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ACHILL E.

Ainfi, pour vous venger, tant de Rois affemblés,
D'un opprobre éternel retourneront comblés,
Et Pâris, couronnant fon infolente flamme,
Retiendra fans péril la fœur de votre femme.

A GAMEMNON.

Hé quoi! votre valeur, qui nous a devancés,
N'a-t-elle pas pris foin de nous venger

affez?

Les malheurs de Lesbos par vos mains ravagée,
Epouvantent encor toute la mer Egée:

Troye en a vu la flamme; &, jufques dans fes ports,
Les flots en ont pouffé les débris & les morts.
Que dis-je ? Les Troyens pleurent une autre Hélène
Que vous avez captive envoyée à Mycène.
Car, je n'en doute point, cette jeune Beauté
Garde en vain un fecret que trahit sa fierté ;
Et fon filence même accufant fa nobleffe,
Nous dit qu'elle nous cache une illuftre Princesse.

A CHILL E.

Non, non, tous ces détours font trop ingénieux.
Vous lifez de trop loin dans les fecrets des Dieux.
Moi, je m'arrêterois à de vaines menaces,
Et je fuirois l'honneur qui m'attend fur vos traces!
Les Parques à ma mère, il eft vrai, l'ont prédit,
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans fon lit.

Je puis choifir, dit-on, ou beaucoup d'ans fans gloire,
Ou peu de jours fuivis d'une longue mémoire.
Mais puifqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrois-je, de la terre inutile fardo,

Trop avare d'un fang reçu d'une Déesse,
Attendre chez mon père une obscure vieillesse ;
Et, toujours de la gloire évitant le fentier,
Ne laiffer aucun nom, & mourir tout entier ?
Ah, ne nous formons point ces indignes obstacles!
L'honneur parle, il suffit, ce sont-là nos oracles.
Les Dieux font de nos jours les maîtres fouverains;
Mais, Seigneur, notre gloire eft dans nos propres mains.
Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes?
Ne fongeons qu'à nous rendre immortels` comme eux-
mêmes,

Et, laiffant faire au fort, courons où la valeur
Nous promet un deftin auffi grand que le leur.

C'eft à Troye, & j'y cours; &, quoiqu'on me prédife,
Je ne demande aux Dieux qu'un vent qui m'y conduife;
Et quand moi feul enfin il faudroit l'affiéger,
Patrocle & moi, Seigneur, nous irons vous venger.
Mais non, c'eft en vos mains que le deflin la livre.
Je n'aspire, en effet, qu'à l'honneur de vous fuivre.
Je ne vous preffe plus d'approuver les transports
D'un amour qui m'alloit éloigner de ces bords;
Ce même amour, foigneux de votre renommée,
Veut qu'ici mon exemple encourage l'armée;
Et me défend, fur-tout, de vous abandonner
Aux timides conseils qu'on ofe vous donner.

SCENE 111

SCENE III.

AGAMEMNON, ULYSSE.

SEIGNEUR,V

ULYSS E.

EIGNEUR, vous entendez. Quelque prix qu'il en coûte, Il veut voler à Troye, & pourfuivre fa route. rà

Nous craignions fon amour. Et lui-même aujourd'hui, Par une heureufe erreur, nous arme contre lui.

Hélas!

AGAMEMNON.

ULYSS E.

De ce foupir que faut-il que j'augure? Du fang qui fe révolte eft-ce quelque murmure? Croirai-je qu'une nuit a pû vous ébranler? Eft-ce donc votre cœur qui vient de nous parler ? Songez-y; vous devez votre fille à la Grèce : Vous nous l'avez promife; &, fur cette promeffe, Calchas, par tous les Grecs confulté chaque jour, Leur a prédit des vents l'infaillible retour. A fes prédictions fi l'effet eft contraire, Penfez-vous que Calchas continue à fe taire ? Que fes plaintes, qu'en vain vous voudrez appaifer, Laiffent mentir les Dieux, fans vous en accufer? Et qui fait ce qu'aux Grecs, fruftrés de leur victime, Peut permettre un courroux qu'ils croiront légitime? Gardez-vous de réduire un peuple furieux, Seigneur, à prononcer entre vous & les Dieux.

Tome II.

N

N'est-ce pas vous enfin, de qui la voix preffante
Nous a tous appellés aux campagnes du Xanthe?
Et qui, de Ville en Ville, atteftiez les fermens,
Que d'Hélène autrefois firent tous les amans,
Quand prefque tous les Grees, rivaux de votre frère,
La demandoient en foule à Tyndare son père ?

De quelque heureux époux que l'on dût faire choix,
Nous jurâmes, dès-lors, de défendre fes droits;
Et, fi quelque infolent lui voloit fa conquête,
Nos mains du raviffeur lui promirent la tête.
Mais, fans vous, ce ferment que l'amour a dicté,
Libres de cet amour, l'aurions-nous respecté ?
Vous feul, nous arrachant à de nouvelles flammes,
Nous avez fait laisser nos enfans & nos femmes.
Et quand, de toutes parts, affemblés en ces lieux,
L'honneur de vous venger brille feul à nos yeux;
Quand la Grèce, déja vous donnant son fuffrage,
Vous reconnoît l'auteur de ce fameux ouvrage;
Que fes Rois, qui pouvoient vous disputer ce rang,
Sont prêts, pour vous fervir, de verfer tout leur fang;
Le feul Agamemnon, refufant la victoire,

N'ofe d'un peu de fang acheter tant de gloire ?
Et, dès le premier pas, fe laiffant effrayer,
Ne commande les Grecs que pour les renvoyer?

AGAMEMNON.

Ah, Seigneur, qu'éloigné du malheur qui m'opprime, Votre cœur aisément fe montre magnanime!

Mais

que, fi vous voyiez, ceint du bandeau mortel, Votre fils Télémaque approcher de l'autel,

Nous vous verrions, troublé de cette affreuse image,
Changer bientôt en pleurs ce fuperbe langage,
Eprouver la douleur que j'éprouve aujourd'hui,
Et courir vous jetter entre Calchas & lui.
Seigneur, vous le favez, j'ai donné ma parole,
Et, fi ma fille vient, je confens qu'on l'immole.
Mais, malgré tous mes foins, fi fon heureux deftin
La retient dans Argos, ou l'arrête en chemin ;
Souffrez que, fans preffer ce barbare fpectacle,
En faveur de mon fang j'explique cet obftacle;
Que j'ofe pour ma fille accepter le fecours

De quelque Dieu plus doux qui veille fur fes jours.
Vos confeils fur mon cœur n'ont eu que trop d'empire;
Et je rougis...

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La Reine, dont ma course a devancé les pas,

Va remettre bientôt fa fille entre vos bras;

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