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l'ai fait remarquer, de comprimer, d'isoler tout ce qu'il touche, de bouleverser, de détruire toutes les harmonies, d'ôter aux principes des êtres leur expansion, et à la masse des effets leur ensemble et leur unité.

BERGASSE. Fragmens sur la manière dont nous distinguons le bien et le mal.

Les Montagnes de la Suisse.

TANTOT d'immenses roches pendaient en ruines audessus de ma tête ; tantôt de hautes et bruyantes cascades. m'inondaient de leurs épais brouillards; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme dont les yeux n'osaient sonder la profondeur. Quelquefois je me perdais dans l'obscurité d'un bois touffu; quelquefois, en sortant d'un gouffre, une agréable prairie réjouissait tout à coup mes regards. Un mélange étonnant de la nature sauvage et de la nature cultivée montrait partout la main des hommes, où l'on eût cru qu'ils n'avaient jamais pénétré. A côté d'une caverne, on trouvait des maisons; on voyait des pampres secs, où l'on n'eût cherché que des ronces, des vignes dans des terres éboulées, d'excellens fruits sur des rochers, et des champs dans des précipices.

Ce n'est pas seulement le travail des hommes qui rendait ces pays étrangers si bizarrement contrastés ; la nature semblait encore prendre plaisir à s'y mettre en opposition avec elle-même, tant on la trouvait différente en un même lieu sous divers aspects! Au levant, les fleurs du printemps; au midi, les fruits de l'automne; au nord, les glaces de l'hiver. Elle réunissait toutes les saisons dans le même instant, tous les climats dans le même lieu, des terrains contraires sur le même sol, et formait l'accord, inconnu partout ailleurs, des productions des plaines et de celles des Alpes.

J. J. ROUSSEAU.

Paysages de la Suisse.

La beauté des paysages de la Suisse est un sujet inépuisable pour le poëte et pour le peintre. Cependant, lorsqu'après avoir lu leurs descriptions et vu leurs tableaux, on voyage sur les Alpes, on sent vivement l'impuissance où est l'art de rendre sensibles les beautés sublimes de la nature. Ce calme et cette pureté de l'air qu'on y respire, l'aspect imposant de cent montagnes colossales enfoncées dans les nues et chargées de glaciers, la multitude de fleurs qui émaillent au printemps les pâturages des hauteurs et contrastent par la vivacité des couleurs avec la sombre verdure des bois d'arbres résineux ; ces chalets solitaires adossés contre les rochers ou protégés par les tiges élancées des sapins; ces troupeaux qui animent les tapis de verdure, et que l'on voit paître jusqu'aux bords des abîmes; la fraîcheur des eaux vives qui jaillissent sur les flancs des montagnes et dans tous les vallons; ces nappes d'eau bleuâtre qui remplissent plusieurs bassins des vallées et brillent dans le lointain ; la situation pittoresque de tant de hameaux et d'habitations isolées : tous ces objets divers font sur le voyageur une impression que ni le pinceau de l'artiste ni la plume du poëte ne peut se flatter d'égaler. L'imagination peut se la figurer, cependant la réalité est encore au-dessus des effets de l'imagination; elle y ajoute toujours des incidens dont on n'a guère d'idées dans les pays de plaine. Tantôt ce sont des vapeurs qui couronnent la cime du rocher d'où se précipite un torrent, en sorte que la masse d'eau paraît tomber des nues; tantôt ce sont des brouillards blanchâtres qui remplissent les vallées et toute la région inférieure, au point de faire croire au voyageur, arrivé au sommet d'une montagne, qu'il est entouré d'un

vaste océan; tantôt c'est la foudre qui de toutes parts s'élance d'épais nuages d'une teinte de cuivre rouge et sillonne les airs au-dessous du spectateur, autour duquel l'air conserve une sérénité parfaite; tantôt ce sont les derniers rayons du soleil qui éclairent les pyramides, plateaux et masses de glace au haut des Alpes, les transforment en objets fantastiques et leur prêtent les couleurs les plus variées et les plus vives, les rapprochent de l'œil du spectateur, et leur laissent en se retirant une teinte pâle et grisâtre qui les a fait comparer à des fantômes gigantesques; quelquefois il semble que les arêtes et les brèches des rochers et des glaciers s'appuient sur des nuages et composent des citadelles aériennes; d'autres fois les nuages paraissent s'étayer à leur tour sur deux montagnes opposées et former, en se rejoignant, une arcade immense au-dessous de laquelle on aperçoit en perspective un paysage riant, éclairé par le plus beau soleil. En un mot la nature réserve toujours à l'étranger qui voyage en Suisse, et même à l'indigène, des sujets de surprise, et il serait souvent tenté de croire qu'il est transporté dans un monde nouveau.

DEPPING, La Suisse.

Coup d'oeil sur l'Espagne.

CONSIDÉRÉE géographiquement et physiquement, l'Espagne tient presque autant à l'Afrique qu'à l'Europe; on ne peut en douter, quand sur la carte de la Méditerranée, à côté des péninsules de Grèce et d'Italie, on voit celle d'Espagne donner, pour ainsi dire, la main à la pointe d'Afrique, qui semble n'être que sa continuation, malgré le nom et le détroit qui les séparent.... A travers les différences que la religion, le gouvernement et les lois ont établies dans les mœurs, dans le costume, dans le langage, on voit que les rapports matériels et

terrestres, le sol, les eaux, la culture, se retrouvent encore les mêmes entre des pays voisins, qu'une longue suite d'événemens a rendus étrangers l'un à l'autre. Ainsi le même soleil brûlant dévore la Barbarie et l'Andalousie ou les Algarves. Les montagnes, dépouillées de forêts, n'y amassent plus les nuages et les pluies. Les plaines et souvent les vallons sont en proie à la sécheresse. Partout, il est vrai, où l'art rencontre des eaux fertilisantes, il en profite avec un succès prodigieux pour demander des récoltes à la terre. Mais auprès de ces riches campagnes sont des déserts, ou des despoblados (1) immenses, où l'œil se perd et la pensée s'attriste, en embrassant de toutes parts l'espace aride et solitaire. Quand on s'élève sur le sommet de quelques unes des nombreuses montagnes qui traversent l'Espagne, on n'aperçoit sous un ciel presque toujours ardent que des plateaux incultes et des pentes nues, dont rien de vivant ne coupe l'uniformité. Seulement au fond des vallées serpente au loin une rivière ou un ruisseau, entouré d'une lisière de verdure, où l'on suit comme à la trace les moissons, les plantations et les habitations des hommes. Une carte enluminée, présentant la forme de tous les bassins, les eaux avec une teinte d'azur, et leurs bords avec une teinte verte plus ou moins large, serait un tableau fidèle, où l'on pourrait reconnaître l'état réel de ce territoire, qui, à peu près égal en surface à celui de la France, ne contient cependant et ne nourrit qu'une population à peine égale au tiers de la nôtre. On embrasserait d'un coup d'œil, comme par l'anatomie, les veines et les artères de ce grand corps, qui manque d'embonpoint, mais qui a encore des nerfs et des muscles, si l'on ose employer une telle comparaison, et dont la structure

(1) Les endroits dépeuplés sont si communs en Espagne, qu'il y a un substantif particulier pour les désigner: on dit un despoblado.

présente une charpente taillée pour la grandeur et la

force.

Mémoires du Maréchal SUCHET, tom. Ier, chap. 11, pag. 42-45. 1828.

Les Forêts et les Habitans des Régions glaciales.

Sous un ciel toujours couvert d'épais nuages, où la clarté du jour pénètre avec peine, s'élèvent de vastes et antiques forêts. L'horreur, le silence et la nuit les habitent; des arbres, presque aussi vieux que la terre qui les porte, s'y élèvent et s'y amoncellent, pour ainsi dire, sans ordre, les uns contre les autres. Leurs branches touffues et entrelacées n'offrent qu'avec peine des routes tortueuses, que des ronces embarrassent encore: là, des cimes énormes succombent sous le poids des années ou par la violence des vents; elles tombent avec effort sur des troncs antiques qui gisaient à leurs pieds, et recouvraient d'autres troncs à demi pourris. L'on n'entend dans ces affreuses solitudes, dans ce séjour rude et sauvage, que les cris rauques et funèbres d'oiseaux voraces, les hurlemens des ours qui cherchent une proie, le fracas d'un torrent qui se précipite d'une roche escarpée, rejaillit en vapeur, et fait gronder les échos de ces lieux bruts et incultes, ou le bruit des rochers que la main du temps fait rouler au milieu de ces forêts retentissantes.

Là habitent, dans des cavernes, des hommes durs, féroces, indomptables, ne vivant que de leur chasse, ne se nourrissant que de sang, et ne désirant que de le boire dans le crâne de leurs ennemis. Lorsque l'hiver vient étendre ses glaces sur ces âpres contrées, qu'il répand à grands flots la neige, que les eaux cessent de couler, se glacent et durcissent; que les fleuves sont changés en masse solide, capable de soutenir les plus lourds fardeaux, et que la mer ne présente plus qu'une plaine ri

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