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OPUSCULES.

QUESTIONS SUR LES MIRACLES,

PROPOSÉES PAR PASCAL A L'ABBÉ DE BARCOS'.

Les points que j'ai à demander à M. l'abbé de Saint-Cyran sont ceuxci principalement. Mais, comme je n'en ai point de copie, il faudroit qu'il prit la peine de renvoyer ce papier, avec la réponse qu'il aura la bonté de faire.

Question 1. S'il faut, pour qu'un effet soit miraculeux, qu'il soit au-dessus de la force des hommes, des démons, des anges et de toute la nature créée.

Réponse 1. Les théologiens disent que les miracles sont surnaturels ou dans leur substance, quoad substantiam, comme la pénétration de deux corps, ou la situation d'un même corps en deux lieux et en même temps; ou qu'ils sont surnaturels dans la manière de les produire, quoad modum comme quand ils sont produits par des moyens qui n'ont nulle vertu naturelle de les produire : comme quand Jésus-Christ guérit les yeux de l'aveugle-né avec de la boue, et la belle-mère de Pierre en se penchant sur elle, et la femme malade du flux de sang en touchant le bord de sa robe, etc. La plupart des miracles rapportés dans l'Evangile sont de ce second genre. Telle est aussi la guérison d'une fièvre, ou autre maladie, faite en un moment, ou plus parfaitement que la nature ne porte, par l'attouchement d'une relique, ou par l'invocation du nom de Dieu, etc.; de sorte que la pensée de celui qui propose ces difficultés est vraie et conforme à tous les théologiens, même de ce temps.

Question 2. S'il ne suffit pas qu'il soit au-dessus de la force naturelle des moyens qu'on y emploie. Ainsi j'appelle effet miraculeux, la guérison d'une maladie, faite par l'attouchement d'une sainte relique; la guérison d'un démoniaque, faite par l'invocation du nom de Jésus, etc.; parce que ces effets surpassent la force naturelle des paroles par lesquelles on invoque Dieu et la force naturelle d'une relique, qui ne peuvent guérir les malades et chasser les démons. Mais je n'appelle pas miracle de chasser les démons par l'art du diable; car, quand on emploie la puissance du diable pour chasser le diable, l'effet ne surpasse pas l'effet naturel des moyens qu'on y emploie; et ainsi il m'a paru que la vraie définition des miracles est celle que je viens de dire.

Réponse 2. Ce que le diable peut n'est pas miracle, non plus que ce que peut faire une bête, quoique l'homme ne puisse pas le faire luimême.

1. L'abbé de Barcos était neveu du fameux abbé de Saint-Cyran, el fut aussi abbé de Saint-Cyran.

Question 3. Si saint Thomas n'est pas contraire à cette définition, et s'il n'est pas d'avis qu'un effet, pour être miraculeux, doit surpasser la force de toute la nature créée.

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Réponse 3. Saint Thomas est de même opinion que les autres, quoiqu'il divise en deux la seconde espèce de miracles: miracles quoad subjectum, et miracles quoad ordinem naturæ. Il dit que les premiers sont ceux que la nature peut produire absolument, mais non dans un tel sujet, comme elle peut produire la vie, mais non dans un corps mort; et que les seconds sont ceux qu'elle peut produire dans un sujet, mais non par un tel moyen, avec tant de promptitude, etc., comme guérir en un moment et par un seul attouchement une fièvre ou une maladie, quoique non incurable.

Question 4. Si les hérétiques, déclarés et reconnus, peuvent faire de vrais miracles pour confirmer une erreur.

Réponse. 4. Il ne peut jamais se faire de vrais miracles par qui que ce soit, catholique ou hérétique, saint ou méchant, pour confirmer une erreur, parce que Dieu affirmeroit et approuveroit par son sceau l'erreur comme faux témoin, ou plutôt comme faux juge; cela est assuré et constant.

Question 5. Si les hérétiques, connus et déclarés, peuvent faire des miracles, comme la guérison des maladies qui ne sont pas incurables: par exemple, s'ils peuvent guérir une fièvre pour confirmer une proposition erronée.

Question 6. Si les hérétiques, déclarés et connus, peuvent faire des miracles qui soient au-dessus de toute la nature créée, par l'invocation du nom de Dieu et par une sainte relique.

Réponse 5 et 6. Ils le peuvent pour confirmer une vérité, et il y en a des exemples dans l'histoire.

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Question 7. Si les hérétiques couverts, et qui, ne se séparant pas de l'Église, sont néanmoins dans l'erreur, et qui ne se déclarent pas contre l'Eglise, afin de pouvoir plus facilement séduire les fidèles et fortifier leur parti, peuvent faire, par l'invocation du nom de Jésus ou par une sainte relique, des miracles qui soient au-dessus de la nature entière, ou même s'ils en peuvent faire qui ne soient qu'au-dessus de l'homme, comme de guérir sur-le-champ des maux qui ne sont pas incurables. Réponse 7. Les hérétiques couverts n'ont pas plus de pouvoir sur les miracles que les hérétiques déclarés: rien n'étant couvert à Dieu, qui est le seul auteur et opérateur des miracles, tels qu'ils soient, pourvu qu'ils soient vrais miracles.

Question 8. Si les miracles faits par le nom de Dieu, ou par l'interposition des choses divines, ne sont pas les marques de la vraie Eglise, et si tous les catholiques n'ont pas tenu l'affirmative contre les hérétiques.

Réponse 8. Tous les catholiques en demeurent d'accord, et surtout les auteurs jésuites. Il ne faut que lire Bellarmin. Lors même que les hérétiques ont fait des miracles, ce qui est arrivé quelquefois, quoique rarement, ces miracles étoient marqués de l'Eglise, parce qu'ils n'étoient faits que pour confirmer la vérité que l'Eglise enseigne, et non l'erreur des hérétiques.

Question 9. S'il n'est jamais arrivé que les hérétiques aient fait des miracles, et de quelle nature ils ont été.

Réponse 9. Il y en a fort peu d'assurés; mais ceux dont on parle sont miraculeux seulement quoad modum: c'est-à-dire des effets naturels produits miraculeusement et en une manière qui surpasse l'ordre de la nature.

Question 10. Si cet homme de l'Evangile, qui chassoit les démons au nom de Jésus-Christ, et dont Jésus-Christ dit : Qui n'est pas contre nous, est pour nous, étoit ami, ou ennemi de Jésus-Christ, et ce qu'en disent les interprètes de l'Evangile. Je demande cela, parce que le P. Lingendes prêche que cet homme-là étoit contraire à Jésus-Christ.

Réponse 10. L'Evangile témoigne assez qu'il n'étoit pas contraire à Jésus-Christ, et les Pères le tiennent, et presque tous les auteurs jésuites.

Question 11. Si l'Antechrist fera des signes au nom de Jésus-Christ, ou en son propre nom.

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Réponse 11. Comme il ne viendra pas au nom de Jésus-Christ, mais au sien propre, selon l'Evangile, il ne fera point de miracles au nom de Jésus-Christ, mais au sien et contre Jésus-Christ, pour détruire la foi et son Eglise et à cause de cela, ce ne seront pas de vrais miracles. Question 12. Si les oracles ont été miraculeux.

Réponse 12. Les oracles des païens et des idoles n'ont été non plus miraculeux que les autres opérations des démons et des magiciens.

Judæi signa petunt, et Græci sapientiam quærunt.

Nos autem Jesum crucifixum, sed plenum signis,

Sed plenum sapientia.

Vos autem Christum non crucifixum, et religionem

Sine miraculis et sine sapientia.

ÉCRIT

Sur la signature de ceux qui souscrivent aux constitutions en cette manière : « Je ne souscris qu'en ce qui regarde la foi,» ou simplement: « Je souscris aux constitutions touchant la foi. »

Toute la question d'aujourd'hui étant sur ces paroles: Je condamne les cinq propositions au sens de Jansenius, ou la doctrine de Jansenius sur les cinq propositions; il est d'une extrême importance de voir de quelle manière on y souscrit.

Il faut, premièrement, savoir que dans la vérité des choses, il n'y a point de différence entre condamner la doctrine de Jansénius sur les cinq propositions, et condamner la grâce efficace, saint Augustin, saint Paul, etc. C'est la seule raison pour laquelle les ennemis de la grâce efficace s'efforcent de faire passer cette clause.

Il faut savoir encore que la manière dont on s'y est pris pour se défendre contre les décisions du pape et des évêques qui ont condamné cette doctrine et le sens de Jansénius, a été tellement subtile, qu'encore

qu'elle soit véritable dans le fond, elle a été si peu nette et si timide, qu'elle ne paroît pas digne des vrais défenseurs de l'Eglise.

Le fondement de cette manière de se défendre, a été de dire qu'il y a dans les expressions un fait et un droit; et de promettre la croyance pour l'un, et le respect pour l'autre.

Il s'agit donc de savoir s'il y a un fait et un droit séparé, ou s'il n'y a qu'un droit; c'est-à-dire, si le sens de Jansenius qui y est exprimé, ne fait autre chose que marquer le droit.

Le pape et les évêques sont d'un côté, et prétendent que c'est un point de droit et de foi, de dire que les cinq propositions sont hérétiques au sens de Jansenius; et Alexandre VII a déclaré dans sa constitution, que pour être dans la véritable foi, il faut dire que les mots de sens de Jansenius ne font qu'exprimer le sens hérétique des propositions, et qu'ainsi c'est un fait qui emporte un droit, et qui constitue une portion essentielle de la profession de foi; comme qui diroit, le sens de Calvin sur l'eucharistie est hérétique; ce qui, certainement, est un point de foi. Et un très-petit nombre de personnes, qui font à toute heure de petits écrits volans, disent que le fait est de sa nature séparé du droit.

Il faut enfin remarquer que ces mots de fait et de droit ne se trouveut, ni dans le mandement, ni dans les constitutions, ni dans les formulaires, mais seulement dans quelques écrits qui n'ont nulle relation nécessaire avec cette signature; et sur tout cela, examiner la signature que peuvent faire en conscience ceux qui croient être obligés en conscience de ne point condamner le sens de Jansenius.

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Mon sentiment est, pour cela, que comme le sens de Jansenius a été exprimé dans le mandement, dans les bulles et dans les formulaires, il faut nécessairement l'exclure formellement par sa signature; sans quoi on ne satisfait point à son devoir. Car de prétendre qu'il suffit de dire qu'on ne croit que ce qui est de la foi, pour en conclure qu'on a assez marqué par là qu'on ne condamne point le sens de Jansenius, par cette seule raison qu'on s'imagine qu'il y a en cela un fait qui est séparé du droit; c'est une pure illusion: on en peut donner bien des preuves. Celle-ci suffit, que le fait et le droit étant des choses dont on ne parle en aucune manière en tout ce qu'on signe, ces deux mots n'ont nullement assez de relation l'un à l'autre, pour faire qu'il soit nécessaire que l'expression de l'un emporte l'exclusion de l'autre.

S'il étoit dit dans le mandement, ou dans les constitutions, ou dans les formulaires, qu'il faut non-seulement croire la foi, mais aussi le fait; ou que le fait et le droit fussent proposés également à souscrire; et qu'enfin ces deux mots de fait et de droit y fussent bien formellement marqués on pourroit peut-être dire, qu'en mettant simplement que l'on se soumet au droit, on marque assez qu'on ne se soumet point au fait. Mais comme ces deux mots ne se regardent que dans nos entretiens, et dans quelques écrits tout à fait séparés des constitutions, lesquels peuvent périr, et la signature subsister; et qu'ils ne sont relatifs, ou opposés l'un à l'autre, ni dans la nature de la chose, où la foi n'est pas naturellement opposée au fait, mais à l'erreur, ni dans ce qu'on fait

signer: il est impossible de prétendre que l'expreson de la foi emporte nécessairement l'exclusion du fait. Car encore qu'en disant qu'on ne reçoit que la foi, on marque par là qu'il y a quelque autre chose qu'on ne reçoit pas, soit nécessairement le sens de Jansenius; et cela peut s'entendre de beaucoup d'autres choses, comme des récits qui sont faits dans l'exposé, et des défenses de lire et d'écrire, etc.

Il y a cela de plus, que le mot de foi étant ici extrêmement équivoque, les uns prétendant que la doctrine de Jansenius emporte un point de foi, et les autres que ce n'est qu'un pur fait, il est indubitable qu'en disant simplement qu'on reçoit la foi, sans dire qu'on ne reçoit pas le point de la doctrine de Jansenius, on ne marque pas par là qu'on ne le reçoit pas, mais on marque plutôt par là qu'on le reçoit; puisque l'intention publique du pape et des évêques est de faire recevoir la condamnation de Jansenius, comme une chose de foi tout le monde le disant publiquement, et personne n'osant dire publiquement le contraire. Ainsi il est hors de doute que cette profession de foi est au moins équivoque et ambiguë, et par conséquent méchante.

D'où je conclus: 1o que ceux qui signent purement le formulaire, sans restriction, signent la condamnation de Jansénius, de saint Augustin et de la grâce efficace.

2o Que qui excepte la doctrine de Jansenius en termes formels, sauve de condamnation, et Jansénius, et la grâce efficace.

3o Enfin, que ceux qui signent en ne parlant que de la foi, et en n'excluant pas formellement la doctrine de Jansénius, prennent une voie moyenne, qui est abominable devant Dieu, méprisable devant les hommes, et entièrement inutile à ceux qu'on veut perdre personnellement.

ENTRETIEN AVEC M. DE SACI

SUR EPICTETE ET MONTAIGNE'.

M. Pascal vint aussi, en ce temps-là, demeurer à Port-Royal des Champs. Je ne m'arrête point à dire qui étoit cet homme, que non-seulement toute la France, mais toute l'Europe a admiré. Son esprit toujours vif, toujours agissant, étoit d'une étendue, d'une élévation, d'une fermeté, d'une pénétration et d'une netteté au delà de ce qu'on peut croire.... Cet homme admirable, enfin élant touché de Dieu, soumit cet esprit si élevé au joug de Jésus-Christ, et ce cœur si noble et si grand embrassa avec humilité la pénitence. Il vint à Paris se jeter entre les bras de M. Singlin, résolu de faire tout ce qu'il lui ordonneroit. M. Singlin crut, en voyant ce grand génie, qu'il feroit bien de l'envoyer à Port-Royal des Champs, où M. Arnauld lui prêteroit le collet en ce qui regardoit les hautes sciences, et où M. de Saci lui apprendroit à les mépriser. Il vint donc demeurer à Port-Royal. M. de Saci ne put pas se dispenser de le voir par honnêteté, surtout en ayant été prié par M. Singlin ;

54. Nous, reproduisons le texte tel qu'il a été donné par M. Havet, dans son édition des Pensées de Pascal.

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