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roient-ils donné des remèdes à vos maux, puisqu'ils ne les ont pas seulement connus? Vos maladies principales sont l'orgueil, qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence, qui vous attache à la terre; et ils n'ont fait autre chose qu'entretenir au moins l'une de ces maladies. S'ils vous ont donné Dieu pour objet, ce n'a été que pour exercer votre superbe : ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l'autre précipice, en vous faisant entendre que votre nature étoit pareille à celle des bêtes, et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux. Ce n'est pas là le moyen de vous guérir de vos injustices, que ces sages n'ont point connues. Je puis seule vous faire entendre qui vous êtes....

Si on vous unit à Dieu, c'est par grâce, non par nature. Si on vous abaisse, c'est par pénitence, non par nature.

....

Ces deux états étant ouverts, il est impossible que vous ne les reconnoissiez pas. Suivez vos mouvemens, observez-vous vous-mêmes, et voyez si vous n'y trouverez pas les caractères vivans de ces deux natures. Tant de contradictions se trouveroient-elles dans un sujet simple?

....Je n'entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends pas vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends pas aussi vous rendre raison de toutes choses; et pour accorder ces contrariétés, j'entends vous faire voir clairement, par des preuves convaincantes, des marques divines en moi, qui vous convainquent de ce que je suis, et m'attirent autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser; et qu'ensuite vous croyiez sûrement les choses que je vous enseigne, quand vous n'y trouverez aucun sujet de les refuser, sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connoître si elles sont ou non.

S'il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n'adorer que lui et à n'aimer que lui. Mais, comme nous nous trouvons dans l'impuissance d'adorer ce que nous ne connoissons pas, et d'aimer autre chose que nous, il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances, et qu'elle nous apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que par un homme' tout a été perdu, et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que par un homme', la liaison est réparée.

Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu, et il est si nécessaire, qu'il faut que nous naissions coupables, ou Dieu seroit injuste.

2.

Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus3. Car, sans cela, que dira-t-on qu'est l'homme? Tout son état dé

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pend de ce point imperceptible. Et comment s'en fût-il aperçu par sa raison, puisque c'est une chose au-dessus de sa raison, et que sa raison, bien loin de l'inventer par ses voies, s'en éloigne quand on le lui présente?

3.

Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes: un sujet simple leur paroissant incapable de telles et si soudaines variétés, d'une présomption démesurée à un horrible abattement de cœur.

Toutes ces contrariétés, qui sembloient le plus m'éloigner de la connoissance de la religion, est ce qui m'a le plus tôt conduit à la véritable.

Pour moi, j'avoue qu'aussitôt que la religion chrétienne découvre ce principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité : car la nature est telle, qu'elle marque partout un Dieu perdu, et dans l'homme, et hors de l'homme, et une nature corrompue.

Sans ces divines connoissances, qu'ont pu faire les hommes, sinon, ou s'élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s'abattre dans la vue de leur foiblesse présente '? Car, ne voyant pas la vérité entière, ils n'ont pu arriver à une parfaite vertu. Les uns considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable, ils n'ont pu fuir, ou l'orgueil, ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices; puisqu'ils ne peuvent sinon, ou s'y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l'orgueil. Car, s'ils connoissoient l'excellence de l'homme, ils en ignoroient la corruption: de sorte qu'ils évitoient bien la paresse, mais ils se perdoient dans la superbe. Et s'ils reconnoissoient l'infirmité de la nature, ils en ignoroient la dignité de sorte qu'ils pouvoient bien éviter la vanité, mais c'étoit en se précipitant dans le désespoir.

De là viennent les diverses sectes des stoïques et des épicuriens; des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule religion chrétienne a pu guérir ces deux vices, non pas en chassant l'un par l'autre, par la sagesse de la terre, mais en chassant l'un et l'autre, par la simplicité de l'Evangile. Car elle apprend aux justes, qu'elle élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime état ils portent encore la source de toute la corruption, qui les rend durant toute la vie sujets à l'erreur, à la misère, à la mort, au péché; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi, donnant à trembler à ceux qu'elle justifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle tempère avec tant de justesse la crainte avec l'espérance par cette double capacité qui est commune à tous, et de la grâce et du péché,

4. Ici le passage suivant barré : « Dans cette impuissance de voir la vérité entière, s'ils connoissoient la dignité de notre condition, ils en ignoroient la corruption; ou s'ils en connoissoient l'infirmité, ils en ignoroient l'excellence; et suivant l'une ou l'autre de ces routes, qui leur faisoit voir la nature, ou comme incorrompue, ou comme irréparable, ils se perdoient ou dans la superbe, ou dans le désespoir.»

qu'elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer; et qu'elle élève infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler: faisant bien voir par là qu'étant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'à elle et d'instruire et de corriger les hommes.

Qui peut donc refuser à ces célestes lumières de les croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nousmêmes des caractères ineffaçables d'excellence? Et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de résister?

4.

Nous ne concevons ni l'état glorieux d'Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s'en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l'état d'une nature toute différente de la nôtre, et qui passent notre capacité présente. Tout cela nous est inutile à savoir pour en sortir; et tout ce qu'il nous importe de connoître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus-Christ; et c'est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre. Ainsi les deux preuves de la corruption et de la rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l'indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.

5.

Le christianisme est étrange! Il ordonne à l'homme de reconnoître qu'il est vil, et même abominable; et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contre-poids, cette élévation le rendroit horriblement vain, ou cet abaissement le rendroit horriblement abject.

La misère persuade le désespoir, l'orgueil persuade la présomption. L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu'il a fallu.

6.

.... Non pas un abaissement qui nous rende incapable du bien, ni une sainteté exempte du mal.

Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

7.

Les philosophes ne prescrivoient point des sentimens proportionnés aux deux états. Ils inspiroient des mouvemens de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiroient des mouvemens de bassesse pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Il faut des mouvemens de bassesse, non de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvemens de grandeur, non de mérite, mais de grâce, et après avoir passé par la bassesse.

8.

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.

Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu! avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre! La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux!

Incompréhensible.

9.

Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini. Un espace infini, égal au fini.

Incroyable que Dieu s'unisse à nous.— Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous l'avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi, et reconnoissez que nous sommes en effet si bas, que nous sommes par nous-mêmes incapables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cet animal, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. L'homme sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sail pas ce qu'il est lui-même : et, tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication! Mais je voudrois lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connoissant ; et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connoissance. Il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira se communiquer à nous? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnemens, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE XIII'.

1.

La dernière démarche de la raison, c'est de connoître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n'est que foible, si elle ne va jusqu'à connoître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles?

Soumission. - Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut et se soumettre où il faut2. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connoître en démonstration; ou en

4. Article VI de la seconde partie, dans Bossut.

2. Pascal avait écrit d'abord: « Il faut avoir ces trois qualités, pyrrhonien, géomètre, chrétien soumis; et elles s'accordent et se tempèrent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. >>

doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.

2.

Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux ni de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

Saint Augustin. La raison ne se soumettroit jamais si elle ne jugeoit qu'il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle se doit soumettre.

3.

La piété est différente de la superstition. Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent....

Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. Deux excès: exclure la raison, n'admettre que la raison.

4.

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu'ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.

5.

<< Si j'avois vu un miracle, disent-ils, je me convertirois. » Comment assurent-ils qu'ils feroient ce qu'ils ignorent? Ils s'imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet être universel qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre légitimement à toute heure; à reconnoître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a mérité rien de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connoître qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que, sans un médiateur, il ne peut y avoir de

commerce.

6.

Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l'amour de soi et la haine d'eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais d'une créance utile et de foi, si Dieu n'incline le cœur ; et on croira dès qu'il l'inclinera. Et c'est ce que David connoissoit bien, lorsqu'il disoit : Inclina cor meum, Deus, in testimonia tua.

7.

Ceux qui croient sans avoir lu les Testamens, c'est parce qu'ils ont une disposition intérieure toute sainte, et que ce qu'ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu'un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu; ils ne veulent haïr qu'eux-mêmes. Ils sentent qu'ils n'en ont pas la force d'eux-mêmes: qu'ils sont incapables d'aller à Dieu; et que, si Dieu ne vient à eux, ils ne peuvent avoir aucune communication avec lui. Et ils entendent dire dans notre religion qu'il ne faut aimer que Dieu, et ne haïr que soi-même : mais qu'étant tous corrompus, et incapables de Dieu, Dieu s'est fait homme pour s'unir à nous. Il n'en faut pas davantage pour persuader des hommes

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