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Et ton père, du refte infortuné témoin,
Ne me permît jamais de pénétrer plus loin.
Hélas, dans cette Troye, où j'étois attendue,
Ma gloire, difoit-il, m'alloit être rendue!
J'allois, en reprenant & mon nom & mon rang,
Des plus grands Rois, en moi, reconnoître le fang.
Déja je découvrois cette fameuse Ville.

Le Ciel mène à Lesbos l'impitoyable Achille;
Tout cède, tout reffent fes funeftes efforts.
Ton père, enfeveli dans la foule des morts,
Me laiffe dans les fers, à moi-même inconnue;
Et de tant de grandeurs, dont j'étois prévenue,
Vile efclave des Grecs, je n'ai pu conferver
Que la fierté d'un fang que je ne puis prouver.

DORIS.

Ah, que perdant, Madame, un témoin fi fidèle,
La main qui vous l'ôta vous doit fembler cruelle !
Mais Calchas eft ici, Calchaş fi renommé,
Qui des fecrets des Dieux fut toujours informé.
Le Ciel fouvent lui parle. Inftruit par un tel maître,
Il fait tout ce qui fut, & tout ce qui doit être.
Pourroit-il de vos jours ignorer les auteurs?

Ce camp même est pour vous tout plein de protecteurs.
Bientôt Iphigénie, en époufant Achille,
Vous va, fous fon appui, préfenter un asyle;
Elle vous l'a promis & juré devant moi.
Ce gage eft le premier qu'elle attend de fa foi.

N

ERIPHILE.

Que dirois-tu, Doris, fi, passant tout le refle,
Cet hymen, de mes maux étoit le plus funefte!

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ERIPHILE.

Tu vois, avec étonnement,

Que ma douleur ne fouffre aucun foulagement.
Ecoute, & tu te vas étonner que je vive.
C'est peu d'être étrangère, inconnue & captive.
Ce deftructeur fatal des triftes Lesbiens,
Cet Achille, l'auteur de tes maux & des miens,
Dont la fanglante main m'enleva prifonnière;
Qui m'arracha d'un coup ma naissance & ton père;
De qui, jufques au nom, tout doit m'être odieux,
Eft de tous les Mortels le plus cher à mes yeux.

DORIS.

Ah, que me dites-vous?

ERIPHILE.

Je me flattois fans ceffe

Qu'un filence éternel cacheroit ma foiblesse.
Mais mon cœur trop preffé m'arrache ce difcours,
Et te parle une fois, pour se taire toujours.
Ne me demande point fur quel efpoir fondée,
De ce fatal amour je me vis poffédée.

Je n'en accuse point quelques feintes douleurs,
Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.
Le Ciel s'eft fait, fans doute, une joie inhumain
A rassembler fur moi tous les traits de fa haine.

Rappellerai-je encor le fouvenir affreux

13

Du jour qui, dans les fers, nous jetta toutes deux ;
Dans les cruelles mains, par qui je fus ravie,
Je demeurai long-tems fans lumière & fans vie.
Enfin mes foibles yeux cherchèrent la clarté ;
Et, me voyant preffer d'un bras enfanglanté,
Je frémiffois, Doris, & d'un vainqueur fauvage
Craignois de rencontrer l'effroyable vifage.
J'entrai dans fon vaiffeau, déteftant fa fureur,
Et toujours détournant ma vue avec horreur.
Je le vis. Son afpect n'avoit rien de farouche.
Je fentis le reproche expirer dans ma bouche.
Je fentis contre moi mon cœur fe déclarer;
J'oubliai ma colère, & ne fus que pleurer.
Je me laiffai conduire à cet aimable guide.
Je l'aimois à Lesbos, & je l'aime en Aulide.
Iphigénie enfin s'offre à me protéger,
Et me tend une main prompte à me foulager.
Trifte effet des fureurs dont je fuis tourmentée!
Je n'accepte la main qu'elle m'a présentée,
Que pour m'armer contre elle; &, fans me découvrir,
Traverfer fon bonheur que je ne puis fouffrir.

DORIS.

Et que pourroit contre elle une impuiffante haine?
Ne valoit-il pas mieux, renfermée à Mycène,
Eviter les tourmens que vous venez chercher,
Et combattre des feux contraints de fe cacher?

ERIPHILE.

Je le voulois, Doris. Mais, quelque triste image
Que fa gloire à mes yeux montrât fur ce rivage,
Au fort qui me traînoit il fallut consentir.
Une fecrette voix m'ordonna de partir;
Me dit qu'offrant ici ma présence importune,
Peut-être j'y pourrois porter mon infortune;
Que peut-être, approchant ces amans trop heureux,
Quelqu'un de mes malheurs fe répandroit fur eux.
Voilà ce qui m'amène, & non l'impatience
D'apprendre à qui je dois une trifte naissance;
Ou plutôt leur hymen me fervira de loi;
S'il s'achève, il fuffit, tout eft fini pour moi.
Je périrai, Doris; & par une mort prompte,
Dans la nuit du tombeau j'enfermerai ma honte,
Sans chercher des parens fi long-tems ignorés,
Et que ma folle amour a trop déshonorés.

DORIS.

Que je vous plains, Madame! Et que pour votre vie...

ERIPHILE.

Tu vois Agamemnon avec Iphigénie.

SCENE 11.

AGAMEMNON, IPHIGÉNIE, ERIPHILE,

DORIS.

IPHIGÉNIE.

EIGNEUR, où courez-vous ! Et quels empreffemens Vous dérobent fi-tôt à nos embraffemens ?

A qui dois-je imputer cette fuite foudaine?
Mon respect a fait place aux transports de la Reine;
Un moment, à mon tour, ne vous puis-je arrêter?
Et ma joie, à vos yeux, n'ofe-t-elle éclater?

Ne puis-je...

AGAMEMNON.

Hé bien, ma fille, embraffez votre père;

Il vous aime toujours.

IPHIGÉNIE.

Que cette amour m'est chère l Quel plaifir de vous voir & de vous contempler Dans ce nouvel éclat dont je vous vois briller! Quels honneurs! Quel pouvoir! Déja la renommée Par d'étonnans récits m'en avoit informée. Mais que, voyant de près ce spectacle charmant, Je fens croître ma joie & mon étonnement ! Dieux, avec quel amour la Grèce vous révère ! Quel bonheur de me voir la fille d'un tel père !

AGAMEMNON.

Vous méritiez, ma fille, un père plus heureux.

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