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traité I (ex. vIII, n. 59), et il confirme la même chose au traité III (ex. 1, n. 23).

Mon révérend père, lui dis-je, je vois les religieux mieux traités en cela que les autres. Point du tout, dit le père; n'en fait-on pas autant pour tous les mineurs généralement, au nombre desquels les religieux sont toute leur vie? Il est juste de les excepter. Mais, à l'égard de tous les autres, on n'est point obligé de leur rendre ce qu'on reçoit d'eux pour une mauvaise action. Et Lessius le prouve amplement au livre II (de Just., cap. xiv, d. VIII, n. 52): « Car, dit-il, une méchante a action peut être estimée pour de l'argent, en considérant l'avantage << qu'en reçoit celui qui la fait faire, et la peine qu'y prend celui qui « l'exécute et c'est pourquoi on n'est point obligé à restituer ce qu'on << reçoit pour la faire, de quelque nature qu'elle soit, homicide, sen<< tence injuste, action sale (car ce sont les exemples dont il se sert dans << toute cette matière), si ce n'est qu'on eût reçu de ceux qui n'ont pas « le pouvoir de disposer de leur bien. Vous direz peut-être que celui << qui reçoit de l'argent pour un méchant coup pèche, et qu'ainsi il ne « peut ni le prendre, ni le retenir. Mais je réponds qu'après que la << chose est exécutée, il n'y a plus aucun péché ni à payer, ni à en rece<< voir le payement. » Notre grand Filiutius entre plus encore dans le détail de la pratique. Car il marque « qu'on est obligé en conscience de « payer différemment les actions de cette sorte, selon les différentes << conditions des personnes qui les commettent, et que les unes valent << plus que les autres. » C'est ce qu'il établit sur de solides raisons, au traité XXXI (chap. ix, n. 231): Occultæ fornicariæ debetur pretium in conscientia, et multo majore ratione, quam publicæ. Copia enim quam occulta facit mulier sui corporis, multo plus valet quam ea quam publica facit meretrix; nec ulla est lex positiva quæ reddat eam incapacem pretii. Idem dicendum de pretio promisso virgini, conjugatæ, moniali, et cuicumque alii. Est enim omnium eadem ratio. »

Il me fit voir ensuite, dans ses auteurs, des choses de cette nature si infâmes, que je n'oserois les rapporter, et dont il auroit eu horreur lui-même (car il est bon homme), sans le respect qu'il a pour ses pères, qui lui fait recevoir avec vénération tout ce qui vient de leur part. Je me taisois cependant, moins par le dessein de l'engager à continuer cette matière, que par la surprise de voir des livres de religieux pleins de décisions si horribles, si injustes et si extravagantes tout ensemble. Il poursuivit donc en liberté son discours, dont la conclusion fut ainsi : «C'est pour cela, dit-il, que notre illustre Molina (je crois qu'après cela vous serez content) décide ainsi cette question : « Quand on a reçu << de l'argent pour faire une méchante action, est-on obligé à le rendre? << Il faut distinguer, dit ce grand homme si on n'a pas fait l'action. << pour laquelle on a été payé, il faut rendre l'argent; mais si on l'a faite, on n'y est point obligé : si non fecit hoc malum, tenetur resti« tuere; secus, si fecit. » C'est ce qu'Escobar rapporte au traité III (ex. II, n. 138).

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<< Voilà quelques-uns de nos principes touchant la restitution. Vous en avez bien appris aujourd'hui ; je veux voir maintenant comment vous

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en aurez profité. Répondez-moi donc. Un juge qui a reçu de l'argent d'une des parties pour rendre un jugement en sa faveur est-il obligé à le rendre?. Vous venez de me dire que non, mon père. m'en doutois bien, dit-il; vous l'ai-je dit généralement? Je vous ai dit qu'il n'est pas obligé de rendre, s'il a fait gagner le procès à celui qui n'a pas bon droit. Mais quand on a droit, voulez-vous qu'on achète encore le gain de sa cause, qui est dû légitimement? Vous n'avez pas de raison. Ne comprenez-vous pas que le juge doit la justice, et qu'ainsi il ne la peut pas vendre; mais qu'il ne doit pas l'injustice, et qu'ainsi il peut en recevoir de l'argent? Aussi tous nos principaux auteurs, comme Molina (disp. xciv et XCIX), Reginaldus (liv. X, n. 184, 185 et 187), Filiutius (tr. XXXI, n. 220 et 228), Escobar (tr. III, ex. 1, n. 21 et 23), Lessius (liv. II, chap. xiv, d. viii, n. 55), enseignent tous uniformément, « qu'un juge est bien obligé de rendre ce qu'il a reçu pour « faire justice, si ce n'est qu'on le lui eût donné par libéralité, mais « qu'il n'est jamais obligé à rendre ce qu'il a reçu d'un homme en fa« veur duquel il a rendu un arrêt injuste. »

Je fus tout interdit par cette fantasque décision; et pendant que j'en considérois les pernicieuses conséquences, le père me préparoit une autre question et me dit : «< Répondez donc une autre fois avec plus de circonspection. Je vous demande maintenant un homme qui se mêle de deviner est-il obligé de rendre l'argent qu'il a gagné par cet exercice? - Ce qu'il vous plaira, mon révérend père, lui dis-je. Comment, ce qu'il me plaira! Vraiment vous êtes admirable! Il semble, de la façon que vous parlez, que la vérité dépende de notre volonté. Je vois bien que vous ne trouveriez jamais celle-ci de vous-même. Voyez donc résoudre cette difficulté-là à Sanchez; mais aussi c'est Sanchez. Premièrement il distingue en sa Somme (liv. II, chap. xxxvIII, n. 94, 95 et 96), si ce devin ne s'est servi que de l'astrologie et des autres moyens naturels, ou s'il a employé l'art diabolique car il dit qu'il est obligé de restituer en un cas, et non pas en l'autre. Diriez-vous bien maintenant auquel? — Il n'y a pas là de difficulté, lui dis-je. Je vois bien, répliqua-t-il, ce que vous voulez dire. Vous croyez qu'il doit restituer au cas qu'il se soit servi de l'entremise des démons? Mais vous n'y entendez rien; c'est tout au contraire. Voici la résolution de Sanchez, au même lieu « Si ce devin n'a pris la peine et le soin de savoir, par le « moyen du diable, ce qui ne se pouvoit savoir autrement, si nullam « operam apposuit ut arte diaboli id sciret, il faut qu'il restitue; mais « s'il en a pris la peine, il n'y est point obligé. » — Et d'où vient cela, mon père? - Ne l'entendez-vous pas ? me dit-il. C'est parce qu'on peut bien deviner par l'art du diable, au lieu que l'astrologie est un moyen faux. Mais, mon père, si le diable ne répond pas la vérité, car il n'est guère plus véritable que l'astrologie, il faudra donc que le devin restitue par la même raison? Non pas toujours, me dit-il. Distinguo, dit Sanchez sur cela : « Car si le devin est ignorant en l'art diabolique, a si sit artis diabolicæ ignarus, il est obligé à restituer mais s'il est << habile sorcier, et qu'il ait fait ce qui est en lui pour savoir la vérité, il « n'y est point obligé; car alors la diligence d'un tel sorcier peut être

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<< estimée pour de l'argent; diligentia a mago apposita est pretio æsti« mabilis. » Cela est de bon sens, mon père, lui dis-je, car voilà le moyen d'engager les sorciers à se rendre savans et experts en leur art, par l'espérance de gagner du bien légitimement, selon vos maximes, en servant fidèlement le public. - Je crois que vous raillez, dit le père; cela n'est pas bien car si vous parliez ainsi en des lieux où vous ne fussiez pas connu, il pourroit se trouver des gens qui prendroient mal vos discours, et qui vous reprocheroient de tourner les choses de la religion en raillerie. Je me défendrois facilement de ce reproche, mon père; car je crois que, si on prend la peine d'examiner le véritable sens de mes paroles, on n'en trouvera aucune qui ne marque parfaitement le contraire, et peut-être s'offrira-t-il un jour, dans nos entretiens, l'occasion de le faire amplement paroître. Ho! ho! dit le père, vous ne riez plus. Je vous confesse, lui dis-je, que ce soupçon que je me voulusse railler des choses saintes me seroit bien sensible, comme il seroit bien injuste. Je ne le disois pas tout de bon, repartit le père; mais parlons plus sérieusement. J'y suis tout disposé, si vous le voulez, mon père; cela dépend de vous. Mais je vous avoue que j'ai été surpris de voir que vos pères ont tellement étendu leurs soins à toutes sortes de conditions, qu'ils ont voulu même régler le gain légitime des sorciers. On ne sauroit, dit le père, écrire pour trop de monde, ni particulariser trop les cas, ni répéter trop souvent les mêmes choses en différens livres. Vous le verrez bien par ce passage d'un des plus graves de nos pères. Vous le pouvez juger, puisqu'il est aujourd'hui notre père provincial c'est le révérend P. Cellot, en son livre VIII de la Hiérarchie (chap. xvi, § 2). « Nous savons, dit-il, qu'une personne qui portoit << une grande somme d'argent pour la restituer par ordre de son con<< fesseur, s'étant arrêtée en chemin chez un libraire, et lui ayant de<< mandé s'il n'y avoit rien de nouveau, num quid novi ? il lui montra << un nouveau livre de théologie morale, et que, le feuilletant avec né« gligence et sans penser à rien, il tomba sur son cas, et y apprit qu'il << n'étoit point obligé à restituer : de sorte que, s'étant déchargé du far<< deau de son scrupule, et demeurant toujours chargé du poids de son << argent, il s'en retourna bien plus léger en sa maison : abjecta scru« puli sarcina, retento auri pondere, levior domum repetiit. »

<< Eh bien, dites-moi, après cela, s'il est utile de savoir nos maximes! En rirez-vous maintenant? Et ne ferez-vous pas plutôt, avec le P. Cellot, cette pieuse réflexion sur le bonheur de cette rencontre : « Les rencona tres de cette sorte sont, en Dieu, l'effet de sa providence; en l'ange gardien, l'effet de sa conduite; et en ceux à qui elles arrivent, l'effet « de leur prédestination. Dieu, de toute éternité, a voulu que la chaîne « d'or de leur salut dépendît d'un tel auteur, et non pas de cent autres « qui disent la même chose, parce qu'il n'arrive pas qu'ils les rencona trent. Si celui-là n'avoit écrit, celui-ci ne seroit pas sauvé. Conjurons << donc, par les entrailles de Jésus-Christ, ceux qui blâment la multitude << de nos auteurs, de ne leur pas envier les livres que l'élection éternelle << de Dieu et le sang de Jésus-Christ leur a acquis. » Voilà de belles paroles, par lesquelles ce savant homme prouve si solidement cette propo

sition qu'il avoit avancée : « Combien il est utile qu'il y ait un grand < nombre d'auteurs qui écrivent de la théologie morale: quam utile sit a de theologia morali multos scribere! »

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- Mon père, lui dis-je, je remettrai à une autre fois à vous déclarer mon sentiment sur ce passage; et je ne vous dirai présentement autre chose, sinon que, puisque vos maximes sont si utiles, et qu'il est si important de les publier, vous devez continuer à m'en instruire; car je vous assure que celui à qui je les envoie les fait voir à bien des gens. Ce n'est pas que nous ayons autrement l'intention de nous en servir, mais c'est qu'en effet nous pensons qu'il sera utile que le monde en soit bien informé. — Aussi, me dit-il, vous voyez que je ne les cache pas; et pour continuer, je pourrai bien vous parler, la première fois, des douceurs et des commodités de la vie que nos pères permettent pour rendre le salut aisé et la dévotion facile, afin qu'après avoir appris jusqu'ici ce qui touche les conditions particulières, vous appreniez ce qui est général pour toutes, et qu'ainsi il ne vous manque rien pour une partaite instruction.» Après que ce père m'eut parlé de la sorte, il me quitta. Je suis, etc.

P.S. J'ai toujours oublié à vous dire qu'il y a des Escobar de différentes impressions. Si vous en achetez, prenez de ceux de Lyon, où il y a à l'entrée une image d'un agneau qui est sur un livre scellé de sept sceaux, ou de ceux de Bruxelles de 1651. Comme ceux-là sont les derniers, ils sont meilleurs et plus amples que ceux des éditions précédentes de Lyon des années 1644 et 1646'.

NEUVIÈME LETTRE'.

De la fausse dévotion à la sainte Vierge que les jésuites ont introduite. Diverses facilités qu'ils ont inventées pour se sauver sans peine, et parmi les douceurs et les commodités de la vie. Leurs maximes sur l'ambition, l'envie, la gourmandise, les équivoques, les restrictions mentales, les libertés qui sont permises aux filles, les habits des femmes, le jeu, le précepte d'entendre la messe.

Monsieur,

De Paris, ce 3 juillet 1656.

Je ne vous ferai pas plus de compliment que le bon père m'en fit la dernière fois que je le vis. Aussitôt qu'il m'aperçut, il vint à moi, et me dit, en regardant dans un livre qu'il tenoit à la main : « Qui vous ouvriroit le paradis ne vous obligeroit-il pas parfaitement? Ne donneriez-vous pas des millions d'or pour en avoir une clef, et entrer dedans

1. Depuis tout ceci, on en a imprimé une nouvelle édition à Paris, chez Piget, plus exacte que toutes les autres. Mais on peut encore bien mieux apprendre les sentimens d'Escobar dans la grande Thélogie morale, dont il y a déjà deux volumes in folio imprimés à Lyon. Ils sont très-dignes d'être vus pour connoître l'horrible renversement que les jésuites font de la morale de l'Eglise.»

2. Le plan de cette lettre fut fourni à Pascal par Nicole.

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quand bon vous sembleroit? Il ne faut point entrer en de si grands frais; en voici une, voire cent, à meilleur compte. » Je ne savois si le bon père lisoit, ou s'il parloit de lui-même. Mais il m'ôta de peine en disant : « Ce sont les premières paroles d'un beau livre du P. Barry de notre Société; car je ne dis jamais rien de moi-même. Quel livre, lui dis-je, mon père? - En voici le titre, dit-il : Le paradis ouvert à Philagie, par cent dévotions à la mère de Dieu, aisées à pratiquer. — Eh quoi! mon père, chacune de ces dévotions aisées suffit pour ouvrir le ciel? — Oui, dit-il; voyez-le encore dans la suite des paroles que vous avez ouïes : « Tout autant de dévotions à la mère de Dieu que vous << trouverez en ce livre sont autant de clefs du ciel qui vous ouvriront « le paradis tout entier, pourvu que vous les pratiquiez : » et c'est pourquoi il dit dans la conclusion, « qu'il est content si on en pratique « une seule. >>

Apprenez-m'en donc quelqu'une des plus faciles, mon père. Elles le sont toutes, répondit-il par exemple, « saluer la sainte Vierge au rencontre de ses images; dire le petit chapelet des dix plaisirs de << la Vierge; prononcer souvent le nom de Marie; donner commission « aux anges de lui faire la révérence de notre part; souhaiter de lui « bâtir plus d'églises que n'ont fait tous les monarques ensemble; lui << donner tous les matins le bonjour, et sur le tard le bonsoir; dire tous les jours l'Ave, Maria, en l'honneur du cœur de Marie. » Et il dit que cette dévotion-là assure, de plus, d'obtenir le cœur de la Vierge. Mais mon père, lui dis-je, c'est pourvu qu'on lui donne aussi le sien?

Cela n'est pas nécessaire, dit-il, quand on est trop attaché au monde. Écoutez-le : « Cœur pour cœur, ce seroit bien ce qu'il faut; << mais le vôtre est un peu trop attaché, et tient un peu trop aux créa«<tures: ce qui fait que je n'ose vous inviter à offrir aujourd'hui ce petit << esclave que vous appelez votre cœur. » Et ainsi il se contente de l'Ave, Maria, qu'il avoit demandé. Ce sont les dévotions des pages 33, 59, 145, 156, 172, 258 et 420 de la première édition. O Cela est tout à fait commode, lui dis-je, et je crois qu'il n'y aura personne de damné après cela. - Hélas! dit le père, je vois bien que vous ne savez pas jusqu'où va la dureté du cœur de certaines gens! Il y en a qui ne s'attacheroient jamais à dire tous les jours ces deux paroles bonjour, bonsoir, parce que cela ne se peut faire sans quelque application de mémoire. Et ainsi il a fallu que le P. Barry leur ait fourni des pratiques encore plus faciles, « comme d'avoir jour et nuit un chapelet au bras en forme de bracelet, ou de porter sur soi un rosaire, ou bien une image de la << Vierge. >> Ce sont là les dévotions des pages 14, 326 et 447. Et puis « dites que je ne vous fournis pas des dévotions faciles pour acquérir << les bonnes grâces de Marie !» comme dit le P. Barry (p. 106). — Voilà, mon père, lui dis-je, l'extrême facilité. — Aussi, dit-il, c'est tout ce qu'on a pu faire, et je crois que cela suffira; car il faudroit être bien misérable pour ne vouloir pas prendre un moment en toute sa vie pour mettre un chapelet à son bras, ou un rosaire dans sa poche, et assurer par là son salut avec tant de certitude, que ceux qui en font l'épreuve n'y ont jamais été trompés, de quelque manière qu'ils aient vécu,

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