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Marchons, & dans fon fein rejettons cette guerre

Que fa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérans fi fiers ;
Qu'ils tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme,
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans fon fang justement répandu.
Brûlons ce Capitole, où j'étois attendu.
Détruifons fes honneurs, & faifons difparoître
La honte de cent Rois, & la mienne peut-être :
Et, la flamme à la main, effaçons tous ces noms
Que Rome y confacroit à d'éternels affronts.
Voilà l'ambition dont mon ame eft faifie.
Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Afie,
J'en laiffe les Romains tranquilles poffeffeurs.
Je fais où je lui dois trouver des défenseurs.
Je veux que d'ennemis, par-tout enveloppée,
Rome rappelle en vain le fecours de Pompée.
Le Parthe, des Romains, comme moi, la terreur,
Confent de fuccéder à ma jufte fureur,

Prêt d'unir avec moi fa haine & fa famille,

Il me demande un fils pour époux à fa fille.
Cet honneur vous regarde, & j'ai fait choix de vous,
Pharnace. Allez, foyez ce bienheureux époux.
Demain, fans différer, je prétends que l'aurore
Découvre mes vaiffeaux déja loin du Bofphore.
Vous, que rien n'y retient, partez dès ce moment,
Et méritez mon choix par votre empreffement.

Achevez cet hymen. Et, repaffant l'Euphrate,
Faites voir à l'Afie un autre Mithridate.
Que nos tyrans communs en pâliffent d'effroi,
Et que le bruit à Rome en vienne jufqu'à moi.

P HARNACE.

Seigneur, je ne vous puis déguiser ma surprise.
J'écoute avec transport cette grande entreprise;
Je l'admire. Et jamais un plus hardi deffein
Ne mit à des vaincus les armes à la main.
Sur-tout, j'admire en vous ce cœur infatigable,
Qui semble s'affermir fous le faix qui l'accable.
Mais, fi j'ofe parler avec fincérité,

En êtes-vous réduit à cette extrémité ?
Pourquoi tenter fi loin des courfes inutiles,
Quand vos Etats encor vous offrent tant d'afyles?
Et vouloir affronter des travaux infinis,
Dignes plutôt d'un Chef de malheureux bannis,
Que d'un Roi qui, n'aguère, avec quelque apparence,
De l'aurore au couchant portoit fon espérance;
Fondoit fur trente Etats fon trône floriffant,
Dont le débris eft même un Empire puissant?
Vous feul, Seigneur, vous seul, après quarante années,
Pouvez encor lutter contre les destinées.

Implacable ennemi de Rome & du repos,

Comptez-vous vos foldats pour autant de héros?
Penfez-vous que ces cœurs, tremblans de leur défaite,
Fatigués d'une longue & pénible retraite,

Cherchent avidement, fous un ciel étranger,

K▾

La mort & le travail, pire qne le danger?
Vaincus plus d'une fois, aux yeux de la Patrie,
Soutiendront-ils ailleurs un vainqueur en furie?
Sera-t-il moins terrible, & le vaincront-ils mieux
Dans le fein de fa Ville, à l'afpect de fes Dieux?
Le Parthe vous recherche, & vous demande un gendre ;
Mais ce Parthe, Seigneur, ardent à nous défendre
Lorfque tout l'Univers fembloit nous protéger,
D'un gendre, fans appui, voudra-t-il se charger?
M'en irai-je, moi feul, rebut de la fortune,
Effuyer l'inconftance au Parthe fi commune;
Et, peut-être, pour fruit d'un téméraire amour,
Expofer votre nom au mépris de fa Cour?
Du moins, s'il faut céder; fi, contre notre usage,
Il faut d'un fuppliant emprunter le vifage,
Sans m'envoyer du Parthe embraffer les genoux,
Sans vous-même implorer des Rois moindres que vous,
Ne pourrions-nous pas prendre une plus fûre voie?
Jettons-nous dans les bras qu'on nous tend avec joie.
Rome, en votre faveur, facile à s'appaiser...

XIPHARÈS.

Rome, mon frère! O Ciel! qu'ofez-vous propofer?
Voulez-vous que le Roi s'abaiffe & s'humilie?
Qu'il démente, en un jour, tout le cours de fa vie?
Qu'il fe fie aux Romains, & fubiffe des loix
Dont il a, qurante ans, défendu tous les Rois?
Continuez, Seigneur. Tout vaincu que vous êtes,
La guerre, les périls, font vos feules retraites.

Rome pourfuit en vous un ennemi fatal,

Plus conjuré contre elle, & plus craint qu'Annibal.
Tout couvert de fon fang, quoi que vous puiffiez faire,
N'en attendez jamais qu'une paix fanguinaire,
Telle qu'en un feul jour, un ordre de vos mains
La donna dans l'Afie à cent mille Romains.
Toutefois, épargnez votre tête facrée.
Vous-même n'allez point, de contrée en contrée,
Montrer aux Nations Mithridate détruit,
Et de votre grand nom diminuer le bruit.
Votre vengeance eft jufte; il la faut entreprendre.
Brûlez le Capitole, & mettez Rome en cendre.
Mais c'eft affez pour vous d'en ouvrir les chemins,
Faites porter ce feu par de plus jeunes mains;
Et tandis que l'Afie occupera Pharnace,

De cette autre entreprise honorez mon audace.
Commandez. Laiffez-nous, de votre nom suivis,
Juftifier par-tout que nous fommes vos fils.
Embrafez, par nos mains, le couchant & l'aurore.
Rempliffez l'Univers, fans fortir du Bofphore.
Que les Romains, preffés de l'un à l'autre bout,
Doutent où vous ferez, & vous trouvent par-tout.
Dès ce même moment ordonnez que je parte.
Ici tout vous retient, & moi, tout m'en écarte ;
Et, fi ce grand deffein surpasse ma valeur,
Du moins ce défefpoir convient à mon malheur.
Trop heureux d'avancer la fin de ma mifère,
J'irai... J'effacerai le crime de ma mère,

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(Se jettant aux pieds de Mithridate.)
Seigneur, vous m'en voyez rougir à vos genoux.
J'ai honte de me voir fi peu digne de vous.
Tout mon fang doit laver une tache fi noire.
Mais je cherche un trépas utile à votre gloire;
Et Rome, unique objet d'un défespoir fi beau
Du fils de Mithridate eft le digne tombeau.

MITHRIDATE fe levant.

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Mon fils, ne parlons plus d'une mère infidelle.
Votre père eft content, il connoît votre zèle,
Et ne vous verra point affronter le danger,
Qu'avec vous fon amour ne veuille partager.
Vous me fuivrez, je veux que rien ne nous sépare.
Et vous, à m'obéir, Prince qu'on fe prépare.
Les vaiffeaux font tout prêts. J'ai moi-même ordonné
La fuite & l'appareil qui vous eft deftiné.
Arbate, à cet hymen chargé de vous conduire,
De votre obéiffance aura foin de m'inftruire.
Allez ; &, foutenant l'honneur de vos ayeux,
Dans cet embraffement recevez mes adieux.

PHARNACE.

Seigneur...

MITHRIDATE.

Ma volonté, Prince, vous doit fuffire.

Obéiffez. C'eft trop vous le faire redire.

PHARNA CE.

Seigneur, fi, pour vous plaire, il ne faut que périr,

Plus ardent qu'aucun autre, on m'y verra courir.

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