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SCENE II.

CLYTEMNESTRE, ÆGINE.

ÆGINE,

CLY TEMNESTRE.

GINE, tu le vois, il faut que je la fuie.
Loin que ma fille pleure, & tremble pour fa vie,
Elle excuse fon père, & veut que ma douleur
Refpecte encor la main qui lui perce le cœur.
O conftance! ô respect! Pour prix de sa tendresse,
Le barbare, à l'Autel, fe plaint de sa paresse.
Je l'attends. Il viendra m'en demander raison:
Il croit pouvoir encor cacher fa trahison.
Il vient. Sans éclater contre fon injustice,
Voyons s'il foutiendra fon indigne artifice.

SCENE III.

AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE, ÆGINE.

Qu

AGAMEMNON.

UE faites-vous, Madame ? Et d'où vient que ces lieux N'offrent point avec vous votre fille à mes yeux? Mes ordres, par Arcas, vous l'avoient demandée : Qu'attend-elle ? Eft-ce vous qui l'avez retardée ? A mes juftes defirs ne vous rendez-vous pas ! Ne peut-elle à l'Autel marcher que fur vos pas? Parlez.

CLYTENESTRE.

S'il faut partir, ma fille est toute prête.

Mais vous, n'avez-vous rien, Seigneur, qui vous arrête?

AGAMEMNON.

Moi, Madame?

CLYTEMNESTRE.

Vos foins ont-ils tout préparé ?

A GAMEMNON.

Calchas eft prêt, Madame, & l'Autel eft paré.
J'ai fait ce que m'ordonne un devoir légitime.

CLYTEMNESTRE.

Vous ne me parlez point, Seigneur, de la victime,

AGAMEMNON.

Que me voulez-vous dire ? Et de quel foin jaloux,

SCENE I V.

AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ÆGINE.

CLYTEM NESTRE.

VENEZ, venez, ma fille, on n'attend plus que vous;

Venez remercier un père qui vous aime,
Et qui veut à l'Autel vous conduire lui-même.

AGAMEMNON,

Que vois-je! Quel difcours! Ma fille, vous pleurez, Et baiffez devant moi vos yeux mal assurés.

Quel trouble! Mais tout pleure, & la fille & la mère. Ah, malheureux Arcas, tu m'as trahi!

IPHIGÉNIE.

Mon père,

Ceffez de vous troubler, vous n'êtes point trahi;
Quand vous commanderez, vous ferez obéi.
Ma vie eft votre bien. Vous voulez le reprendre.
Vos ordres, fans détours, pouvoient fe faire entendre.
D'un œil auffi content, d'un cœur auffi foumis
Que j'acceptois l'époux que vous m'aviez promis,
Je faurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente;
Et, refpectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le fang que vous m'avez donné.
Si pourtant ce respect, fi cette obéiffance
Paroît digne à vos yeux d'une autre récompense;
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis;
J'ofe vous dire ici qu'en l'état où je fuis,
Peut-être affez d'honneurs environnoient ma vie,
Pour ne pas fouhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en me l'arrachant, un févère deftin,
Si près de ma naissance, en eût marqué la fin.
Fille d'Agamemnon, c'est moi qui, la première,
Seigneur, vous appellai de ce doux nom de père.
C'est moi qui, fi long-tems le plaifir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les Dieux;
Et pour qui tant de fois prodiguant vos careffes,
Vous n'avez point du fang dédaigné les foibleffes.

Hélas, avec plaifir je me faifois conter

Tous les noms des pays que vous allez dompter.
Et, déja d'Hion préfageant la conquête,

D'un triomphe fi beau je préparois la fête.
Je ne m'attendois pas que, pour le commencer,
Mon fang fût le premier que vous duffiez verfer.
Non, que la peur du coup dont je fuis menacée,
Me faffe rappeller votre bonté paffée.

Ne craignez rien. Mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous;
Et, fi je n'avois eu que ma vie à défendre,
J'aurois fû renfermer un fouvenir fi tendre.
Mais à mon trifte fort, vous le favez, Seigneur,
Une mère, un amant attachoient leur bonheur.
Un Roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devoit éclairer notre illuftre hyménée.
Déja fùr de mon cœur à fa flamme promis,
Il s'eftimoit heureux : vous me l'aviez permis.
Il fait votre deffein, jugez de fes allarmes..
Ma mère eft devant vous, & vous voyez fes larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter,
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.

AGAMEMNON.

Ma fille, il eft trop vrai. J'ignore pour quel crime
La colère des Dieux demande une victime.
Mais ils vous ont nommée. Un oracle cruel
Veut qu'ici votre fang coule fur un Autel.
Pour défendre vos jours de leurs loix meurtrières,

Mon amour n'avoit pas attendu vos prières.
Je ne vous dirai point combien j'ai réfifté.
Croyez-en cet amour, par vous-même attesté.
Cette nuit même encore, on a pû vous le dire,
J'avois révoqué l'ordre où l'on me fit souscrire.
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté.
Je vous facrifiois mon rang, ma fûreté.
Arcas alloit du camp vous défendre l'entrée,
Les Dieux n'ont pas voulu qu'il vous ait rencontrée,
Ils ont trompé les foins d'un père infortuné,
Qui protégeoit en vain ce qu'ils ont condamné.
Ne vous affurez point fur ma foible puissance:
Quel frein pourroit d'un peuple arrêter la licence,
Quand les Dieux nous livrant à fon zèle indifcret,
L'affranchiffent d'un joug qu'il portoit à regret!
Ma fille, il faut céder. Votre heure est arrivée.
Songez bien dans quel rang vous êtes élevée.
Je vous donne un confeil qu'à peine je reçoi;
Du coup qui vous attend vous mourrez moins
Montrez, en expirant, de qui vous êtes née.
Faites rougir ces Dieux qui vous ont condamnée.
Allez. Et que les Grecs qui vont vous immoler,
Reconnoiffent mon fang en le voyant couler.

CLYTEMNESTRE.

Vous ne démentez point une race funeste.
Oui, vous êtes le fang d'Atrée & de Thyefte.
Bourreau de votre fille, il ne vous refte enfin
Que d'en faire à fa mère un horrible festin.

que

moi.

Barbare!

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