Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Retirez-vous, vous dis-je, & ne répliquez pas.

Gardes, qu'on la retienne.

SCENE III.

ROXANE, ZATIM E.

ROXAN E.

OUI,

UI, tout eft prêt, Zatime,

Orcan & les muets attendent leur victime.
Je fuis pourtant toujours maîtreffe de fon fort.
Je puis le retenir. Mais s'il fort, il est mort.
Vient-il?

ZATIM E.

Oui, fur mes pas un Efclave l'amène ;
Et, loin de foupçonner fa difgrace prochaine,
Il m'a paru, Madame, avec empreffement

Sortir

pour vous chercher, de fon appartement.

ROXAN E.

Ame lâche, & trop digne enfin d'être déçue,
Peux-tu fouffrir encor qu'il paroiffe à ta vue?
Crois-tu, par tes discours, le vaincre ou l'étonner ›
Quand même il fe rendroit, peux-tu lui pardonner
Quoi, ne devrois-tu pas être déja vengée?
Ne crois-tu pas encore être affez outragée ?
Sans perdre tant d'efforts fur ce cœur endurci,
Que ne le laiffons-nous périr?... Mais le voici.

SCENE IV.

BAJAZET, ROXAN E.

ROXAN E.

JE ne vous ferai point de reproches frivoles;

Les momens font trop chers pour les perdre en paroles.
Mes foins vous font connus. En un mot, vous vivez,
Et je ne vous dirois que ce que vous favez.
Malgré tout mon amour, fi je n'ai pû vous plaire,
Je n'en murmure point. Quoiqu'à ne vous rien taire,
Ce même amour, peut-être, & ces mêmes bienfaits,
Auroient dû fuppléer à mes foibles attraits.
Mais je m'étonne enfin que, pour reconnoiffance,
Pour prix de tant d'amour, de tant de confiance,
Vous ayez fi long-tems, par des détours fi bas,
Feint un amour pour moi que vous ne fentiez pas.

BAJAZ E T.

Qui, moi, Madame ?

ROXAN E.

Oui, toi. Voudrois-tu point encore

Me nier un mépris que tu crois que j'ignore ?
Ne prétendrois-tu point, par tes fauffes couleurs,
Déguifer un amour qui te retient ailleurs ;
Et me jurer enfin, d'une bouche perfide,
Tout ce que tu ne fens que pour ton Atalide ?

Be A JAZE T.

Atalide, Madame! O Ciel! qui vous a dit...

ROXAN E.

Tiens, perfide, regarde, & démens cet écrit.

BAJA ZET après avoir regardé la lettre.
Je ne vous dis plus rien. Cette lettre fincère
D'un malheureux amour contient tout le mystère.
Vous favez un fecret que, tout prêt à s'ouvrir,
Mon cœur a mille fois voulu vous découvrir.
J'aime, je le confeffe. Et devant que votre ame,
Prévenant mon espoir, m'eût déclaré fa flamme,
Déja plein d'un amour dès l'enfance formé,
A tout autre defir mon cœur étoit fermé.
Vous me vîntes offrir & la vie & l'Empire,
Et même votre amour, fi j'ose vous le dire,
Confultant vos bienfaits, les crut, &, fur leur foi,
De tous mes fentimens vous répondit pour
Je connus votre erreur. Mais que pouvois-je faire ?
Je vis, en même tems, qu'elle vous étoit chère.

moi.

Combien le trône tente un cœur ambitieux!
Un fi noble préfent me fit ouvrir les yeux.
Je chéris, j'acceptai, fans tarder davantage,
L'heureuse occafion de fortir d'efclavage,
D'autant plus qu'il falloit l'accepter ou périr:
D'autant plus que vous-même, ardente à me l'offrir,
Vous ne craigniez rien tant que d'être refusée ;
Que même mes refus vous auroient expofée;
Qu'après avoir ofé me voir & me parler,

Il étoit dangereux pour vous de reculer.

Cependant je n'en veux pour témoins que vos plaintes. Ai-je pû vous tromper par des promeffes feintes ? Songez combien de fois vous m'avez reproché

Un filence, témoin de mon trouble caché.

Plus l'effet de vos foins & ma gloire étoient proches,
Plus mon cœur interdit fe faifoit de reproches.
Le Ciel, qui m'entendoit, fait bien qu'en même tems
Je ne m'arrêtois pas à des vœux impuiffans.
Et fi l'effet enfin, fuivant mon espérance,
Eût ouvert un champ libre à ma reconnoiffance,
J'aurois par tant d'honneurs, par tant de dignités,
Contenté votre orgueil, & payé vos bontés.
Que vous-même peut-être...

ROXAN E.

Et que pourrois-tu faire ?

Sans l'offre de ton cœur, par où peux-tu me plaire?
Quels feroient de tes vœux les inutiles fruits?
Ne te fouvient-il plus de tout ce que je fuis?

Maîtreffe du ferrail, arbitre de ta vie,

Et même de l'Etat qu'Amurat me confie,

Sultane, &, ce qu'en vain j'ai cru trouver en toi,
Souveraine d'un cœur qui n'eût aimé que moi,
Dans ce comble de gloire où je fuis arrivée,
A quel indigne honneur m'avois-tu réservée ?
Traînerois-je en ces lieux un fort infortuné,
Vil rebut d'un ingrat que j'aurois couronné,
De mon rang defcendue, à mille autres égale,
Ou la première Efclave, enfin, de ma rivale?
Laiffons ces vains difcours ; &, fans m'importuner,
Pour la dernière fois veux-tu vivre & régner?
J'ai l'ordre d'Amurat, & je puis t'y fouftraire.
Mais tu n'as qu'un moment. Parle.

BAJAZ E T.

Que faut-il faire?

ROXAN E.

Ma rivale eft ici. Suis-moi fans différer.

Dans les mains des muets viens la voir expirer;
Et libre d'un amour, à ta gloire funefte,
Viens m'engager ta foi; le tems fera le refte,
Ta grace eft à ce prix, fi tu veux l'obtenir.

BAJAZ E T.

Je ne l'accepterois que pour vous en punir;
Que pour faire éclater, aux yeux de tout l'Empire,
L'horreur & le mépris que cette offre m'infpire.
Mais à quelle fureur me laiffant emporter,
Contre fes trifles jours vais-je vous irriter?

« PreviousContinue »