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Je monte avec lui dans les cieux je reconnais Vénus tout entière à cette ceinture d'où s'échappent sans cesse les feux de l'amour, les désirs impatiens, les grâces séduisantes et les charmes inexprimables du langage et des jeux je reconnais Pallas et ses fureurs, à cette égide où sont suspendues la Terreur, la Discorde, la Violence, et la tête épouvantable de l'horrible Gorgone: Jupiter et Neptune sont les plus puissans des Dieux; mais il faut à Neptune un trident pour secouer la terre; à Jupiter, un clin d'œil pour ébranler l'Olympe. Je descends sur la terre : Achille, Ajax et Diomède sont les plus redoutables des Grecs; mais Diomède se retire à l'aspect de l'armée troyenne; Ajax ne cêde qu'après l'avoir repoussée plusieurs fois; Achille se montre, et elle disparaît (1).

BARTHELEMY. Voyage d'Anacharsis.

Æschyle.

ÆSCHYLE reçut des mains de Phrynicus, disciple de Thespis, la tragédie dans l'enfance, enveloppée d'un vêtement grossier, le visage couvert de fausses couleurs, ou d'un masque sans caractère, n'ayant ni grâces ni dignité dans ses mouvemens; inspirant le désir de l'intérêt qu'elle remuait à peine, éprise encore des farces et des facéties qui avaient amusé ses premières années, s'exprimant quelquefois avec élégance et dignité, souvent dans un style faible, rampant, et souillé d'obscénités grossières.

Le père de la tragédie, car c'est le nom qu'on peut donner à ce grand homme, avait reçu de la nature une âme forte et ardente. Son silence et sa gravité annonçaient l'austérité de son caractère. Dans les batailles de Mara

(1) Voyez t. II, Caractères ou Portraits; et les Leçons Latines anciennes et modernes.

thon, de Salamine et de Platée, où tant d'Athéniens se distinguèrent par leur valeur, il fit remarquer la sienne. Il s'était nourri, dès sa plus tendre jeunesse, de ces poëtes qui, voisins des temps héroïques, concevaient d'aussi grandes idées qu'on faisait alors de grandes choses. L'histoire des siècles reculés offrait à son imagination vive des succès et des revers éclatans, des trônes ensanglantés, des passions impétueuses et dévorantes, des vertus sublimes, des crimes et des vengeances, partout l'empreinte de la grandeur, et souvent celle de la férocité.

Dans quelques unes de ses pièces, l'exposition du sujet a trop d'étendue; dans d'autres, elle n'a pas assez de clarté : quoiqu'il pèche souvent contre les règles qu'on a depuis établies, il les a presque toutes entrevues.

On peut dire d'Eschyle, ce qu'il dit lui-même du héros Hippomédon : « L'épouvante marche devant lui, la tête élevée jusqu'aux cieux. » Il inspire partout une terreur profonde et salutaire; car il n'accable notre âme par des secousses violentes, que pour la relever aussitôt par l'idée qu'il lui donne de sa force. Ses héros aiment mieux être écrasés par la foudre que de faire une bassesse, et leur courage est plus inflexible que la loi fatale de la nécessité. Cependant il savait mettre des bornes aux émotions qu'il était si jaloux d'exciter; il évita toujours d'ensanglanter la scène, parce que ses tableaux devaient être effrayans sans être horribles.

Ce n'est que rarement qu'il fait couler des larmes, et qu'il excite la pitié, soit que la nature lui eût refusé cette douce sensibilité qui a besoin de se communiquer aux autres, soit plutôt qu'il craignît de les amollir. Jamais il n'eût exposé sur la scène des Phèdre et des Sthénobée; jamais il n'a peint les douceurs et les fureurs de l'amour; il ne voyait dans les différens accès de cette passion que des faiblesses ou des crimes d'un dangereux exemple pour les mœurs, et il voulait qu'on fût forcé d'estimer ceux qu'on est forcé de plaindre.

Ses plans sont d'une extrême simplicité. Il négligeait ou ne connaissait pas assez l'art de sauver les invraisemblances, de nouer ou de dénouer une action, d'en lier étroitement les différentes parties, de la presser ou de la suspendre par des reconnaissances et par d'autres accidens imprévus il n'intéresse quelquefois que par le récit des faits et par la vivacité du dialogue; d'autres fois, que par la force du style, ou par la terreur du spectacle. Il paraît qu'il regardait l'unité d'action et de temps comme essentielle, celle de lieu comme moins nécessaire.

Le caractère et les mœurs de ses personnages sont convenables et se démentent rarement. Il choisit pour l'ordinaire ses modèles dans les temps héroïques, et les soutient à l'élévation où Homère avait placé les siens. Il se plaît à peindre des âmes vigoureuses, franches, supérieures à la crainte, dévouées à la patrie, insatiables de gloire et de combats, plus grandes qu'elles ne sont aujourd'hui, telles qu'il en voulait former pour la défense de la Grèce; car il écrivait dans le temps de la guerre des Perses.

Il règne, dans quelques uns de ses ouvrages, une obscurité qui provient, non seulement de son extrême précision et de la hardiesse de ses figures, mais encore des termes nouveaux dont il affecte d'enrichir ou de hérisser son style. Æschyle ne voulait pas que ses héros s'exprimassent comme le commun des hommes; leur élocution devait être au-dessus du langage vulgaire; elle est souvent au-dessus du langage connu. Pour fortifier sa diction, des mots volumineux, et durement construits des débris de quelques autres, s'élèvent du milieu de la phrase, comme ces tours superbes qui dominent sur les remparts d'une ville (1).

L'éloquence d'Eschyle était trop forte pour l'assujettir aux recherches de l'élégance, de l'harmonie et de la cor

(1) Comparaison d'Aristophane.

rection; son essor trop audacieux, pour ne pas l'exposer à des écarts et à des chutes. C'est un style en général noble et sublime : en certains endroits, grand avec excès, et pompeux jusqu'à l'enflure; quelquefois méconnaissable et révoltant par des comparaisons ignobles, des jeux de mots puérils, et d'autres vices qui sont communs à cet auteur, avec ceux qui ont plus de génie que de goût. Malgré ses défauts, il mérite un rang très-distingué parmi les plus célèbres poëtes de la Grèce.

LE MÊME. Ibid.

Eschyle, Sophocle, Euripide.

MALGRÉ les préventions et la haine d'Aristophane contre Euripide, sa décision, en assignant le premier rang à Eschyle, le second à Sophocle, et le troisième à Euripide, était alors conforme à l'opinion de la plupart des Athéniens sans l'approuver, sans la combattre, je vais rapporter les changemens que les deux derniers firent à l'ouvrage du premier.

Sophocle reprochait trois défauts à Æschyle: la hauteur excessive des idées, l'appareil gigantesque des expressions, la pénible disposition des plans; et ces défauts, il se flattait de les avoir évités.

Si les modèles qu'on nous présente au théâtre se trouvaient à une trop grande élévation, leurs malheurs n'auraient pas le droit de nous attendrir, ni leurs exemples celui de nous instruire. Les héros de Sophocle sont à la distance précise où notre admiration et notre intérêt peuvent atteindre comme ils sont au-dessus de nous, sans être loin de nous, tout ce qui les concerne ne nous est ni trop étranger ni trop familier; et, comme ils con. servent de la faiblesse dans les plus affreux revers, il en résulte un pathétique sublime qui caractérise spécialement ce poëte.

Il respecte tellement les limites de la véritable grandeur, que, dans la crainte de les franchir, il lui arrive quelquefois de n'en pas approcher. Au milieu d'une course rapide, au moment qu'il va tout embraser, on le voit soudain s'arrêter et s'éteindre on dirait alors qu'il préfère les chutes aux écarts.

Il n'était pas propre à s'appesantir sur les faiblesses du cœur humain, ni sur des crimes ignobles; il lui fallait des âmes fortes, sensibles, et par-là même intéressantes: des âmes ébranlées par l'infortune, sans en être accablées ni enorgueillies.

En réduisant l'héroïsme à sa juste mesure, Sophocle baissa le ton de la tragédie, et bannit ces expressions qu'une imagination furieuse dictait à Eschyle, et qui jetaient l'épouvante dans l'âme des spectateurs: son style, comme celui d'Homère, est plein de force, de magnificence, de noblesse et de douceur; jusque dans la peinture des passions les plus violentes, il s'assortit heureusement à la dignité des personnages.

Eschyle peignit les hommes plus grands qu'ils ne peuvent être ; Sophocle, comme ils devraient être ; Euripide, tels qu'ils sont. Les deux premiers avaient négligé des passions et des situations que le troisième crut susceptibles de grands effets. Il représenta tantôt des Princesses brûlantes d'amour, et ne respirant que l'adultère et les forfaits; tantôt des Rois dégradés par l'adversité, au point de se couvrir de haillons et de tendre la main, à l'exemple des mendians. Ces tableaux, où l'on ne retrouvait plus l'empreinte de la main d'Eschyle, ni celle de Sophocle, soulevèrent d'abord les esprits: on disait qu'on ne devait, sous aucun prétexte, souiller le caractère ni le rang des héros de la scène; qu'il était honteux de décrire avec art des images honteuses, et dangereux de prêter au vice l'autorité des grands exemples.

Mais ce n'était plus le temps où les lois de la Grèce infligeaient une peine aux artistes qui ne traitaient pas

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