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par les regrets de l'histoire, plus que jamais vivante et fidèle image du Dieu qui semblait, par la voix de ses ministres, redevenus des prophètes, vouloir encore une fois avertir les Français de conjurer l'orage, avant de lui permettre de dévorer la terre.

ROUX DE LABorie.

Malesherbes.

J'AI vu plusieurs fois cet illustre vieillard, et je me rap. pelle sa figure ouverte et calme, et son air un peu distrait; ses principes étaient sévères, et sa société était douce: magistrat intègre, père tendre, ami zélé, il jouissait de l'estime générale et de la bienveillance universelle. Tout, dans sa vie publique et privée, avait été bon et honorable; mais l'éclat extraordinaire que jeta la fin de sa carrière a, pour ainsi dire, placé tout le reste dans l'ombre, et l'imagination ne s'y arrête pas.

L'histoire a conservé un grand nombre de traits de dévouement qui honorent l'humanité. Des citoyens se sont sacrifiés pour leur pays, des Rois se sont immolés pour le salut de leurs peuples, et tous les jours des milliers de héros obscurs affrontent les plus éminens périls pour servir la patrie ou le Souverain, qui, dans la monarchie, ne fait qu'un avec l'Etat. Entre ces belles actions, ce qui distingue celle de M. de Malesherbes, c'est l'absence de tous les motifs qui excitent ordinairement les hommes, et qui les portent à des résolutions courageuses. En effet, on ne saurait attribuer son dévouement généreux à un de ces élans de patriotisme, si commun chez les anciens, et qui était, chez eux, poussé jusqu'au fanatisme; ce n'était pas non plus l'amour de la gloire ou l'ambition, passions qui portent à de si grands sacrifices; l'honneur, ce tyran impérieux qui se fait obéir, en menaçant de la honte, bien plus redoutable que la mort, n'exigeait rien. 1.-28,

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de lui: enfin il ne fut pas entraîné par une de ces amitiés vives et fortes, si rare entre des égaux, impossible lorsqu'il y a une grande inégalité de rang, surtout dans l'occasion dont il s'agit, puisque l'étiquette de la cour de France s'opposait à ce que la haute robe eût aucune intimité avec la famille royale, la noblesse militaire étant seule admise aux chasses et aux soupers, où les Princes se familiarisaient avec elle. Il est bien vrai que M. de Malesherbes, ayant été quelque temps ministre, avait été à portée d'apprécier le cœur du Roi, et de connaître ses intentions bienfaisantes; mais ce sentiment n'est point de l'amitié. Quels furent donc les motifs de cette courageuse détermination? Une pieuse fidélité envers un Souverain déchu sans être dégradé, une noble pitié pour le malheur.

La simplicité de la forme releva merveilleusement la beauté de l'action : point d'enthousiasme, point de bravade. Il plaida cette cause mémorable comme si elle eût pu être gagnée; moins sans doute dans l'espoir de sauver son royal client, que pour se procurer un accès auprès de lui, et pour lui offrir la seule consolation digne de lui, les épanchemens d'un cœur vertueux et sensible.

L'héroïsme calme n'excite pas seulement notre admiration, il nous inspire une affection personnelle pour celui qui développe à nos yeux un si beau caractère, et ce sentiment n'a rien que de juste; car l'on ne peut réellement compter que sur un courage désintéressé et pur dans ses motifs, qui ne doit rien à l'exemple, aux circonstances, ou à la vivacité des passions. Un ancien a dit, en parlant de Caton, que la lutte d'un homme vertueux aux prises avec l'infortune était un spectacle digne de fixer les regards de la Divinité; l'on pourrait ajouter que celui qui se présente de lui-même à un danger imminent, par vertu, qui l'affronte avec une héroïque fermeté, en est la plus parfaite image.

M. le Duc DE Lévis.

Louis XVIII.

LA France languissait au milieu des tourmens de la dissension, au milieu des maux de la guerre et des envahissemens d'un long despotisme. Louis arriva, et avec lui parut la justice comme l'arc-en-ciel après la tempête. Il entra dans son royaume comme un médiateur désiré, pour réconcilier les cœurs en apaisant l'effervescence des esprits. Louis prouva que c'est moins par la puissance des armes que par celle des grandes pensées, qu'on influe sur le bonheur des hommes et la prospérité des nations. Il ne revint en France que pour tout réunir; il portait avec lui cette Charte immortelle, si long-temps méditée sur la terre de l'exil, et qu'il regardait avec raison comme le plus précieux bien de la vie sociale.

C'est au milieu de nous qu'il vint réaliser cette maxime · vraie autant que profonde, du plus illustre et du plus vénéré de nos magistrats ( Malesherbes), que la justice est la véritable bienfaisance des Rois, Aux plaintes sans nombre de tant de conditions mécontentes, il opposa la modération, cette vertu première des gouvernans; et ralliant l'expérience du passé à toutes les expériences de l'avenir, il prépara par des institutions prévoyantes tout le bonheur dont nous jouissons. « Je ne mourrai pas tout entier, disaitil à des députés qui le visitaient presque à ses derniers jours. Je laisse à mon peuple des lois qui renferment le secret de sa conservation et de sa durée. »

D'autres le diront mieux que moi, tout ce qu'a fait çe Prince si grand par son esprit, et qui était devenu si puissant par sa justice; ce Monarque révéré, ce politique profond qu'on admirait toujours davantage à mesure qu'on le voyait de plus près. D'autres parleront de cette raison supérieure qu'il fit éclater dans tous les conseils, de ces augustes paroles qui changeaient à son gré les cœurs, et

qu'on citait partout comme des oracles. Ils loueront en lui ce génie sans écart qu'il dirigeait si bien par ses sages principes, cet éminent savoir, ce rare discernement dans les conjonctures les plus délicates, et surtout la fermeté de cette âme sublime, mûrie par l'étude et la méditation, perfectionnée en quelque sorte par l'infortune. On citera cette urbanité, cette politesse exquise, cette élocution ornée, cette grâce inimitable dans les entretiens privés, cette incomparable érudition, digne des plus beaux siècles de Rome et d'Athènes.

Quant à moi, je ne rappelle ici que ce qui a trait à cette vertu suprême, la plus estimée des mortels, parce qu'on lui doit l'harmonie des ressorts monarchiques, et que Louis la possédait au plus haut degré. Nul roi ne fut plus que lui persuadé que la justice est le nerf vivifiant d'un Etat, et l'égide conservatrice de l'édifice social. L'Histoire écrira comment il sut tenir la balance entre les prétentions des divers partis. Qui n'a pas été frappé de sa mémoire reconnaissante pour les services de ses sujets, de l'équité de ses actes, de la prudence de ses décisions, de cette scrupuleuse observation de la règle, de ce constant amour de l'ordre qui perpétue les empires, de ce religieux emploi du temps, de cette ponctualité diligente qui le rendait, pour ainsi dire, présent à toutes les affaires de son royaume? Il ne faut qu'une invasion pour abattre des remparts, pour renverser des murailles : un tremblement de terre peut engloutir les tours des plus superbes villes; mais la justice survit à toutes les ruines : elle a le cours tranquille et puissant de ces fleuves bienfaisans dont aucun obstacle n'arrête la salutaire influence; elle est toujours là pour rendre à chacun ce qui lui appartient, pour comprimer les hommes qui font manquer le but de l'autorité politique, et ce but n'est autre chose que le bonheur de

tous.

ALIBERT. Physiologie des Passions, 2o édit. tom. II, ch. XVI. De la Justice. Pag, 231 et suiv.

CARACTÈRES LITTÉRAIRES.

Homère.

Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers; mais je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier planer, pour ainsi dire, sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue; assistant au conseil des Dieux; sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et ne pouvant plus supporter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec elles-mêmes; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talens supérieurs, nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre âme une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir.

Car ce qui distingue surtout Homère, c'est de tout animer, et de nous pénétrer sans cesse des mouvemens qui l'agitent; c'est de tout subordonner à la passion principale, de la suivre dans ses fougues, dans ses écarts, dans ses inconséquences, de la porter jusqu'aux nues, et de la faire tomber, quand il le faut, par la force du sentiment et de la vertu, comme la flamme de l'Etna que le vent repousse au fond de l'abîme; c'est d'avoir saisi de grands caractères, d'avoir différencié la puissance, la bravoure et les autres qualités de ses personnages, non par des descriptions froides et fastidieuses, mais par des coups de pinceau rapides et vigoureux, ou par des fictions neuves et semées presque au hasard dans ses ouvrages.

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