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Je ne murmure point contre votre bonheur.
Le Ciel, le jufte Ciel vous devoit ce miracle.
Vous favez fi jamais j'y formai quelque obftacle.
Tant que j'ai refpiré, vos yeux me font témoins
Que votre feul péril occupoit tous mes foins;
Et puifqu'il ne pouvoit finir qu'avec ma vie,
C'eft fans regret auffi que je la facrifie.

Il eft vrai, fi le Ciel eut écouté mes vœux,
Qu'il pouvoit m'accorder un trépas plus heureux.
Vous n'en auriez pas moins époufé ma rivale;
Vous pouviez l'affurer de la foi conjugale:
Mais vous n'auriez pas joint à ce titre d'époux,
Tous ces gages d'amour qu'elle a reçus de yous.
Roxane s'eftimoit affez récompensée,
Et j'aurois, en mourant, cette douce pensée,
Que vous ayant moi-même impofé cette loi,
Je vous ai vers Roxane envoyé plein de moi;
Qu'emportant chez les morts toute votre tendreffe,
Ce n'est point un amant en vous que je lui laisse.

BAJAZ E T.

Que parlez-vous, Madame, & d'époux & d'amant?
O Ciel! de ce difcours quel eft le fondement ?
Qui peut vous avoir fait ce récit infidèle ?
Moi, j'aimerois Roxane, ou je vivrois pour elle,
Madame! Ah, croyez-vous que, loin de le penfer,
Ma bouche feulement eût pû le pronocer !
Mais l'un ni l'autre enfin n'étoit point néceffaire.
La Sultane a fuivi son penchant ordinaire;

Et foit qu'elle ait d'abord expliqué mon retour
Comme un gage certain qui marquoit mon amour;
Soit que le tems trop cher la preffât de fe rendre,
A peine ai-je parlé, que, fans prefque m'entendre,
Ses pleurs précipités ont coupé mes difcours.
Elle met dans ma main fa fortune & fes jours;
Et fe fiant enfin à ma reconnoiffance,
D'un hymen infaillible a formé l'efpérance.
Moi-même, rougiffant de fa crédulité,
Et d'un amour fi tendre & fi peu mérité ;
;;
Dans ma confufion que Roxane, Madame,
Attribuoit encore à l'excès de ma flamme,
Je me trouvois barbare, injufte, criminel.
Croyez qu'il m'a fallu dans ce moment cruel,
Pour garder jufqu'au bout un filence perfide,
Rappeller tout l'amour que j'ai pour Atalide.
Cependant quand je viens, après de tels efforts,
Chercher quelque fecours contre tous mes remords,
Vous-même contre moi je vous vois irritée,
Reprocher votre mort à mon ame agitée.
Je vois enfin, je vois qu'en ce même moment
Tout ce que je vous dis vous touche foiblement.
Madame, finiffons & mon trouble & le vôtre.
Ne nous affligeons point vainement l'un & l'autre.
Roxane n'eft pas loin. Laiffez agir ma foi :
J'irai, bien plus content & de vous & de moi,
Détromper fon amour d'une feinte forcée,
Que je n'allois tantôt déguifer ma penfée.
La voici.

ATALID E,

Jufte Ciel! Où va-t-il s'expofer?

Si vous m'aimez, gardez de la défabuser.

SCENE V.

ROXANE, BAJAZET, ATALIDE

V

ROXAN E.

ENEZ, Seigneur, venez. Il eff tems de paroître,
Et que tout le ferrail reconnoiffe fon maître.
Tout ce peuple nombreux, dont il est habité,
Affemblé par mon ordre, attend ma volonté.
Mes Efclaves gagnés, que le refte va fuivre,
Sont les premiers fujets que mon amour vous livre.
L'auriez-vous cru, Madame, & qu'un fr prompt retour's
Fit à tant de fureur fuccéder tant d'amour?
Tantôt, à me venger fixe & déterminée,
Je jurois qu'il voyoit fa dernière journée.
A peine cependant Bajazet m'a parlé,
L'amour fit le ferment, l'amour l'a violé.

J'ai cru dans fon défordre entrevoir fa tendreffe;
J'ai prononcé fa grace, & je crois sa promesse.

BAJAZ E T.

Qui, je vous ai promis, & j'ai donné ma foi,
De n'oublier jamais tout ce que je vous doi.
J'ai juré que mes foins, ma jufte complaifance,
Vous répondront toujours de ma reconaoiffance.

Si je puis à ce prix mériter vos bienfaits,
Je vais de vos bontés attendre les effets.

SCENE VI.

ROXANE, ATALIDE.

ROXAN E.

De quel étonnement, ô Ciel, suis-je frappée !

E

Eft-ce un fonge? Et mes yeux ne m'ont-ils point trompée ?
Quel eft ce fombre accueil & ce difcours glacé,
Qui femble révoquer tout ce qui s'eft paffé?
Sur quel efpoir croit-il que je me fois rendue,
Et qu'il ait regagné mon amitié perdue ?

J'ai cru qu'il me juroit que, jufques à la mort
Son amour me laiffoit maîtreffe de fon fort.
Se repent-il déja de m'avoir appaisée!

Mais moi-même tantôt me ferois-je abufée?

Ah!... Mais il vous parloit. Quels étoient fes difcours,, Madame ?

ATALID E.

Moi, Madame! Il vous aime toujours..

ROXAN E..

Hy va de fa vie, au moins que je le croie..
Mais, de grace, parmi tant de fujets de joie,
Répondez-moi : Comment pouvez-vous expliquen
Ce chagrin qu'en fortant il m'a fait remarquer 2

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Ᏼ Ꭺ Ꭻ Ꭺ Ꮓ Ꭼ Ꭲ,

ATALI DE.

Madame, ce chagrin n'a point frappé ma vûe.
Il m'a de vos bontés long-tems entretenue,
Il en étoit tout plein quand je l'ai rencontré.
J'ai cru le voir fortir tel qu'il étoit entré.
Mais, Madame, après tout, faut-il être surprise
Que, tout près d'achever cette grande entreprise,
Bajazet s'inquiète, & qu'il laiffe échapper
Quelque marque des foins qui doivent l'occuper ?

ROXAN E.

Je vois qu'à l'excuser votre adresse est extrême.
Vous parlez mieux pour lui qu'il ne parle lui-même.

ATALID E.

Et quel autre intérêt...

ROXAN E.

Madame, c'est assez.
Je conçois vos raifons mieux que vous ne penfez.
Laiffez-moi. J'ai befoin d'un peu de folitude.
Ce jour me jette auffi dans quelque inquiétude.
J'ai, comme Bajazet, mon chagrin & mes foins,
Et je veux un moment y penfer fans témoins.

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