Page images
PDF
EPUB

IPHIGÉNIE.

Quelle félicité peut manquer à vos vœux ?

A de plus grands honneurs un Roi peut-il prétendre? J'ai cru n'avoir au Ciel que des graces à rendre.

AGAMEMNON à part.

Grands Dieux, à fon malheur dois-je la préparer !

IPHIGÉNIE.

Vous vous cachez, Seigneur, & femblez foupirer. Tous vos regards fur moi ne tombent qu'avec peine. Avons-nous fans votre ordre abandonné Mycène ?

AGAMEMNON.

Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux;
Mais les tems font changés aufh-bien que les lieux.
D'un foin cruel ma joie eft ici combattue.

IPHIGÉNIE.

Hé, mon père, oubliez votre rang à ma vue.
Je prévois la rigueur d'un long éloignement;
N'ofez-vous, fans rougir, être père un moment?
Vous n'avez devant vous qu'une jeune Princesse,
A qui j'avois, pour moi, vanté votre tendresse.
Cent fois, lui promettant mes foins, votre bonté,
J'ai fait gloire à fes yeux de ma félicité.
Que va-t-elle penfer de votre indifférence ?
Ai-je flatté fes vœux d'une fauffe espérance?
N'éclaircirez-vous point ce front chargé d'ennuis?

Ah, ma fille !

AGAMEMNON.

IPHIGÉN I E.

Seigneur, pourfuivez.

AGAMEMNON.

Je ne puis.

IPHIGÉNIE.

Fériffe le Troyen auteur de nos allarmes !

AGAMEMNON.

Sa perte à fes vainqueurs coûtera bien des larmes.

IPHIGENIE.

Les Dieux daignent fur-tout prendre foin de vos jours!

AGAMEMNON.

Les Dieux, depuis un tems, me font cruels & fourds,

IPHIGÉNIE.

Calchas, dit-on, prépare un pompeux facrifice.

AGAMEMNON.

Puiffai-je auparavant fléchir leur injustice!

[blocks in formation]

Me fera-t-il permis de me joindre à vos vœux♪
Verra-t-on à l'Autel votre heureufe famille ?

AGAMEMNON.

Hélas!

IPHIGÉNIE.

Vous vous taifez?

AGAMEMNON.

Vous y ferez, ma fille.

Adieu.

III.

SCENE

IPHIGÉNIE, ERIPHILE, DORIS.

DE

IPHIGÉNI É.

E cet accueil que dois-je foupçonner?

D'une fecrette horreur je me fens friffonner.

Je crains, malgré moi-même, un malheur que j'ignore. Juftes Dieux, vous favez pour qui je vous implore!

ERIPHILE.

Quoi, parmi tous les foins qui doivent l'accabler,
Quelque froideur fuffit pour vous faire trembler?
Hélas, à quels foupirs fuis-je donc condamnée,
Moi qui, de mes parens toujours abandonnée,
Etrangère par-tout, n'ai pas, même en naiffant,
Peut-être reçu d'eux un regard caressant!

Du moins, fi vos refpects font rejettés d'un père,
Vous en pouvez gémir dans le fein d'une mère;
Et de quelque difgrace enfin que vous pleuriez,
Quels pleurs par un amant ne font point effuyés!

[merged small][ocr errors]

Je ne m'en défends point. Mes pleurs, belle Eriphile,
Ne tiendront pas long-tems contre les foins d'Achille.
Sa gloire, fon amour, mon père, mon devoir,
Lui donnent fur mon ame un trop juste pouvoir.

Mais de lui-même ici que faut-il que je pense?
Cet amant, pour me voir brûlant d'impatience,
Que les Grecs de ces bords ne pouvoient arracher;
Qu'un père, de fi loin, m'ordonne de chercher,
S'empreffe-t-il affez pour jouir d'une vue,
Qu'avec tant de tranfports je croyois attendue ?
Pour moi, depuis deux jours qu'approchant de ces lieux,
Leur afpect fouhaité se découvre à nos yeux,
Je l'attendois par-tout; &, d'un regard timide,
Sans ceffe parcourant les chemins de l'Aulide,
Mon cœur, pour le chercher, voloit loin devant moi,
Et je demande Achille à tout ce que je voi.
Je viens, j'arrive enfin, fans qu'il m'ait prévenue.
Je n'ai percé qu'à peine une foule inconnue,
Lui feul ne paroît point. Le trifte Agamemnon
Semble craindre à mes yeux
de prononcer fon nom.
Que fait-il? Qui pourra m'expliquer ce mystère ?
Trouverai-je l'amant glacé comme le père ?
Et les foins de la guerre auroient-ils, en un jour,
Eteint dans tous les cœurs la tendreffe & l'amour ?
Mais non. C'eft l'offenfer par d'injuftes allarmes.
C'eft à moi que l'on doit le fecours de fes armes.
Il n'étoit point à Sparte entre tous ces amans,
Dont le père d'Hélènè a reçu les fermens.
Lui feul de tous les Grecs maître de fa parole,
S'il part contre Ilion, c'eft pour moi qu'il y vole;
Et, fatisfait d'un prix qui lui femble fi doux,
Il veut même y porter le nom de mon époux.

SCENE

I V.

CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE,

ERIPHILE, DORIS.

CLYTEMNESTRE.

MA fille, il fant partir fans que rien nous retienne,

Et fauver, en fuyant, votre gloire & la mienne.
Je ne m'étonne plus qu'interdit & diftrait,

Votre père ait paru vous revoir à regret.

Aux affronts d'un refus craignant de vous commettre,
Il m'avoit par Arcas envoyé cette lettre.

Arcas s'eft vu trompé par notre égarement,
Et vient de me la rendre en ce même moment.
Sauvons, encore un coup, notre gloire offensée.
Pour votre hymen Achille a changé de penfée;
Et, refufant l'honneur qu'on lui veut accorder,
Jufques à fon retour il veut le retarder.

Qu'entends-je ?

ERIPHIL E.

CLYTEM NESTRE.

Je vous vois rougir de cet outrage.
Il faut d'un noble orgueil armer votre courage.
Moi-même, de l'ingrat approuvant le deffein,
Je vous l'ai dans Argos préfenté de ma main;
Et mon choix, que flattoit le bruit de fa nobleffe,
Vous donnoit avec joie au fils d'une Déeffe.

« PreviousContinue »