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DARIUS & le plus délicieux, tant par l'abondance de fes eaux, & par la fraîcheur des bocages, que par la beauté furprenante des retraites & des folitudes que l'art & la nature embéliffoient à l'envi, & où éclatoit une magnificence royale.

Alcibiade, qui ne trouvoit plus de sûreté pour lui dans le parti des Spartiates, & qui craignoit toujours le reffentiment d'Agis, commença à leur rendre de mauvais offices auprès de Tiffapherne, pour l'empêcher de les fécourir de toutes les forces, & de ruïner entiérement les Athéniens. Il n'eut pas de peine à faire entrer le Satrape dans fes vûës, qui étoient conformes aux intérêts de fon maître, & aux ordres qu'il en avoit reçus. Car, depuis le fameux traité conclu fous Cimon, les Rois de Perfe n'ofant plus attaquer ouvertement les Grecs; travaillerent à les ruïner par une autre voye. Ils chercherent à exciter fous main parmi eux des divifions, & à les fomenter par des fommes confidérables d'argent qu'ils faifoient couler tantôt à Athénes, & tantôt à Lacédémone. Ils s'appliquerent à balancer fi bien les forces des deux Répub'iques, que l'une ne pût pas opprimer toutà-fait l'autre. Ils n'accordoient que des fecours legers, & qui n'étoient point décififs, afm de miner infenfiblement, & de confumer peu à peu les deax partis, en les affoibliffant l'un par l'autre.

C'eft dans cette forte de conduite que la politique fait confifter l'habileté des Mi

niftres, qui du fond de leur cabinet, fans NоTHUS. fe donner de grands mouvemens, fans faire de grandes dépenfes, fans mettre fur pied des armées nombreuses, parviennent à affoiblir les Etats dont la puiffance leur donne de l'ombrage, foit en fémant des divifions dans le fein même de ces Etats, foit en entretenant des jaloufies parmi les peuples voifins, pour les mettre aux prifes les uns contre les autres.

Il faut pourtant avouer que cette politique ne donne pas une idée bien avantageufe des Rois de Perfe. Se réduire, puiffans comme ils étoient, à ces voyes baffes, obfcures & détournées, c'étoit avouer leur foibleffe, & l'impuiffance où ils fe croyoient d'attaquer à force ouverte leurs ennemis, & d'en tirer raifon par des voyes d'honneur. D'ailleurs eft-il permis d'employer de tels moyens à l'égard de peuples contre lefquels on ne forme aucune plainte, qui vivent en paix fous la foi des traités, & dont tout le crime eft la crainte qu'on a qu'ils ne puiffent nuire un jour ? Peut-on, par des corruptions fecrettes, tendre des piéges à la fidélité des Sujets, & fe rendre complice de leur trahifon en armant leurs mains contre leur propre patrie?

Quel nom, quelle réputation ne se seroit point acquis un Roi de Perse, si, content des vaftes & riches Etats que la Providence lui avoit donnés, il eût employé fes bons offices, fa puiffance, fes richef

A s

DARIUS fes même , pour concilier entr'eux les peuples voifins, pour diffiper leurs jaloufies, pour empêcher les injuftices; & fi, redouté & refpecté de tous, il s'étoit rendu le médiateur de leurs différends, le lien de la paix, & le garant des traités ? Y at'il conquête, quelque grande qu'elle foit, qui approche de cette gloire?

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Tiffapherne agiffoit felon d'autres principes, & il ne fongeoit qu'à mettre les Grecs hors d'état d'attaquer les Perfes leurs. ennemis communs. Il entra donc volon tiers dans les vûës d'Alcibiade: & dans le tems même qu'il fe déclaroit ouvertement pour les Lacédémoniens, il ne laiffoit pas d'affifter fous main & par mille voyes détournées les Athéniens, foit en différant le payement de la flotte des Lacédémoniens foit en retardant l'arrivée de celle de Phénicie qu'il leur faifoit efpérer depuis longtems. Il ne perdoit aucune occafion de donner à Alcibiade des marques de fon eftime & de fon amitié; ce qui rendit ce Général également confidérable aux deux partis. Les Athéniens, qui fe trouvoient fort mal de s'être attiré fa haine, n'étoient pas à fe répentir de la condamnation qu'ils avoient prononcée contre lui. Alcibiade auffi de fon côté, très-fâché de yoir les Athéniens dans une fi trifte fituation, commença à craindre que la ville d'Athénes venant à être entiérement ruïnée, il ne tombât entre les mains des Spartiates, qui le haïssoient mortellement.

§. II.

On ménage le retour d'Alcibiade à Athénes, à condition d'y établir l'Ariftocratie à la place de la Démocratie. Tiffapherne conclut un nouveau traité avec les Lacedémoniens.

NOTHUS.

8. pag. 579.

Plut. in Alcib. pag.

Ce qui actuellement occupoit le plus Thucyd lib. les Athéniens, étoit Samos, où ils avoient $87. toutes leurs forces. De-là, avec leur flotte, ils remettoient fous leur obéiffance les 204. 205. villes qui les avoient abandonnés, retenoient les autres dans le devoir, & fe trouvoient encore en état de faire tête à leurs ennemis, fur lefquels ils avoient remporté plufieurs avantages. Mais ils craignoient Tiffapherne, & les cent cinquante vaiffeaux de Phénicie qu'il attendoit inceffamment; & ils voyoient bien qu'après la jonction d'une fi puiffante flotte il n'y avoit plus de falut pour leur ville. Alcibiade, bien averti de tout ce qui fe paffoit chez eux, envoya fecrettement à Samos vers les principaux des Athéniens pour fonder leurs fentimens, & pour leur faire entendre qu'il n'étoit pas éloigné de retourner à Athénes, pourvû qu'on donnât l'adminiftration de la République aux grands & aux puiffans, & non pas à la vile populace qui l'avoit chaffé. Quelques-uns des premiers Officiers partirent de Samos dans le deffein de concerter avec lui les mefures qu'il étoit à propos de prendre

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DARIUS pour faire réüffir cette entreprise. Il promit de procurer aux Athéniens, non-feulement l'amitié de Tiffapherne, mais même celle du Roi, à condition qu'on aboliroit la Démocratie, c'eft-à-dire, le gouvernement populaire, parce que le Roi prendroit plus d'affurance fur la parole des Grands, que fur celle d'un peuple inconftant & léger.

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Les Députés prêterent volontiers l'oreille à ces propofitions, & conçurent de grandes espérances de fe décharger eux-mêmes d'une partie des impofitions publiques, parce qu'étant les plus riches ils étoient auffi les plus foulés ; & de rendre leur patrie triomphante, après s'être emparés du gouvernement. A leur retour ils commencerent par gagner ceux qui étoient les plus propres à entrer dans leur deffein; puis ils firent répandre parmi les troupes que le Roi paroiffoit difpofé à fe déclarer en faveur des Athéniens, & à payer l'armée, à condition qu'on rétablît Alcibiade, & qu'on abolît le gouvernement populaire. Cette propofition étonna d'abord les foldats, & trouva de l'oppofition dans la plûpart: mais l'appas du gain, & l'efpérance d'un changement qui leur feroit utile, adoucit bientôt ce qu'elle avoit de dur & de choquant, & les fit paffer jufqu'à un defir violent de rappeller Alcibiade.

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Phrynique, l'un des Chefs, jugeant comme il étoit vrai, qu'Alcibiade fe fou cioit auffi peu de l'Oligarchie que de la

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