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Ᏼ Ꭺ Ꭻ Ꭺ Ꮓ Ꭼ Ꭲ,

Et, fans fortir du joug où leur loi la condamne,
Il faut qu'un fils naiffant la déclare Sultane.
Amurat plus ardent, & feul, jufqu'à ce jour,
A voulu
que l'on dût ce titre à son amour.
J'en reçus la puiffance auffi-bien que le titre,
Et des jours de fon frère il me laifa l'arbitre.
Mais ce même Amurat ne me promit jamais
Que l'hymen dût un jour couronner fes bienfaits;
Et moi, qui n'afpirois qu'à cette seule gloire,
De fes autres bienfaits j'ai perdu la mémoire.
Toutefois, que fert-il de me juftifier?
Bajazet, il eft vrai, m'a tout fait oublier.

Malgré tous ses malheurs, plus heureux que fon frère,
Il m'a plû, fans peut-être afpirer à me plaire.
Femmes, Gardes, Vifir, pour lui j'ai tout féduit;
En un mot, vous voyez jufqu'où je l'ai conduit,
Graces à mon amour, je me fuis bien fervie.
Du pouvoir qu'Amurat me donna fur fa vie.
Bajazet touche prefque au trône des Sultans:
Il ne faut plus qu'un pas; mais c'eft où je l'attends.
Malgré tout mon amour, fi, dans cette journée,
Il ne m'attache à lui par un jufte hyménée;
S'il ofe m'alléguer une odieufe loi;

Quand je fais tout pour lui, s'il ne fait tout pour moi,
Dès le même moment, fans fonger fi je l'aime,
Sans confulter enfin fi je me perds moi-même,
J'abandonne l'ingrat, & le laiffe rentrer

Dans l'état malheureux d'où je l'ai fû tirer,

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Voilà fur quoi je veux que Bajazet prononce.
Sa perte ou fon falut dépend de fa réponse.
Je ne vous preffe point de vouloir aujourd'hui
Me prêter votre voix pour m'expliquer à lui.
Je veux que, devant moi, fa bouche & fon visage
Me découvrent fon cœur fans me laiffer d'ombrage;
Que lui-même, en fecret amené dans ces lieux,
Sans être préparé fe préfente à mes yeux.
Adieu. Vous faurez tout après cette entrevue.

SCENE I V. ATALIDE, ZAIRE.

ATALI D E.

ZAIRE, c'en eft fait, Atalide est perdue.

Vous ?

ZAÏRE.

ATALID E.

Je prévois déja tout ce qu'il faut prévoir. Mon unique efpérance eft dans mon défespoir.

ZAÏRE.

Mais, Madame,
Madame, pourquoi ?

ATALID E.

Si tu venois d'entendre

Quel funefte deffein Roxane vient de prendre;
Quelles conditions elle veut impofer!

Bajazet doit périr, dit-elle, ou l'épouser.

S'il fe rend, que deviens-je en ce malheur extrême ! Et s'il ne fe rend pas, , que devient-il lui-même !

ZAIRE.

Je conçois ce malheur. Mais, à ne point mentir,
Votre amour, dès long-tems, a dû le preffentir.

ATALI D E.

Ah, Zaïre! l'amour a-t-il tant de prudence?
Tout fembloit avec nous être d'intelligence.
Roxane fe livrant toute entière à ma foi,
Du cœur de Bajazet fe reposoit fur moi;
M'abandonnoit le foin de tout ce qui le touche;
Le voyoit par mes yeux, lui parloit par ma bouche;
Et je croyois toucher au bienheureux moment,
Où j'allois, par fes mains, couronner mon amant.

Le Ciel s'eft déclaré contre mon artifice.
Et que falloit-il donc, Zaïre, que je fiffe?
A l'erreur de Roxane ai-je dû m'oppofer,
Et perdre mon amant pour la défabuser ?
Avant que dans fon cœur cette amour fût formée,
J'aimois, & je pouvois m'affurer d'être aimée.
Dès nos plus jeunes ans, tu t'en fouviens affez,
L'amour ferra les noeuds par le fang commencés.
Elevée avec lui dans le fein de fa mère,
J'appris à diftinguer Bajazet de fon frère;
Elle-même, avec joie, unit nos volontés :
Et, quoiqu'après fa mort l'un de l'autre écartés,
Confervant, fans nous voir, le defir de nous plaire,
Nous avons fû toujours nous aimer & nous taire,

Roxane qui depuis, loin de s'en défier,
A fes deffeins fecrets voulut m'affocier,

Ne put voir, fans amour, ce Héros trop aimable.
Elle courut lui tendre une main favorable.
Bajazet étonné rendit grace à fes foins,
Lui rendit des refpects. Pouvoit-il faire moins!
Mais qu'aifément l'amour croit tout ce qu'il fouhaite!
De fes moindres refpects Roxane fatisfaite,
Nous engagea tous deux, par fa facilité,

A la laiffer jouir de fa crédulité.

Zaïre, il faut pourtant avouer ma foibleffe,

D'un mouvement jaloux je ne fus pas

maîtresse.

Ma rivale, accablant mon amant de bienfaits,
Oppofoit un Empire à mes foibles attraits;
Mille foins la rendoient présente à fa mémoire ;
Elle l'entretenoit de fa prochaine gloire:

Et moi, je ne puis rien. Mon cœur, pour tout discours,
N'avoit que des foupirs qu'il répétoit toujours.

Le Ciel feul fait combien j'en ai verfé de larmes.
Mais, enfin, Bajazet diffipa mes allarmes.

Je condamnai mes pleurs, &, jufques aujourd'hui,
Je l'ai preffé de feindre, & j'ai parlé pour lui.
Hélas, tout eft fini! Roxane méprisée

Bientôt de fon erreur sera désabusée.

Car, enfin, Bajazet ne fait point se cacher;
Je connois fa vertu prompte à s'effaroucher.
Il faut qu'à tous momens, tremblante & fecourable,
Je donne à fes difcours un fens plus favorable.

Bajazet va fe perdre. Ah, fi, comme autrefois,
Ma rivale eût voulu lui parler par ma voix !
Au moins, fi j'avois pû préparer fon visage!
Mais, Zaïre, je puis l'attendre à fon paffage.
D'un mot ou d'un regard je puis le fecourir.
Qu'il l'époufe, en un mot, plutôt que de périr.
Si Roxane le veut, fans doute il faut qu'il meure.
Il fe perdra, te dis-je. Atalide, demeure.
Laiffe, fans t'allarmer, ton amant fur fa foi.
Penfes-tu mériter qu'on fe perde pour toi ?
Peut-être Bajazet, fecondant ton envie,
Plus que tu ne voudras, aura foin de fa vie.
ZAIRE.

Ah, dans quels foins, Madame, allez-vous vous plonger!
Toujours, avant le tems, faut-il vous affliger?
Vous n'en pouvez douter, Bajazet vous adore.
Sufpendez, ou cachez l'ennui qui vous dévore,
N'allez point par vos pleurs déclarer vos amours.
La main qui l'a fauvé le fauvera toujours,
Pourvu qu'entretenue en fon erreur fatale,
Roxane, jufqu'au bout, ignore fa rivale.
Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets,
Et de leur entrevue attendre le fuccès.

ATALID E.

Hé bien, Zaïre, allons. Et toi, fi ta justice
De deux jeunes amans veut punir l'artifice,
O Ciel, fi notre amour eft condamné de toi,
Je fuis la plus coupable, épuise tout fur moi.
Fin du premier Acte.

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