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obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n'en est pas de même de l'Écriture. Je veux qu'il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet; mais il y a des clartés admirables, et des prophéties manifestes accomplies. La partie n'est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurité, et non pas par la clarté, qui mérite qu'on révère les obscurités.

Contre Mahomet. — L'Alcoran n'est pas plus de Mahomet, que l'Évangile, de saint Matthieu', car il est cité de plusieurs auteurs de siècle en en siècle. Les ennemis mêmes, Celse et Porphyre, ne l'ont jamais désavoué.

L'Alcoran dit que saint Matthieu étoit homme de bien. Donc, Mahomet étoit faux prophète, ou en appelant gens de bien des méchans, ou en ne demeurant pas d'accord de ce qu'ils ont dit de Jésus-Christ.

10.

Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet; car il n'a point fait de miracles, il n'a point été prédit. Nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jésus-Christ.

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Différence entre Jésus-Christ et Mahomet. Mahomet, non prédit; Jésus-Christ, prédit. Mahomet, en tuant; Jésus-Christ, en faisant tuer les siens. Mahomet, en défendant de lire; les apôtres, en ordonnant de lire. Enfin, cela est si contraire, que, si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et qu'au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, JésusChrist devoit périr.

ARTICLE XX2.

1.

Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut à ceux qui le chercheroient. Mais les hommes s'en rendent si indignes, qu'il est juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause de leur endurcissement, ce qu'il accorde aux autres par une miséricorde qui ne leur est pas due. S'il eût voulu surmonter l'obstination des plus endurcis, il l'eût pu, en se découvrant si manifestement à eux, qu'ils n'eussent pu douter de la vérité de son essence; comme il paroîtra au dernier jour, avec un tel éclat de foudre et un tel renversement de la nature, que les morts ressusciteront, et les plus aveugles le verront.

Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paroître dans son avénement de douceur; parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clémence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. Il n'étoit donc pas juste qu'il parût d'une manière manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il

4. C'est-à-dire « Il est également vrai que le Coran est de Mahomet, et que l'évangile de saint Matthieu est de saint Matthieu. »

2. Article XIII de la seconde partie, dans Bossut.

n'étoit pas juste aussi qu'il vînt d'une manière si cachée, qu'il ne pût être connu de ceux qui le chercheroient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connoissable à ceux-là; et ainsi, voulant paroître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il tempère sa connoissance, en sorte qu'il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent, et obscures à ceux qui ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d'obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. Il y a assez de clarté pour éclairer les élus, et assez d'obscurité pour les humilier. Il y a assez d'obscurité pour aveugler les réprouvés, et assez de clarté pour les condamner, et les rendre inexcusables.

2.

Si le monde subsistoit pour instruire l'homme de Dieu, sa divinité reluiroit de toutes parts d'une manière incontestable; mais, comme il ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités. Ce qui y paroît ne marque ni une exclusion totale, ni une présence manifeste de divinité, mais la présence d'un Dieu qui se cache tout porte ce caractère.

S'il n'avoit jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle seroit équivoque, et pourroit aussi bien se rapporter à l'absence de toute divinité, ou à l'indignité où seroient les hommes de le connoître. Mais de ce qu'il paroît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l'équivoque. S'il paroît une fois, il est toujours; et ainsi on n'en peut conclure, sinon qu'il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes.

3.

Dieu veut plus disposer la volonté que l'esprit. La clarté parfaite serviroit à l'esprit et nuiroit à la volonté. Abaisser la superbe.

S'il n'y avoit point d'obscurité, l'homme ne sentiroit point sa corruption; s'il n'y avoit point de lumière, l'homme n'espéreroit point de remède. Ainsi, il est non-seulement juste, mais utile pour nous, que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connoître Dieu sans connoître sa misère, et de connoître sa misère sans connoître Dieu.

4.

Il est donc vrai que tout instruit l'homme de sa condition, mais il le faut bien entendre: car il n'est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n'est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu'il se cache à ceux qui le tentent, et qu'il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu, et capables de Dieu; indignes par leur corruption, capables par leur première nature.

5.

Il n'y a rien sur la terre qui ne montre, ou la misère de l'homme, ou la miséricorde de Dieu; ou l'impuissance de l'homme sans Dieu, ou la puissance de l'homme avec Dieu.

Ainsi, tout l'univers apprend à l'homme, ou qu'il est corrompu,

ou qu'il est racheté; tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. L'abandon de Dieu paroît dans les juifs.

6.

Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités de l'Écriture; car ils les honorent, à cause des clartés divines: et tout tourne en mal pour les autres, jusqu'aux clartés; car ils les blasphèment, à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas.

7.

Si Jésus-Christ n'étoit venu que pour sanctifier, toute l'Écriture et toutes choses y tendroient, et il seroit bien aisé de convaincre les infidèles. Si Jésus-Christ n'étoit venu que pour aveugler, toute sa conduite seroit confuse, et nous n'aurions aucun moyen de convaincre les infidèles. Mais comme il est venu in sanctificationem et in scandalum, comme dit Isaïe, nous ne pouvons convaincre les infidèles, et ils ne peuvent nous convaincre; mais par cela même, nous les convainquons, puisque nous disons qu'il n'y a point de conviction dans toute sa conduite de part ni d'autre.

Jésus-Christ est venu aveugler' ceux qui voyoient clair2, et donner la vue aux aveugles; guérir les malades et laisser mourir les sains3; appeler à la pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés; remplir les indigens, et laisser les riches vides.

Que disent les prophètes, de Jésus-Christ? Qu'il sera évidemment Dieu? Non mais qu'il est un Dieu véritablement caché; qu'il sera méconnu; qu'on ne pensera point que ce soit lui; qu'il sera une pierre d'achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc. Qu'on ne nous reproche donc plus le manque de clarté, puisque nous en faisons profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités. Et sans cela, on ne seroit pas aheurté à Jésus-Christ, et c'est un des desseins formels des prophètes Excæca*...

Dieu, pour rendre le Messie connoissable aux bons et méconnoissable aux méchans, l'a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n'y eût point eu d'obscurité, même pour les méchans. Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité, même pour les bons; car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que le mem 3 fermé, par exemple, signifie six cents ans. Mais le temps a été prédit clairement, et la manière en figures.

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Par ce moyen, les méchans, prenant les biens promis pour matériels,

4. Dans le manuscrit, Pascal cite en note ce passage de saint Marc, iv, 14: Illis autem qui foris sunt, in parabolis omnia fiunt, ut videntes videant et non videant, etc. « Pour ceux qui sont en dehors, tout se passe en paraboles, afin que tout en voyant, ils voient et ne voient pas, » et ce passage d'Isaïe, vi, 10: Excæca cor populi hujus.... ne forte videat et convertatur.... « Aveugle l'esprit de ce peuple.... de peur qu'il ne voie et qu'il soit converti. »

2. Les savants.

3. Ceux qui se croyaient sains.

4. Excæca cor populi hujus, etc.; Isaïe, cité ci-dessus. 5. Lettre de l'alphabet hébraïque.

s'égarent malgré le temps prédit clairement, et les bons ne s'égarent pas: car l'intelligence des biens promis dépend du cœur, qui appelle bien ce qu'il aime; mais l'intelligence du temps promis ne dépend point du cœur; et ainsi la prédiction claire du temps, et obscure des biens, ne déçoit que les seuls méchans.

8.

Comment falloit-il que fût le Messie, puisque par lui le sceptre devoit être éternellement en Juda, et qu'à son arrivée, le sceptre devoit être ôté à Juda?

Pour faire qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent point, rien ne pouvoit être mieux fait.

9.

La généalogie de Jésus-Christ dans l'Ancien Testament est mêlée parmi tant d'autres inutiles, qu'elle ne peut être discernée. Si Moïse n'eût tenu registre que des ancêtres de Jésus-Christ, cela eût été trop visible. S'il n'eût pas marqué celle de Jésus-Christ, cela n'eût pas été assez visible. Mais, après tout, qui regarde de près, voit celle de JésusChrist bien discernée par Thamar, Ruth, etc.

10.

Reconnoissez donc la vérité de la religion dans l'obscurité même de la religion, dans le peu de lumière que nous en avons, dans l'indifférence que nous avons de la connoître.

Jésus-Christ ne dit pas qu'il n'est point de Nazareth', ni qu'il n'est pas fils de Joseph2, pour laisser les méchans dans l'aveuglement.

11.

Comme Jésus-Christ est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi sa vérité demeure parmi les opinions communes, sans différence à l'extérieur ainsi l'eucharistie parmi le pain commun.

Que si la miséricorde de Dieu est si grande qu'il nous instruit salutairement, même lorsqu'il se cache, quelle lumière n'en devons-nous pas attendre lorsqu'il se découvre?

On n'entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pour principe qu'il a voulu aveugler les uns et éclairer les autres.

ARTICLE XXI3.

Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n'ont qu'une même religion. La religion des juifs sembloit consister essentiellement en la paternité d'Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l'arche, au temple de Hiérusalem, et enfin en la loi et en l'alliance de Moïse.

4. Saint-Jean, XVIII, 4: « Nous cherchons Jésus de Nazareth. Jésus dit: < C'est moi. »

2. Saint Mathieu, 1, 22: « N'est-ce pas le fils du charpentier?... Jésus leur dit: << Nul n'est honoré comme prophète dans son pays. »

3. Article XIV de la seconde partie, dans Bossut.

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Je dis qu'elle ne consistoit en aucune de ces choses, mais seulement en l'amour de Dieu, et que Dieu réprouvoit toutes les autres choses. Que Dieu n'acceptoit point la postérité d'Abraham.

Que les juifs seront punis de Dieu comme les étrangers, s'ils l'offensent. Deut., VIII, 19. « Si vous oubliez Dieu, et que vous suiviez des dieux étrangers, je vous prédis que vous périrez de la même manière que les nations que Dieu a exterminées devant vous. >>

Que les étrangers seront reçus de Dieu comme les juifs, s'ils l'aiment. Is., LVI, 3 : « Que l'étranger ne dise pas : « Le Seigneur ne me recevra << pas. >> » Les étrangers qui s'attachent à Dieu seront pour le servir et l'aimer je les mènerai en ma sainte montagne, et recevrai d'eux des sacrifices, car ma maison est la maison d'oraison. »

Que les vrais juifs ne considéroient leur mérite que de Dieu, et non d'Abraham. Is., LXIII, 16. « Vous êtes véritablement notre père, et Abraham ne nous a pas connus, et Israël n'a pas eu de connoissance de nous; mais c'est vous qui êtes notre père et notre rédempteur. »

Moïse même leur a dit que Dieu n'accepteroit pas les personnes'. Deut., x, 17: Dieu, dit-il, « n'accepte pas les personnes, ni les sacrifices 2. >>

Que la circoncision du cœur est ordonnée. Deut., x, 16; Jérém., IV, 4: « Soyez circoncis du cœur; retranchez les superfluités de votre cœur, et ne vous endurcissez pas; car votre Dieu est un Dieu grand, puissant et terrible, qui n'accepte pas les personnes. >>

Que Dieu dit qu'il le feroit un jour. Deut., xxx, 6: « Dieu te circoncira le cœur, et à tes enfans, afin que tu l'aimes de tout ton cœur. » Que les incirconcis de cœur seront jugés. Jér., 1x, 26. Car Dieu jugera les peuples incirconcis, et tout le peuple d'Israël, parce qu'il est « incirconcis de cœur. >>

Que l'extérieur ne sert de rien sans l'intérieur. Joel., II, 13: Scindite corda vestra 3, etc. Is., LVIII, 3, 4, etc.

L'amour de Dieu est recommandé dans tout le Deuteronome. Deut., xxx, 19: « Je prends à témoin le ciel et la terre que j'ai mis devant vous la mort et la vie, afin que vous choisissiez la vie, et que vous aimiez Dieu et que vous lui obéissiez; car c'est Dieu qui est votre vie. »

Que les juifs, manque de cet amour, seroient réprouvés pour leurs crimes, et les païens élus en leur place. Os., 1, 10. Deut., XXXII, 20: « Je me cacherai d'eux, dans la vue de leurs derniers crimes; car c'est une nation méchante et infidèle. Ils m'ont provoqué à courroux par les choses qui ne sont point des dieux; et je les provoquerai à jalousie par

4. Ne ferait pas acception des personnes. >>

2. Pascal ajoute en marge: « Le sabbat n'étoit qu'un signe, Ex., xxxi, 43; et en mémoire de la sortie d'Égypte, Deut., v, 15. Donc il n'est plus né cessaire, puisqu'il faut oublier l'Egypte. La circoncision n'étoit qu'un signe, Gen., XVII, 14. Et de là vient qu'étant dans le désert ils ne furent pas circoncis, parce qu'ils ne pouvoient se confondre avec les autres peuples. Et qu'après que Jésus-Christ est venu, elle n'est plus nécessaire. »

3. « Déchirez vos cœurs, et non vos vêtements. »

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