Page images
PDF
EPUB

étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci, et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagemens miraculeux dans leurs langueurs.

Les miracles ne sont plus nécessaires, à cause qu'on en a déjà. Mais quand on n'écoute plus la tradition, quand on ne propose plus que le pape, quand on l'a surpris, et qu'ainsi ayant exclu la vraie source de la vérité, qui est la tradition, et ayant prévenu le pape, qui en est le dépositaire, la vérité n'a plus de liberté de paroître : alors les hommes ne parlant plus de la vérité, la vérité doit parler elle-même aux hommes. C'est ce qui arriva au temps d'Arius.

Joh., vi, 26: Non quia vidistis signa, sed saturati estis '.

Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu'elle produit; mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu'il les console et les rassasie des biens du monde, ils déshonorent ses miracles, quand ils sont contraires à leurs commodités. Juges injustes, ne faites pas des lois sur l'heure; jugez par celles qui sont établies par vous-mêmes: Væ qui conditis leges iniquas'.

La manière dont l'Église a subsisté est que la vérité a été sans contestation; ou, si elle a été contestée, il y a eu le pape, et sinon, il y a eu l'Église.

Miracle. C'est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu'on y emploie; et non-miracle est un effet qui n'excède pas la force naturelle des moyens qu'on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l'invocation du diable ne font pas un miracle; car cela n'excède pas la force naturelle du diable. Mais....

Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les cœurs par celui qu'il exerce sur les corps.

Il importe aux rois, aux princes, d'être en estime de piété; et pour cela, il faut qu'ils se confessent à vous 3.

Les jansénistes ressemblent aux hérétiques par la réformation des mœurs; mais vous leur ressemblez en mal.

ARTICLE XXIV1.

1.

Le pyrrhonisme est le vrai; car, après tout, les hommes, avant JésusChrist, ne savoient où ils en étoient, ni s'ils étoient grands ou petits. Et ceux qui ont dit l'un ou l'autre n'en savoient rien, et devinoient sans raison et par hasard : et même ils erroient toujours, en excluant l'un ou l'autre. Quod ergo ignorantes quæritis, religio annuntiat vobis 5.

1. « Vous me suivez, non pour le miracle que vous avez vu (le miracle des cinq pains), mais parce que vous avez été rassasiés. »

2. Is., x, 1. — 3. Aux jésuites.

4. Article XVII de la seconde partie, dans Bossut. 5. Actes des Apôtres, XVII, 23,

2.

Croyez-vous qu'il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties? Oui. Je vous veux donc faire voir une chose infinie et indivisible: c'est un point se mouvant partout d'une vitesse infinie; car il est en tous lieux et est tout entier en chaque endroit.

Que cet effet de nature, qui vous sembloit impossible auparavant, vous fasse connoître qu'il peut y en avoir d'autres que vous ne connoissiez pas encore. Ne tirez pas cette conséquence de votre apprentissage, qu'il ne vous reste rien à savoir; mais qu'il vous reste infiniment à savoir.

3.

La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l'esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce. Mais de la vouloir mettre dans l'esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion, mais la terreur, terrorem potius quam religionem.

par

Commencer par plaindre les incrédules; ils sont assez malheureux leur condition. Il ne les faudroit injurier qu'au cas que cela servît; mais cela leur nuit.

4.

Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam; et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.

5.

Le cœur a ses raisons, que la raison ne connoît point; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l'être universel naturellement, et soi-même naturellement, selon qu'il s'y adonne; et il se durcit contre l'un ou l'autre, à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l'autre : est-ce par raison que vous aimez? C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi: Dieu sensible au cœur, non à la raison.

6.

Le monde subsiste pour exercer miséricorde et jugement, non pas comme si les hommes y étoient sortant des mains de Dieu, mais comme des ennemis de Dieu, auxquels il donne, par grâce, assez de lumière pour revenir, s'ils le veulent chercher et le suivre ; mais pour les punir, s'ils refusent de le chercher ou de le suivre.

7.

On a beau dire, il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d'étonnant. «C'est parce que vous y êtes né, » dira-t-on. Tant s'en faut; je me roidis contre, par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne. Mais, quoique j'y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi.

8.

Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l'une par la force de la raison, l'autre par l'autorité de celui qui parle. On ne se sert pas de la dernière, mais de la première. On ne dit pas : «ll faut

4. « Pour que Dieu puisse exercer. »

croire cela; car l'Écriture, qui le dit, est divine; mais on dit qu'il le faut croire par telle et telle raison, qui sont de foibles argumens, la raison étant flexible à tout.

....

Mais ceux-là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n'y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument, qu'il y a quelque chose de surnaturel; car un aveuglement de cette sorte n'est pas une chose naturelle; et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l'horreur d'un exemple si déplorable et d'une folie si digne de compassion.

9.

Le seul qui connoît la nature' ne la connoîtra-t-il que pour être misérable? le seul qui la connoît sera-t-il le seul malheureux ?

....

Il ne faut pas qu'il ne voie rien du tout; il ne faut pas aussi qu'il en voie assez pour croire qu'il le possède'; mais qu'il en voie assez pour connoître qu'il l'a perdu; car, pour connoître qu'on a perdu, il faut voir et ne voir pas ; et c'est précisément l'état où est la nature.

Il faudroit que la vraie religion enseignât la grandeur, la misère, portât à l'estime et au mépris de soi, à l'amour et à la haine.

10.

La religion est une chose si grande, qu'il est juste que ceux qui ne voudroient pas prendre la peine de la chercher si elle est obscure, en soient privés. De quoi se plaint-on donc, si elle est telle qu'on la puisse trouver en la cherchant ?

L'orgueil contre-pèse et emporte toutes les misères. Voilà un étrange monstre, et un égarement bien visible. Le vcilà tombé de sa place, il la cherche avec inquiétude. C'est ce que tous les hommes font. Voyons qui l'aura trouvée.

Ordre. Après la corruption, dire : « Il est juste que ceux qui sont en cet état le connoissent; et ceux qui s'y plaisent, et ceux qui s'y déplaisent. Mais il n'est pas juste que tous voient la rédemption. »

Quand on dit que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous, vous abusez d'un vice des hommes qui s'appliquent incontinent cette exception, ce qui est favoriser le désespoir; au lieu de les en détourner pour favoriser l'espérance. Car on s'accoutume ainsi aux vertus intérieures par ces habitudes extérieures.

11.

La dignité de l'homme consistoit, dans son innocence, à user et dominer sur les créatures, mais aujourd'hui à s'en séparer et s'y assujettir.

12.

L'Église a toujours été combattue par des erreurs contraires, mais peut-être jamais en même temps, comme à présent. Et si elle en souffre plus, à cause de la multiplicité d'erreurs, elle en reçoit cet avantage qu'elles se détruisent.

1. Le seul être qui connaît la nature ici-bas, c'est l'homme.

2. Le vrai bien.

PASCAL I

16

Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvinistes, à cause du schisme.

Il est certain que plusieurs des deux contraires sont trompés, il faut les désabuser.

La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire. Temps de rire, de pleurer, etc. Responde. Ne respondeas, etc.

La source en est l'union des deux natures en Jésus-Christ.

Et aussi les deux mondes 2. La création d'un nouveau ciel et nouvelle terre; nouvelle vie, nouvelle mort; toutes choses doublement, et les mêmes noms demeurant.

Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes3; car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jésus-Christ. Et ainsi tous les noms leur conviennent, de justes, pécheurs; mort, vivant; vivant, mort; élu, réprouvé, etc.

Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi, et de morale, qui semblent répugnantes, et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.

La source de toutes les hérésies est l'exclusion de quelques-unes de ces vérités; et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l'ignorance de quelques-unes de ces vérités.

Et d'ordinaire il arrive que, ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées, et croyant que l'aveu de l'une enferme l'exclusion de l'autre, ils s'attachent à l'une, ils excluent l'autre, et pensent que nous, au contraire. Or l'exclusion est la cause de leur hérésie; et l'ignorance que nous tenons l'autre cause leurs objections.

1er exemple: Jésus-Christ est Dieu et homme. Les ariens, ne pouvant allier ces choses, qu'ils croient incompatibles, disent qu'il est homme: en cela ils sont catholiques. Mais ils nient qu'il soit Dieu : en cela ils sont hérétiques. Ils prétendent que nous nions son humanité : en cela ils sont ignorans.

la

2 exemple, sur le sujet du saint sacrement: Nous croyons que substance du pain étant changée, et consubstantiellement en celle du corps de Notre-Seigneur, Jésus-Christ y est présent réellement. Voilà une vérité. Une autre est que ce sacrement est aussi une des figures de la croix et de la gloire, et une commémoration des deux. Voilà la foi catholique, qui comprend ces deux vérités qui semblent opposées. L'hérésie d'aujourd'hui, ne concevant pas que ce sacrement contient tout ensemble et la présence de Jésus-Christ, et sa figure, et qu'il soit sacrifice et commémoration de sacrifice, croit qu'on ne peut admettre l'une de ces vérités sans exclure l'autre par cette raison.

Ils s'attachent à ce point seul, que ce sacrement est figuratif; et en cela ils ne sont point hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette

4. Comme s'il disait : «Il y a des calvinistes et des pélagiens (les deux contraires), qui sont trompés (qui sont de bonne foi). »

2. Le monde de la nature, et le monde de la grâce.

3. Il y a deux hommes dans les justes, le vieil homme, et l'homme régénéré, membre et image de Jésus-Christ.

4. Les calvinistes.

vérité; et de là vient qu'ils nous font tant d'objections sur les passages des Pères qui le disent. Enfin ils nient la présence; et en cela ils sont hérétiques.

3o exemple les indulgences.

C'est pourquoi le plus court moyen pour empêcher les hérésies est d'instruire de toutes les vérités; et le plus sûr moyen de les réfuter est de les déclarer toutes. Car que diront les hérétiques ?

Tous errent d'autant plus dangereusement qu'ils suivent chacun une vérité. Leur faute n'est pas de suivre une fausseté, mais de ne pas suivre une autre vérité.

La grâce sera toujours dans le monde (et aussi la nature), de sorte qu'elle est en quelque sorte naturelle. Et ainsi il y aura toujours des pélagiens, et toujours des catholiques, et toujours combat.

Parce que la première naissance fait les uns, et la grâce de la seconde naissance fait les autres.

Ce sera une des confusions des damnés, de voir qu'ils seront condamnés par leur propre raison, par laquelle ils ont prétendu condamner la religion chrétienne.

13.

Il y a cela de commun entre la vie ordinaire des hommes et celle des saints, qu'ils aspirent tous à la félicité; et ils ne diffèrent qu'en l'objet où ils la placent. Les uns et les autres appellent leurs ennemis ceux qui les empêchent d'y arriver.

Il faut juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle; et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur.

[ocr errors]

14.

Point formaliste. — Quand saint Pierre et les apôtres délibèrent d'abolir la circoncision, où il s'agissoit d'agir contre la loi de Dieu, ils ne consultent point les prophètes, mais simplement la réception du SaintEsprit en la personne des incirconcis. Ils jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu'il remplit de son Esprit, que non pas qu'il faille observer la loi; ils savoient que la fin de la loi n'étoit que le Saint-Esprit; et qu'ainsi, puisqu'on l'avoit bien sans circoncision, elle n'étoit pas nécessaire.

15.

Deux lois suffisent pour régler toute la république chrétienne, mieux que toutes les lois politiques'.

16.

La religion est proportionnée à toutes sortes d'esprits. Les premiers s'arrêtent au seul établissement; et cette religion est telle, que son seul établissement est suffisant pour en prouver la vérité. Les autres vont jusqu'aux apôtres. Les plus instruits vont jusqu'au commencement du monde. Les anges la voient encore mieux, et de plus loin. Dieu, pour se réserver à lui seul le droit de nous instruire, et pour nous rendre la difficulté de notre être inintelligible, nous en a caché le

1. P. R. ajoute: l'amour de Dieu et celui du prochain.

« PreviousContinue »