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Moi!

BAJAZE T.

A COMA T.

Ne rougiffez point. Le fang des Ottomans Ne doit point en esclave obéir aux fermèns. Confultez ces Héros, que le droit de la guerre Mena victorieux jusqu'au bout de la terre. Libres dans leur victoire, & maîtres de leur foi, L'intérêt de l'Etat fut leur unique loi;

Et d'un trône fi faint, la moitié n'est fondée
Que fur la foi promise & rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur.

BAJAZ E T.

Oui, je fais, Acomat,

Jufqu'où les a portés l'intérêt de l'Etat.
Mais ces mêmes Héros, prodigues de leur vie,
Ne la rachetoient point par une perfidie.

A COMA T.

O courage inflexible ! O trop conftante foi,
Que, même en périffant, j'admire malgré moi !
Faut-il qu'en un moment un fcrupule timide
Perde... Mais quel bonheur nous envoie Atalide?

Tome II.

F

SCENE IV.

ATALIDE, BAJAZET, ACOMAT.

A COMA T.

AH, Madame, venez avec moi vous unir.

Il fe perd.

ATALID E.

C'eft de quoi je viens l'entretenir. Mais laiffez-nous. Roxane, à fa perte animée, Veut que de ce Palais la porte foit fermée. Toutefois, Acomat, ne vous éloignez pas ; Peut-être on vous fera revenir fur vos pas.

SCENE V.

BAJAZET, ATALIDE.

BAJAZE T.

Hé bien ! c'eft maintenant qu'il faut que je vous laiffe,

E

Le Ciel punit ma feinte, & confond votre adresse.
Rien ne m'a pû parer contre ces derniers coups ;
Il falloit ou mourir, ou n'être plus à vous.
De quoi nous a fervi cette indigne contrainte?
Je meurs plus tard. Voilà tout le fruit de ma feinte,
Je vous l'avois prédit. Mais vous l'avez voulu.
J'ai reculé vos pleurs autant que je l'ai pû.

Belle Atalide, au nom de cette complaifance,
Daignez de la Sultane éviter la préfence.

Vos pleurs vous trahiroient, cachez-les à fes yeux,
Et ne prolongez point de dangereux adieux.

ATALID E.

Non, Seigneur. Vos bontés pour une infortunée, Ont affez difputé contre la destinée.

Il vous en coûte trop pour vouloir m'épargner. Il faut vous rendre. Il faut me quitter & régner.

Vous quitter?

BAJAZE T.

ATALID E.

Je le veux. Je me fuis confultée. De mille foins jaloux jufqu'alors agitée, Il eft vrai, je n'ai pû concevoir fans effroi, Que Bajazet pût vivre, & n'être plus à moi; Et lorfque quelquefois de ma rivale heureuse Je me repréfentois l'image douloureuse, Votre mort (pardonnez aux fureurs des amans) Ne me paroiffoit pas le plus grand des tourmens. Mais, à mes triftes yeux, votre mort préparée Dans toute fon horreur ne s'étoit pas montrée. Je ne vous voyois pas, ainfi que je vous vois, Prêt à me dire adieu pour la dernière fois. Seigneur, je fais trop bien avec quelle conftance Vous allez de la mort affronter la présence. Je fais que votre coeur fe fait quelques plaifirs De me prouver fa foi dans fes derniers foupirs.

Mais, hélas, épargnez une ame plus timide!
Mesurez vos malheurs aux forces d'Atalide;
Et ne m'expofez point aux plus vives douleurs,
Qui jamais d'une amante épuifèrent les pleurs.

BAJA ZE T.

Et que deviendrez-vous, fi, dès cette journée,
Je célèbre à vos yeux ce funefte hyménée ?

ATALID E.

Ne vous informez point ce que je deviendrai.
Peut-être à mon deftin, Seigneur, j'obéirai.
Que fais-je? A ma douleur je chercherai des charmes.
Je fongerai peut-ètre, au milieu de mes larmes,
Qu'à vous perdre pour moi vous étiez résolu.
Que vous vivez; qu'enfin c'est moi qui l'ai voulu.

BAJAZ E T.

Non, vous ne verrez point cette fête cruelle.
Plus vous me commandez de vous être infidèle,
Madame, plus je vois combien vous méritez
De ne point obtenir ce que vous fouhaitez.

Quoi! cet amour fi tendre, & né dans notre enfance,
Dont les feux, avec nous, ont cru dans le filence;
Vos larmes que ma main pouvoit feule arrêter;
Mes fermens redoublés de ne vous point quitter;
Tout cela finiroit par une perfidie?

J'épouferois, & qui? (s'il faut que je le die)
Une Efclave attachée à ses seuls intérêts,
Qui préfenté à mes yeux des fupplices tout prêts;

Qui m'offre ou fon hymen, ou la mort infaillible;
Tandis qu'à mes périls Atalide fenfible,
Et trop digne du fang qui lui donna le jour,
Veut me facrifier jufques à fon amour.
Ah, qu'au jaloux Sultan ma tête foit portée,
puifqu'il faut à ce prix qu'elle foit rachetée!

ATALI D E.

Seigneur, vous pourriez vivre, & ne me point trahir.

BAJAZE T.

Parlez. Si je le puis, je fuis prêt d'obéir.

ATALI D E.

La Sultane vous aime; &, malgré fa colère,
Si vous preniez, Seigneur, plus de soin de lui plaire;
Si vos foupirs daignoient lui faire preffentir

Qu'un jour...

BAJAZE T.

Je vous entends, je n'y puis confentir.
Ne vous figurez point que, dans cette journée,
D'un lâche défefpoir ma vertu confternée,
Craigne les foins d'un trône où je pourrois monter,
Et par un prompt trépas cherche à les éviter.
J'écoute trop peut-être une imprudente audace.
Mais, fans ceffe occupé des grands noms de ma race,
J'efpérois que, fuyant un indigne repos,

Je prendrois quelque place entre tant de Héros.
Mais quelque ambition, quelque amour qui me brûle,
Je ne puis plus tromper une amante crédule.
En vain, pour me fauver, je vous l'aurois promis.
Et ma bouche & mes yeux, du menfonge ennemis,

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