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Barbare, c'est donc là cet heureux facrifice

Que vos foins préparoient avec tant d'artifice! Quoi, l'horreur de foufcrire à cet ordre inhumain, pas, en le traçant, arrêté votre main!

N'a

Pourquoi feindre à nos yeux une faufse tristesse? ́
Penfez-vous par des pleurs prouver votre tendreffe?
Où font-ils ces combats que vous ávez rendus?
Quels flots de fang pour elle avez-vous répandus?
Quel débris parle ici de votre résistance?

Quel champ couvert de morts me condamne au filence?
Voilà par quels témoins il falloit me prouver,
Cruel, que votre amour a voulu la fauver.
Un oracle fatal ordonné qu'elle expire.
Un oracle dit-il tout ce qu'il femble dire ?
Le Ciel, de jufte Ciel, par le meurtre honoré,
Du fang de l'innocence eft-il donc altéré
Si du crime d'Hélène on punit fa famille,
Faites chercher à Sparte Hermione sa fille.
Laiffez à Ménélas racheter d'un tel prix,
Sa coupable moitié dont il eft trop épris.
Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa victime!
Pourquoi vous impofer la peine de fon crime?
Pourquoi, moi-même enfin me déchirant le flanc,
Payer fa folle amour du plus pur de mon fang?
Que dis-je ? Cet objet de tant de jaloutie,
Cette Hélène, qui trouble & l'Europe & l'Afie,
Vous femble-t-elle un prix digne de vos exploits?
Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi de fois?

Tome II.

P

Avant qu'un noeud fatal l'unit à votre frère,
Théfée avoit ofé l'enlever à fon père;

Vous favez, & Calchas mille fois vous l'a dit,
Qu'un hymen clandeftin mit ce Prince en fon lit,
Et qu'il en eut pour gage une jeune Princeffe,
Que fa mère a cachée au refte de la Grèce.
Mais non, l'amour d'un frère, & fon honneur blesse,
Sont les moindres des foins dont vous êtes preffé.
Cette foif de régner, que rien ne peut éteindre;
L'orgueil de voir vingt Rois vous fervir & vous craindre;
Tous les droits de l'Empire en vos mains confiés;
Cruel, c'est à ces Dieux que vous facrifiez !
Et loin de repouffer le coup qu'on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier,
De votre propre fang vous courez le payer ;
Et voulez, par ce prix, épouvanter l'audace
De quiconque vous peut difputer votre place,
Eft-ce donc être père? Ah, toute ma raifon
Cède à la cruauté de cette trahison !
Un Prêtre, environné d'une foule cruelle,
Portera fur ma fille une main criminelle!
Déchirera fon fein! &, d'un ceil curieux,
Dans fon cœur palpitant confultera les Dieux !
Et moi, qui l'amenai triomphante, adorée,
Je m'en retournerai feule & défefpérée !
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs dont, fous fes pas, on les avoit femés!

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Non, je ne l'aurai point amenée au fupplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double facrifice.
Ni crainte, ni respect ne m'en peut détacher.
De mes bras tout fanglans il faudra l'arracher.
Auffi barbare époux qu'impitoyable père,
Venez, fi vous l'ofez, la ravir à fa mère.

Et vous, rentrez, ma fille, &, du moins à mes loix,

Obéiffez

encor pour

la dernière fois.

SCENE Ꮴ .

AGAMEMNON feul.

A De moindres fureurs je n'ai pas dû m'attendre.

Voilà, voilà les cris que je craignois d'entendre.
Heureux, fi dans le trouble où flottent mes efprits,
Je n'avois toutefois à craindre que fes cris!
Hélas, en m'impofant une loi fi févère,

Grands Dieux, me deviez-vous laiffer un cœur de père !

SCENE VI.

ACHILLE, AGAMEMNON.

A CHILL E.

UN bruit affez étrange eft venu jusqu'à moi,

Seigneur; je l'ai jugé trop peu digne de foi.
On dit, & fans horreur je ne puis le redire,
Qu'aujourd'hui par votre ordre Iphigénie expire,

Que vous-même, étouffant tout fentiment humain,
Vous l'allez à Calchas livrer de votre main.

On dit
que,
fous mon nom, à l'Autel appellée,
Je ne l'y conduifois que pour être immolée;

Et

que, d'un faux hymen nous abusant tous deux, Vous voulez me charger d'un emploi fi honteux. Qu'en dites-vous, Seigneur ? Que faut-il que j'en penfe? Ne ferez-vous pas taire un bruit qui vous offenfe?

AGAMEMNON.

Seigneur, je ne rends point compte de mes deffeins.
Ma fille ignore encor mes ordres fouverains;
Et, quand il fera tems qu'elle en foit informée,
Vous apprendrez fon fort; j'en inftruirai l'armée.

A CHILL E.

Ah, je fais trop le fort que vous lui réservez !

AGAMEMNON.

Pourquoi le demander, puifque vous lẹ favez?

A CHILL E,

Pourquoi je le demande? O Ciel, le puis-je croire,
Qu'on ofe des fureurs avouer la plus noire !
Vous croyez qu'approuvant vos deffeins odieux,
Je vous laille immoler votre fille à mes yeux ?
Que ma foi, mon amour, mon honneur y confente?

AGAMEMNON,

Mais vous, qui me parlez d'une voix menaçante,
Oubliez-vous ici qui vous interrogez?

A CHILL E.

Oubliez-vous qui j'aime, & qui vous outragez?

AGAMEMNON.

Et qui vous a chargé du foin de ma famille ?
Ne pourrai-je, fans vous, difpofer de ma fille?
Ne fuis-je plus fon père? Êtes-vous fon époux?
Et ne peut-elle...

A CHILL E.

Non, elle n'eft plus à vous.

On ne m'abuse point par des promeffes vaines.
Tant qu'un refte de fang coulera dans mes veines,
Vous deviez à mon fort unir tous fes momens,
Je défendrai mes droits fondés fur vos fermens.
Et n'eft-ce pas pour moi que vous l'avez mandée ?

AGAMEMNON.

Plaignez-vous donc aux Dieux qui me l'ont demandée.
Accufez & Calchas & le camp tout entier,
Ulyffe, Ménélas, & vous tout le premier.

A CHILL E.

Moi!

AGAMEMNON.

Vous qui, de l'Afie embraffant la conquête, Querellez tous les jours le Ciel qui vous arrête; Vous qui, vous offensant de mes juftes terreurs, Avez dans tout le camp répandu vos fureurs. Mon cœur, pour la fauver, vous ouvroit une voie ; Mais vous ne demandez, vous ne cherchez que Troye. Je vous fermois le champ, où vous voulez courir. Vous le voulez, partez, sa mort va vous l'ouvrir.

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