crainte...

IPHIGÉNIE.

Quoi, Seigneur, vous iriez jusques à la contrainte ?
D'un coupable transport écoutant la chaleur,
Vous pourriez ajouter ce comble à mon malheur?
Ma gloire vous feroit moins chère que ma vie?
Ah, Seigneur, épargnez la trifte Iphigénie!
Affervie à des loix que j'ai dû respecter,
C'est déja trop pour moi que de vous écouter.
Ne portez pas plus loin votre injufte victoire.
Ou par mes propres mains immolée à ma gloire,
Je faurai m'affranchir, dans ces extrémités,
Du fecours dangereux que vous me préfentez.

A CHILL E.

Hé bien, n'en parlons plus. Obéiffez, cruelle,
Et cherchez une mort qui vous femble fi belle.
Portez à votre père un cœur, où j'entrevoi
Moins de refpect pour lui que de haine pour moi.
Une jufte fureur s'empare de mon ame.
Vous allez à l'Autel, & moi j'y cours, Madame.
Si de fang & de morts le Ciel eft affamé,
Jamais de plus de fang fes Autels n'ont fumé:

A mon aveugle amour tout fera légitime.
Le Prêtre deviendra la première victime.
Le bûcher, par mes mains détruit & renversé,
Dans le fang des bourreaux nagera difperfé.
Et fi, dans les horreurs de ce défordre extrême,
Votre père frappé, tombe & périt lui-même,
Alors, de vos respects voyant les triftes fruits,
Reconnoiffez les coups que vous aurez conduits.

IPHIGEN I E.

Ah, Seigneur! Ah, cruel!... Mais il fuit, il m'échappe.
O toi, qui veux ma mort, me voilà feule, frappe;
Termine, jufte Ciel, ma vie & mon effroi,
Et lance ici des traits qui n'accablent que moi.

SCENE III.

CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÆGINE,

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EURYBATE, GARDES.

CLYTEMNESTRE.

UI, je la défendrai contre toute l'armée. Lâches, vous trahiffez votre Reine opprimée !

EURY BAT E.

Non, Madame; il fuffit que vous nous commandiez,
Vous nous verrez combattre, & mourir à vos pieds.
Mais de nos foibles mains que pouvez-vous attendre?
Contre tant d'ennemis qui pourra vous défendre?
Ce n'eft plus un vain peuple en défordre affemblé ;
C'est d'un zèle fatal tout le camp aveuglé.

Plus de pitié. Calchas seul règne, feul commande;
La piété févère exige son offrande.

Le Roi, de fon pouvoir, fe voit dépofféder,
Et lui-même au torrent nous contraint de céder.
Achille à qui tout cède, Achille à cet orage
Voudroit lui-même en vain oppofer fon courage.
Que fera-t-il, Madame? Et qui peut diffiper
Tous les flots d'ennemis prêts à l'envelopper?

CLYTEMNESTRE.

Qu'ils viennent donc fur moi prouver leur zèle impie, Et m'arrachent ce peu qui me refte de vie.

La mort feule, la mort pourra rompre les nœuds Dont mes bras nous vont joindre & lier toutes deux. Mon corps fera plutôt féparé de mon ame,

Que je fouffre jamais... Ah, ma fille !

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Sous quel aftre cruel avez-vous mis au jour
Le malheureux objet d'une fi tendre amour?

Mais que pouvez-vous faire en l'état où nous fommes?
Vous avez à combattre & les Dieux & les hommes.
Contre un peuple en fureur vous expoferez-vous?
N'allez point, dans un camp, rébelle à votre époux,
Seule à me retenir, vainement obstinée,
Par des foldats, peut-être, indignement traînée,
Préfenter, pour tout fruit d'un déplorable effort,
Un fpectacle à mes yeux plus cruel que la mort.

Allez Laiffez aux Grecs achever leur ouvrage,
Et quittez pour jamais un malheureux rivage.
Du bûcher qui m'attend, trop voifin de ces lieux,
La flamme de trop près viendroit frapper vos yeux.
Sur-tout, fi vous m'aimez, par cet amour de mère,`
Ne reprochez jamais mon trépas à mon père.

CLYTEM NESTRE.

Lui, par qui votre cœur à Calchas présenté!.....

IPHIGÉNIE.

Pour me rendre à vos pleurs que n'a-t-il point tenté?

CLY TEMNESTRE.

Par quelle trahifon le cruel m'a déçue !

IPHIGE NIE.

Il me cédoit aux Dieux dont il m'avoit reçue.
Ma mort n'emporte pas tout le fruit de vos feux.
De l'amour qui vous joint vous avez d'autres nœuds.
Vos yeux me reverront dans Orefte mon frère.
Puiffe-t-il être, hélas, moins funeste à sa mère !
D'un peuple impatient vous entendez la voix.
Daignez m'ouvrir vos bras pour la dernière fois,
Madame; & rappellant votre vertu fublime...
Eurybate, à l'Autel conduifez la victime.

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