Page images
PDF
EPUB

Moi, qui suis roi de la matière que je traite et qui n'en dois compte à personne, ne m'en crois pourtant pas du tout. Je hazarde souvent des boutades de mon esprit, desquelles je me défie, et certaines finesses verbales, de quoi je secoue les oreilles; mais je les laisse courir à l'aventure : je vois qu'on s'honore de pareilles choses; ce n'est pas à moi seul d'en juger.

Je me suis envieilli de sept ou huit ans depuis que je commençai : ce n'a pas été sans quelque nouvel acquet ; j'y ai pratiqué la colique par la libéralité des ans. Leur commerce et longue conversation ne se passe aisément sans quelque tel fruit.

Je ne vise ici qu'à découvrir moi-même, qui serai par aventure autre demain, si nouvel apprentissage me change.

J'ajoute, mais je ne corrige pas; parce que, celui qui a hypothéqué au monde son ouvrage, je trouve apparence qu'il n'y ait plus de droit qu'il die, s'il peut mieux ailleurs, et ne corrompe la besogne qu'il a

vendue. De telles gens, il ne faudroit rien acheter qu'après leur mort: qu'ils y pensent bien avant que de se produire. Qui les haste? mon livre est toujours un, sauf qu'à mesure qu'on se met à le renouveller, afin que l'acheteur ne s'en aille les mains du tout vuides, je me donne loix d'y attacher (comme ce n'est qu'une marqueterie mal jointe) quelque emblême supernuméraire. Ce ne sont que surpoids, qui ne condamnent point la première forme; mais donnent quelque prix particulier à chacune des suivantes, par une petite subtilité ambitieuse. De-là toutes fois il aviendra facilement qu'il s'y mêle quelque transposition de chronologie mes contes prenant place selon leur opportunité, non toujours selon leur âge.

Comme j'aime mieux composer deux lettres que d'en clore et plier une, et résigne toujours cette commission à quelque autre; de même, quand la matière est achevée, je donnerois volontiers à quel

qu'un la charge d'y ajouter ces longues harangues, offres, et prières que nous logeons sur la fin, et désire que quelque nouvel usage nous en décharge, comme aussi de les inscrire d'une légende de qualités et titres; pour auxquels ne broncher, j'ai maintes fois laissé décrire, et notamment à gens de justice et de finance. Tant d'innovations d'offices, une si difficile dispensation et ordonnance de divers noms d'honneur, lesquels étant si chèrement achetés, ne peuvent être échangés ou oubliés sans offense.

Je trouve pareillement de mauvaise grâce d'en charger le front et inscription des livres que nous faisons imprimer.

Il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit que de le laisser en pleine oisiveté s'entretenir soi-même, et s'arrêter et rasseoir en soi, ce que j'espérois qu'il peut mes-hui faire plus aisément, devenu avec le temps plus poisant et plus mûr; mais je trouve qu'aux rebours,

faisant le cheval échappé, il se donne cent fois plus de carrière à soi-même qu'il ne prenoit pour autrui; et m'enfante tant de chimères et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre et sans propos, que pour en contempler à mon aise l'ineptie et l'étrangeté, j'ai commencé de les mettre en rolle, espérant avec le tems lui en faire honte à lui-même.

Il n'est lieu où les fautes de la façon paroissent tant qu'en une matière qui de soi n'a point de recommandation.

Ce sont ici mes humeurs et opinions; je les donne pour ce qui est en ma créance, non pour ce qui est à croire.

CHAPITRE II.

DE LA RELIGION.

Je tiens pour absurde et impie, si rien se rencontre ignoramment ou inadvertamment couché en cette rapsodie contraire aux saintes résolutions et prescriptions de l'Église catholique, apostolique et romaine, en laquelle je meurs, et en laquelle je suis

né.

Dieu a laissé en ces hauts ouvrages le caractère de sa divinité, et ne tient qu'à notre imbécillité que nous ne le puissions découvrir. Le ciel, la terre, les élémens, notre corps et notre âme, toutes choses y conspirent: il n'est que de trouver le moyen de s'en servir; elles nous instruisent, si nous sommes capables d'entendre.

« PreviousContinue »