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A CHILL E.

Hé bien, c'est donc à moi de prendre votre place.
Il me verra, Madame, & je vais lui parler.

IPHIGÉNIE.

327

Ah, Madame... Ah, Seigneur, où voulez-vous aller?

A CHILL E.

Et que prétend de moi votre injufte prière?
Vous faudra-t-il toujours combattre la première ?

CLYTEM NESTRE.

Quel eft votre deffein, ma fille?

IPHIGÉNIE.

Au nom des Dieux,

Madame, retenez un amant furieux.

De ce trifte entretien détournons les approches.
Seigneur, trop d'amertume aigriroit vos reproches.
Je fais jufqu'où s'emporte un amant irrité,
Et mon père eft jaloux de fon autorité.
On ne connoît que trop la fierté des Atrides.
Laiffez parler, Seigneur, des bouches plus timides.
Surpris, n'en doutez point, de mon retardement,
Lui-même il me viendra chercher dans un moment.
Il entendra gémir une mère oppreffée:

Et

que ne pourra point m'infpirer la pensée

De prévenir les pleurs que vous verferiez tous,
D'arrêter vos tranfports, & de vivre pour vous !

A CHILL E.

Enfin, vous le voulez. Il faut donc vous complaire.
Donnez-lui, l'une & l'autre, un confeil falutaire ;

Rappellez fa raison, perfuadez-le bien,

Pour vous, pour mon repos, & fur-tout pour le fies Je perds trop de momens en des difcours frivoles; Il faut des actions, & non pas des paroles..

(A Clytemnestre.)

Madame, à vous fervir je vais tout difpofer.
Dans votre appartement allez vous reposer,
Votre fille vivra, je puis vous le prédire.
Croyez, du moins, croyez que, tant que je refpire,
Les Dieux auront en vain ordonné fon trépas.
Cet oracle eft plus für que celui de Calchas.

Fin du troifiéme Ade.

ACTE I V.

SCENE PREMIERE.

Ан,

ERIPHILE,

DORIS.

DORIS.

AH, que me dites-vous ? Quelle étrange manie
Vous peut faire envier le fort d'Iphigénie?

Dans une heure elle expire. Et jamais, dites-vous.,
Vos yeux de fon bonheur ne furent plus jaloux!
Qui le croira, Madame? Et quel cœur fi farouche...

ERIPHILE.

Janais rien de plus vrai n'eft forti de ma bouche.
Jamais de tant de foins mon efprit agité
Ne porta plus d'envie à fa félicité.

Favorables périls! Efpérance inutile!

N'as-tu pas vu fa gloire & le trouble d'Achille ?
J'en ai vu, j'en ai fui les fignes trop certains.

Ce Héros, fi terrible au refte des humains,

Qui ne connoît de pleurs que ceux qu'il fait répandre;
Qui s'endurcit contre eux dès l'âge le plus tendre,
Et qui, fi l'on nous fait un fidèle difcours,
Suça même le fang des lions & des Ours,
Pour elle de la crainte a fait l'apprentissage :
Elle l'a vu pleurer & changer de visage.
Et tu la plains, Doris? Par combien de malheurs
Ne lui voudrois-je point difputer de tels pleurs!

Quand je devrois, comme elle, expirer dans une heure...

Mais que dis-je expirer! Ne crois pas qu'elle meure. Dans un lâche fommeil crois-tu qu'enfeveli,

Achille aura pour elle impunément pâli?

Achille à fon malheur faura bien mettre obftacle.

elle?

Tu verras que les Dieux n'ont dicté cet oracle,
Que pour croître à la fois sa gloire & mon tourment,
Et la rendre plus belle aux yeux de fon amant.
Hé quoi! ne vois-tu pas tout ce qu'on fait pour
On fupprime des Dieux la sentence mortelle ;
Et, quoique le bûcher foit déja préparé,
Le nom de la victime eft encore ignoré.
Tout le camp n'en fait rien. Doris, à ce filence,
Ne reconnois-tu pas un père qui balance?
Et que fera-t-il donc ? Quel courage endurci
Soutiendra les affauts qu'on lui prépare ici?
Une mère en fureur, les larmes d'une fille,
Les cris, le défefpoir de toute une famille ;
Le fang à ces objets facile à s'ébranler,
Achille menaçant tout prèt à l'accabler.

Non, te dis-je, les Dieux l'ont en vain condamnée :
Je fuis & je ferai la feule infortunée.

Ah, fi je m'en croyois !

DORIS.

Quoi, que méditez-vous?

ERIPHILE.

Je ne fais qui m'arrête & retient mon courroux;

Que, par un prompt ayis de tout ce qui fe paffe,
Je ne coure des Dieux divulguer la menace,
Et publier par-tout les complots criminels
Qu'on fait ici contre eux & contre leurs Autels.

DORIS.

Ah, quel deffein, Madame!

ERIPHILE.

Ah, Doris, quelle joie !

Que d'encens brûleroit dans les Temples de Troye !
Si, troublant tous les Grecs & vengeant ma prifon,
Je pouvois contre Achille armer Agamemnon;
Si leur haine, de Troye oubliant la querelle,
Tournoit contre eux le fer qu'ils aiguifent contre elle;
Et fi, de tout le camp, mes avis dangereux
Faifoient à ma patrie un facrifice heureux.

DORIS.

J'entends du bruit. On vient. Clytemneftre s'avance. Remettez-vous, Madame, ou fuyez fa présence.

ERIPHILE.

Rentrons. Et, pour troubler un hymen odieux,
Confultons des fureurs qu'autorifent les Dieux,

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