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ACTE I I.

SCE NE PREMIERE.

BAJAZET, ROXANE.

ROXAN E.

PRINCE, l'heure fatale eft enfin arrivée

Qu'à votre liberté le Ciel a réservée.

Rien ne me retient plus; & je puis, dès ce jour,
Accomplir le deffein qu'a formé mon amour.
Non, que vous affurant d'un triomphe facile,
Je mette entre vos mains un Empire tranquile;
Je fais ce que je puis, je vous l'avois promis.
J'arme votre valeur contre vos ennemis,
J'écarte de vos jours un péril manifefte;
Votre vertu, Seigneur, achevera le refte.
Olmin a vu l'armée; elle panche pour vous.
Les Chefs de notre Loi confpirent avec nous;
Le Vifir Acomat vous répond de Byfance;
Et moi, vous le favez, je tiens fous ma puissance
Cette foule de Chefs, d'efclaves, de muets,
Peuple que dans fes murs renferme ce Palais,
Et dont, à ma faveur, les ames affervies
M'ont vendu, dès long-tems, leur filence & leurs vies
Commencez maintenant. C'eft à vous de courir
Dans le champ glorieux que j'ai fù vous ouvris.

Vous n'entreprenez point une injufte carrière;
Vous repouffez, Seigneur, une main meurtrière.
L'exemple en eft commun; &, parmi les Sultans,
Ce chemin à l'Empire a conduit de tout tems.
Mais, pour mieux commencer, hâtons-nous l'un & l'autre
D'affurer à la fois mon bonheur & le vôtre.

Montrez à l'Univers, en m'attachant à vous,
Que, quand je vous fervois, je fervois mon époux;
Et, par le nœud facré d'un heureux hyménée,
Juftifiez la foi que je vous ai donnée.

BAJAZE T.

Ah, que proposez-vous, Madame!

ROXAN E.

Hé quoi, Seigneur !

Quel obftacle fecret trouble notre bonheur!

BAJAZE T.

Madame, ignorez-vous que l'orgueil de l'Empire...
Que ne m'épargnez-vous la douleur de le dire?

ROXAN E.'

Oui, je fais que depuis qu'un de vos Empereurs,
Bajazet, d'un barbare éprouvant les fureurs,
Vit au char du Vainqueur fon épouse enchaînée,
Et par toute l'Afie à fa fuite traînée,
De l'honneur Ottoman fes fucceffeurs jaloux,
Ont daigné rarement prendre le nom d'époux.
Mais l'amour ne fuit point ces loix imaginaires;
Et, fans vous rapporter des exemples vulgaires,
Soliman, vous favez qu'entre tous vos ayeux,
Dont l'Univers a craint le bras victorieux,

Nul n'éleva fi haut la grandeur Ottomane;

Ce Soliman jetta les yeux fur Roxelane.
Malgré tout fon orgueil, ce Monarque fi fier
A fon trône, à fon lit daigna l'affocier,

Sans qu'elle eût d'autres droits au rang d'Impératrice, Qu'un peu d'attraits peut-être, & beaucoup d'artifice.

BAJAZE T.

Il eft vrai. Mais auffi voyez ce que je puis,
Ce qu'étoit Soliman, & le peu que je fuis.
Soliman jouiffoit d'une pleine puiffance.
L'Egypte ramenée à son obéissance,

Rhodes, des Ottomans ce redoutable écueil,
De tous fes défenfeurs devenu le cercueil,
Du Danube affervi les rives défolées,
De l'Empire Perfan les bornes reculées,

Dans leurs climats brûlans les Africains domptés,
Faifoient taire les loix devant fes volontés.

Que fuis-je ? J'attends tout du peuple & de l'armée.
Mes malheurs font encor toute ma renommée.
Infortuné, profcrit, incertain de régner,

Dois-je irriter les cœurs, au lieu de les gagner?
Témoins de nos plaifirs, plaindront-ils nos miferes?
Croiront-ils mes périls & vos larmes fincères ?
Songez, fans me flatter du fort de Soliman,
Au meurtre tout récent du malheureux Ofman.
Dans leur rébellion les Chefs des Janiffaires,
Cherchant à colorer leurs deffeins fanguinaires,

Se crurent à fa perte affez autorifés

Par le fatal hymen que vous me propofez.
Que vous dirai-je enfin? Maître de leur fuffrage,
Peut-être avec le tems j'oferai davantage.
Ne précipitons rien; & daignez commencer
A me mettre en état de vous récompenfer.

ROXAN E.

Je vous entends, Seigneur. Je vois mon imprudence, Je vois que rien n'échappe à votre prévoyance.

Vous avez preffenti jufqu'au moindre danger,

Où mon amour trop prompt vous. alloit engager.
Pour vous, pour votre honneur vous en craignez les fuites;
Et je le crois, Seigneur, puifque vous me le dites.
Mais avez-vous prévu, fi vous ne m'époufez,
Les périls plus certains où vous vous expofez?
Songez-vous que, fans moi, tout vous devient contraire;
Que c'est à moi, fur-tout, qu'il importe de plaire?
Songez-vous que je tiens les portes du Palais;
Que je puis vous l'ouvrir ou fermer pour jamais ?
Que j'ai fur votre vie un empire fuprême ?
Que vous ne refpirez qu'autant que je vous aime?'
Et, fans ce même amour qu'offensent vos refus,
Songez-vous, en un mot, que vous ne feriez plus?

BAJAZ E T.

Oui. Je tiens tout de vous, & j'avois lieu de croire
Que c'étoit pour vous-même une affez grande gloire,
En voyant devant moi tout l'Empire à genoux,
De m'entendre avouer que je tiens tout de vous.

Je ne m'en défends point. Ma bouche le confeffe,
Et mon refpect faura le confirmer fans ceffe.
Je vous dois tout mon fang. Ma vie eft votre bien.
Mais enfin voulez-vous...

ROXAN E.

Non, je ne veux plus rien.

Ne m'importune plus de tes raifons forcées,

Je vois combien tes voeux font loin de mes pensées;
Je ne te preffe plus, ingrat, d'y consentir,
Rentre dans le néant dont je t'ai fait fortir.
Car enfin qui m'arrête? Et quelle autre affurance
Demanderois-je encor de fon indifférence?
L'ingrat eft-il touché de mes empressemens?
L'amour même entre-t-il dans fes raifonnemens ?
Ah, je vois tes deffeins. Tu crois, quoi que je faffe,
Que mes propres périls t'affurent de ta grace;
Qu'engagée avec toi par de fi forts liens,
Je ne puis séparer tes intérêts des miens.
Mais je m'affure encore aux bontés de ton frère.
Il m'aime, tu le fais; &, malgré fa colère,
Dans ton perfide fang je puis tout expier,
Et ta mort fuffira pour me juftifier.

N'en doute point, j'y cours,
& dès ce moment même.
Bajazet, écoutez, je fens que je vous aime.
Vous vous perdez. Gardez de me laiffer fortir.
Le chemin eft encor ouvert au repentir.
Ne défefpérez point une amante en furie.
S'il m'échappoit un mot, c'eft fait de votre vie.

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