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Mais des noeuds plus puiffans me retiennent le bras.
Ma fille, qui s'approche & court à fon trépas,
Qui, loin de foupçonner un arrêt fi févère,
Peut-être s'applaudit des bontés de fon père;

Ma fille... Ce nom feul, dont les droits font fi faints,
Sa jeuneffe, mon fang, n'eft pas ce que je plains.
Je plains mille vertus, une amour mutuelle ;
Sa piété pour moi, ma tendresse pour elle;
Un refpect qu'en fon cœur rien ne peut balancer,
Et que j'avois promis de mieux récompenser.
Non, je ne croirai point, ô Ciel, que ta juftice
Approuve la fureur de ce noir facrifice!

Tes oracles, fans doute, ont voulu m'éprouver;
Et tu me punirois fi j'ofois l'achever.
Arcas, je t'ai choifi pour cette confidence;
Il faut montrer ici ton zèle & ta prudence.
La Reine, qui dans Sparte avoit connu ta foi,
T'a placé dans le rang que tu tiens près de moi.
Prends cette lettre. Cours au-devant de la Reine;
Et fuis, fans t'arrêter, le chemin de Mycène.
Dès
que tu la verras défends-lui d'avancer;
Et rends-lui ce billet que je viens de tracer.
Mais ne t'écarte point. Prends un fidèle guide.
Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide,
Elle eft morte. Calchas, qui l'attend en ces lieux,
Fera taire nos pleurs, fera parler les Dieux ;
Et la Religion, contre nous irritée,

Par les timides Grecs fera feule écoutée.

Ceux-mêmes dont ma gloire aigrit l'ambition,
Réveilleront leur brigue & leur prétention;
M'arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse...
Va, dis-je, fauve-la de ma propre foibleffe.
Mais fur-tout ne va point, par un zèle indifcret,
Découvrir à fes yeux mon funeste secret.
Que, s'il fe peut, ma fille, à jamais abusée,
Ignore à quel péril je l'avois expofée.
D'une mère en fureur épargne-moi les cris,
Et que ta voix s'accorde avec ce que j'écris.
Pour renvoyer la fille, & la mère offensée,
Je leur écris qu'Achille a changé de pensée ;
Et qu'il veut déformais, jufques à fon retour,
Différer cet hymen que preffoit fon amour.
Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille,
On accufe en fecret cette jeune Eriphile
Que lui-même captive amena de Lesbos,
Et qu'auprès de ma fille on garde dans Argos.
C'eft leur en dire affez. Le refte, il le faut taire.
Déja le jour plus grand nous frappe & nous éclaire.
Déja même l'on entre, & j'entends quelque bruit.
C'eft Achille. Va, pars. Dieux, Ulyffe le suit !

1

SCENE I 1.

AGAMEMNON, ACHILLE, ULYSSE

AGAMEMNON.

Quor, Seigneur, fe peut-il que d'un cours fi rapide,

La victoire vous ait ramené dans l'Aulide?
D'un courage naissant font-ce là les essais !
Quels triomphes fuivront de fi nobles fuccès !
La Theffalie entière, ou vaincue, ou calmée;
Lesbos même conquise en attendant l'armée,
De toute autre valeur éternels monumens,
Ne font d'Achille oifif que les amusemens.

A CHILLE.

Seigneur, honorez moins une foible conquête ;
Et que puiffe bientôt le Ciel, qui nous arrête,
Ouvrir un champ plus noble à ce cœur excité
Par le prix glorieux dont vous l'avez flatté.
Mais cependant, Seigneur, que faut-il que je croie
D'un bruit qui me surprend, & me comble de joie?
Daignez-vous avancer le fuccès de mes vœux?
Et bientôt des mortels fuis-je le plus heureux?
On dit qu'Iphigénie, en ces lieux amenée,
Doit bientôt à fon fort unir ma destinée.

AGAMEMNON.

Ma fille? Qui vous dit qu'on la doit amener ?

A CHILL E.

Seigneur, qu'a donc ce bruit qui vous doive étonner?

AGAMEMNON à Ulye.

Jufte Ciel! fauroit-il mon funefte artifice?

ULYSSE.

Seigneur, Agamemnon s'étonne avec justice.
Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous?
O Ciel! pour un hymen quel tems choififfez-vous ?
Tandis qu'à nos vaiffeaux la mer toujours fermée,
Trouble toute la Grèce, & confume l'armée;

Tandis que, pour

fléchir l'inclémence des Dieux, Il faut du fang, peut-être, & du plus précieux, Achille feul, Achille à fon amour s'applique? Voudroit-il infulter à la crainte publique ?

Et

que le Chef des Grecs, irritant les deftins, Préparât d'un hymen la pompe & les feftins? Ah, Seigneur, eft-ce ainfi que votre ame attendrie Plaint le malheur des Grecs, & chérit la patrie?

A CHILLE.

Dans les champs Phrygiens les effets feront foi,
Qui la chérit le plus ou d'Ulyffe ou de moi.
Jufques-là je vous laiffe étaler votre zèle.

pour

elle.

Vous
à loifir faire des vœux
pouvez
Rempliffez les Autels d'offrandes & de fang;
Des victimes vous-même interrogez le flanc;
Du filence des vents demandez-leur la caufe:
Mais moi, qui de ce foin fur Calchas me repofe,
Souffrez, Seigneur, fouffrez que je coure hâter
Un hymen, dont les Dieux ne fauroient s'irriter.

Tranfporté d'une ardeur qui ne peut être oifive,
Je rejoindrai bientôt les Grecs fur cette rive.
J'aurois trop de regret, fi quelqu'autre guerrier
Au rivage Troyen defcendoit le premier.

AGAMEMNON.

O Ciel! pourquoi faut-il que ta fecrette envie
Ferme à de tels Héros le chemin de l'Afie?
N'aurai-je vu briller cette noble chaleur,

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Qu'il faut, Princes, qu'il faut que chacun se retire;
Que d'un crédule espoir, trop long-tems abusés,
Nous attendons les vents, qui nous font refufés.
Le Ciel protège Troye; &, par trop de préfages,
Son courroux nous défend d'en chercher les passages.
ACHILLE.

Quels préfages affreux nous marquent fon courroux ?

AGAMEMNON.

Vous-même confultez ce qu'il prédit de vous.
Que fert de fe flatter? On fair qu'à votre tête
Les Dieux ont d'llion attaché la conquête,
Mais on fait que, pour prix d'un triomphe fi beau,
Ils ont aux champs Troyens marqué: votre tombeau;
Que votre vie ailleurs, & longue & fortunée,
Devant Troye, en fa fleur, doit être moissonnée.

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