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SCENE VII.

ROXANE feule.

De tout ce que je vois, que faut-il que je pense ?

Tous deux à me tromper font-ils d'intelligence?
Pourquoi ce changement, ce difcours, ce départ?
N'ai-je pas même entre eux furpris quelque regard?
Bajazet interdit! Atalide étonnée !

O.Ciel, à cet affront m'auriez-vous condamnée ?
De mon aveugle amour seroient-ce là les fruits?
Tant de jours douloureux, tant d'inquiètes nuits,
Mes brigues, mes complots, ma trahifon fatale,
N'aurois-je tout tenté que pour une rivale ?
Mais peut-être qu'auffi, trop prompte à m'affliger,
J'observe de trop près un chagrin passager.
J'impute à fon amour l'effet de fon caprice.
N'eût-il pas jufqu'au bout conduit fon artifice?
Prêt à voir le fuccès de fon déguisement,
Quoi! ne pouvoit-il pas feindre encore un moment?
Non, non, raffurons-nous. Trop d'amour m'intimide.
Et pourquoi dans fon cœur redouter Atalide?
Quel feroit fon deffein ? Qu'a-t-elle fait pour lui?
Qui de nous deux enfin le couronne aujourd'hui ?
Mais, hélas, de l'amour ignorons-nous l'empire?
Si par quelque autre charme Atalide l'attire,

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Qu'importe qu'il nous doive & le fceptre & le jour?
Les bienfaits dans un cœur balancent-ils l'amour?

Et fans chercher plus loin, quand l'ingrat me fût plaire,
Ai-je mieux reconnu les bontés de fon frère!
Ah, fi d'une autre chaîne il n'étoit point lié,
L'offre de mon hymen l'eût-il tant effrayé?
N'eût-il pas, fans regret, fecondé mon envie?
L'eût-il refusé même aux dépens de sa vie ?
Que de juftes raifons... Mais qui vient me parler?
Que veut-on!

SCENE VIII.

ROXANE, ZATIME.

ZATIM E.

PARDONNE

ARDONNEZ, fi j'ofe vous troubler.

Mais, Madame, un Esclave arrive de l'armée ;
Et, quoique fur la mer la porte fût fermée,
Les Gardes, fans tarder, l'ont ouverte à genoux
Aux ordres du Sultan qui s'adreffent à vous.
Mais, ce qui me furprend, c'eft Orcan qu'il envoie.

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Oui, de tous ceux que le Sultan emploie,

Orcan le plus fidèle à fervir fes deffeins,
Né fous le Ciel brûlant des plus noirs Africains.

Madame, il vous demande avec impatience.
Mais, j'ai cru vous devoir avertir par avance;
Et souhaitant, fur-tout, qu'il ne vous surprît pas,
Dans votre appartement j'ai retenu fes

ROXAN E.

pas.

Quel malheur imprévu vient encor me confondre?
Quel peut être cet ordre, & que puis-je répondre?
Il n'en faut point douter, le Sultan inquiet
Une feconde fois condamne Bajazet.

On ne peut fur fes jours, fans moi, rien entreprendre.
Tout m'obéit ici. Mais dois-je le défendre?
Quel eft mon Empereur? Bajazet? Amurat?
J'ai trahi l'un; mais l'autre eft peut-être un ingrat.
Le tems preffe; que faire en ce doute funefte?
Allons. Employons bien le moment qui nous refte.
Jis ont beau fe cacher, l'amour le plus difcret
Laiffe par quelque marque échapper fon fecret.
Obfervons Bajazet. Etonnons Atalide,
Et couronnons l'ainant, ou perdons le perfide.

Fin du troifiéme Acte.

ACTE I V.

SCENE PREMIERE.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALI D E.

AH! fais-tu mes frayeurs? Sais-tu que dans ces lieux

J'ai vu du fier Orcan le visage odieux ?

En ce moment fatal, que je crains sa venue!
Que je crains... Mais, dis-moi, Bajazet t'a-t-il vue?
Qu'a-t-il dit? Se rend-il, Zaïre, à mes raifons?
Ira-t-il voir Roxane, & calmer fes foupçons?

ZAÏRE.

Il ne peut plus la voir fans qu'elle le commande.
Roxane ainfi l'ordonne; elle veut qu'il l'attende.
Sans doute à cet Esclave elle veut le cacher.
J'ai feint, en le voyant, de ne le point chercher.
J'ai rendu votre lettre, & j'ai pris fa réponse.
Madame, vous verrez ce qu'elle vous annonce.

ATALI D E.

Après tant d'injuftes détours,

Faut-il qu'à feindre encor votre amour me convie?
Mais je veux bien prendre foin d'une vie,
Dont vous jurez que dépendent vos jours.
Je verrai la Sultane; &, par ma complaisance,
Par de nouveaux fermens de ma reconnoiffance,

J'appaiferai,

J'appaiferai, fi je puis, fon courroux. N'exigez rien de plus. Ni la mort, ni vous-même, Ne me ferez jamais prononcer que je l'aime, Puifque jamais je n'aimerai que vous.

Hélas, que me dit-il! Croit-il que je l'ignore!
Ne fais-je pas affez qu'il m'aime, qu'il m'adore?
Eft-ce ainfi qu'à mes vœux il fait s'accommoder?
C'eft Roxane, & non moi, qu'il faut perfuader.
De quelle crainte encor me laiffe-t-il faifie?
Funefte aveuglement! Perfide jaloufie!
Récit menteur! Soupçons que je n'ai pû celer,
Fallcit-il vous entendre, ou falloit-il parler?
C'étoit fait, mon bonheur furpaffoit mon attente.
J'étois aimée, heureuse, & Roxane contente.
Zaïre, s'il fe peut, retourne fur tes pas.
Qu'il l'appaife. Ces mots ne me fuffifent pas.
Que fa bouche, fes yeux, tout l'aflure qu'il l'aime.
Qu'elle le croie enfin. Que ne puis-je moi-même,
Echauffant par mes pleurs fes foins trop languiffans,
Mettre dans fes difcours tout l'amour que je fens !
Mais à d'autres périls je crains de le commettre.
ZAÏRE,

Roxane vient à vous.

ATALI D E.

Ah, cachons cette lettre.

Tome II.

G

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