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Par elle Bajazet, en m'approchant de lui,
Me va, contre lui-même, affurer un appui.

Un Vifir aux Sultans fait toujours quelque ombrage;
A peine ils l'ont choifi, qu'ils craignent leur ouvrage.
Sa dépouille eft un bien qu'ils veulent recueillir,
Et jamais leurs chagrins ne nous laiffent vieillir.
Bajazet aujourd'hui m'honore & me careffe ;
Ses périls tous les jours réveillent fa tendresse.
Ce même Bajazet, fur le trône affermi,
Méconnoîtra peut-être un inutile ami.
Et moi, fi mon devoir, fi ma foi ne l'arrête,
S'il ofe quelque jour me demander ma tête...
Je ne m'explique point, Ofmin, mais je prétends
Que, du moins, il faudra la demander long-tems.
Je fais rendre aux Sultans de fidèles fervices;
Mais je laiffe au vulgaire adorer leurs caprices,
Et ne me pique point du fcrupule infenfé
De bénir mon trépas, quand ils l'ont prononcé.
Voilà donc de ces lieux ce qui m'ouvre l'entrée ;
Et comme enfin Roxane à mes yeux s'eft montrée.
Invifible d'abord, elle entendoit ma voix,

Et craignoit du ferrail les rigoureufes loix;
Mais enfin, banniffant cette importune crainte,
Qui dans nos entretiens jettoit trop de contrainte,
Elle-même a choifi cet endroit écarté,

Où nos cœurs à nos yeux parlent en liberté.
Par un chemin obfcur une Esclave me guide,
Et... Mais on vient. C'eft elle & fa chère Atalide.

Demeure; &, s'il le faut, fois prêt à confirmer
Le récit important dont je vais l'informer.

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ROXANE, ATALIDE, ZATIME,

ACOMAT, OSMIN.

A COMA T.

LA vérité s'accorde avec la renommée,
Madame; Ofmin a vu le Sultan & l'armée.
Le fuperbe Amurat eft toujours inquiet,

Et toujours tous les cœurs panchent vers Bajazet;
D'une commune voix ils l'appellent au trône.
Cependant les Perfans marchoient vers Babylone,
Et bientôt les deux camps, aux pieds de fon rempart,
Devoient de la bataille éprouver le hafard.

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Ce combat doit, dit-on, fixer nos destinées;
Et même, fi d'Ofmin je compte les journées,
Le Ciel en a déja réglé l'événement;
Et le Sultan triomphe, ou fuit en ce moment.
Déclarons-nous, Madame, & rompons le filence.
Fermons-lui, dès ce jour, les portes de Byfance;
Et, fans nous informer s'il triomphe ou s'il fuit,
Croyez-moi, hâtons-nous d'en prévenir le bruit.
S'il fuit, que craignez-vous? S'il triomphe, au contraire,
Le confeil le plus prompt eft le plus falutaire.

Vous voudrez, mais trop tard, fouftraire à fon pouvoir
Un peuple, dans fes murs prêt à le recevoir.

Pour moi j'ai fû déja, par mes brigues fecrettes,
Gagner de notre Loi les facrés interprètes.
Je fais combien, crédule en fa dévotion,
Le peuple fuit le frein de la Religion.
Souffrez que Bajazet voie enfin la lumière.
Des murs de ce palais ouvrez-lui la barrière;
Déployez en fon nom cet étendart fatal,
Des extrêmes périls l'ordinaire fignal.
Les peuples, prévenus de ce nom favorable,
Savent que fa vertu le rend feule coupable.
D'ailleurs un bruit confus, par mes foins confirmé,
Fait croire heureufement à ce peuple allarmé,
Qu'Amurat le dédaigne, & veut, loin de Byfance,
Tranfporter déformais fon trône & fa présence.
Déclarons le péril dont fon frère eft preffé.
Montrons l'ordre cruel qui vous fut adressé.
Sur-tout qu'il fe déclare, & fe montre lui-même,
Et faffe voir ce front digne du diadême.

ROXAN E.

Il fuffit. Je tiendrai tout ce que j'ai promis.
Allez, brave Acomat, affembler vos amis.

De tous leurs fentimens venez me rendre compte,
Je vous rendrai moi-même une réponse prompte.
Je verrai Bajazet. Je ne puis dire rien,

Sans favoir fi fon cœur s'accorde avec le mien.

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SCENE II 1.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME.

ROXAN E.

ENFIN, belle Atalide,

N faut de nos deftins que Bajazet décide.
Pour la dernière fois je le vais confulter.
Je vais favoir s'il m'aime.

ATALID E.

Eft-il tems d'en douter,

Madame? Hâtez-vous d'achever votre ouvrage.
Vous avez du Vifir entendu le langage.
Bajazet vous eft cher. Savez-vous fi demain
Sa liberté, fes jours, feront en votre main?
Peut-être en ce moment, Amurat en furie
S'approche pour trancher une fi belle vie.
Et pourquoi de fon cœur doutez-vous aujourd'hui ?

ROXAN E.

Mais m'en répondez-vous, vous qui parlez pour lui?

ATALID E.

Quoi, Madame, les foins qu'il a pris pour vous plaire,
Ce que vous avez fait, ce que vous pouvez faire,
Ses périls, fes refpects, & fur-tout vos appas,
Tout cela de fon cœur ne vous répond-il pas ?
Croyez que vos bontés vivent dans fa mémoire.

ROXANE.

Hélas, pour mon repos que ne le puis-je croire !
Pourquoi faut-il au moins que, pour me confoler,
L'ingrat ne parle pas comme on le fait parler?
Vingt fois, fur vos difcours pleine de confiance,
Du trouble de fon cœur jouiffant par avance,
Moi-même j'ai voulu m'affsurer de sa foi,
Et l'ai fait en fecret amener devant moi.
Peut-être trop d'amour me rend trop difficile.
Mais, fans vous fatiguer d'un récit inutile,
Je ne retrouvois point ce trouble, cette ardeur,
Que m'avoit tant promis ún difcours trop flatteur.
Enfin, fi je lui donne & la vie & l'Empire,
Ces gages incertains ne me peuvent fuffire.

ATALID E.

Quoi donc? A fon amour qu'allez-vous propofer?

ROXAN E.

S'il m'aime, dès ce jour il me doit époufer.

ATALI D E.

Vous époufer! O Ciel, que prétendez-vous faire?

ROXAN E.

Je fais que des Sultans l'ufage m'eft contraire;
Je fais qu'ils fe font fait une fuperbe loi
De ne point à l'hymen affujettir leur foi.
Parmi tant de Beautés qui briguent leur tendreffe,
Ils daignent quelquefois choifir une maîtreffe:
Mais, toujours inquiète avec tous fes appas,
Efclave, elle reçoit fon maître dans fes bras ;

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