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qu'il tire de temps en temps des trésors de sa providence pour assister les Rois et pour gouverner les Royaumes. Son adresse à concilier les esprits par des persuasions efficaces, à préparer les événemens par des négociations pressées ou lentes, à exciter ou calmer les passions par des intérêts et des vues politiques, à faire mouvoir avec habileté les ressorts de la guerre ou de la paix, l'avait fait regarder comme un ministre non seulement utile, mais encore nécessaire. La pourpre dont il était revêtu, la capacité qu'il fit voir, et la douceur dont il usa, après plusieurs agitations, le mirent enfin au-dessus de l'envie; et, tout concourant à sa gloire, le Ciel même faisant servir à son élévation et sa faveur et ses disgrâces, il prit les rênes de l'Etat : heureux d'avoir aimé la France comme sa patrie, d'avoir laissé la paix aux peuples fatigués d'une longue guerre, et plus encore d'avoir appris l'art de régner et les secrets de la royauté au premier Monarque du monde (1)!

FLÉCHIER. Oraisons funèbres.

Le Cardinal de Retz.

PUIS-JE oublier celui que je vois partout dans le récit de nos malheurs? cet homme si fidèle aux particuliers, si redoutable à l'Etat, d'un caractère si haut qu'on ne pouvait ni l'estimer, ni le craindre, ni l'aimer, ni le haïr à demi; ferme génie, que nous avons vu, en ébranlant l'univers, s'attirer une dignité qu'à la fin il voulut quitter comme trop chèrement achetée, ainsi qu'il eut le courage de le reconnaître dans le lieu le plus éminent de la Chrétienté, et enfin comme peu capable de contenter ses désirs: tant il connut son erreur et le vide des

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. I, même sujet.

grandeurs humaines ! Mais pendant qu'il voulait acquérir ce qu'il devait un jour mépriser, il remua tout par de secrets et puissans ressorts; et, après que tous les partis furent abattus, il sembla encore se soutenir seul, et seul encore menacer le favori victorieux de ses tristes et intrépides regards. La Religion s'intéresse dans ses infortunes; la ville Royale s'émeut, et Rome même menace. Quoi donc n'est-ce pas assez que nous soyons attaqués au dedans et au dehors par toutes les puissances temporelles? Faut-il que la Religion se mêle dans nos malheurs, et qu'elle semble nous opposer de près et de loin une autorité sacrée ?

BOSSUET. Oraisons funèbres.

Même sujet.

PAUL DE GONDI, Cardinal de Retz, a beaucoup d'élévation, d'étendue d'esprit, et plus d'ostentation que de vraie grandeur. Il a une mémoire extraordinaire, plus de force que de politesse dans ses paroles, l'humeur facile, de la docilité et de la faiblesse à souffrir les plaintes et les reproches de ses amis ; peu de piété, quelques apparences de religion.

Il paraît ambitieux sans l'être; la vanité et ceux qui l'ont conduit lui ont fait entreprendre de grandes choses, presque toutes opposées à sa profession : il a suscité les plus grands désordres de l'Etat, sans avoir un dessein formé de s'en prévaloir; et, bien loin de se déclarer ennemi du Cardinal Mazarin pour occuper sa place, il n'a pensé qu'à lui paraître redoutable, et à se flatter de la fausse vanité de lui être opposé. Il a su néanmoins profiter avec habileté des malheurs publics pour se faire Cardinal; il a souffert sa prison avec fermeté, et n'a dû sa liberté qu'à sa hardiesse. La paresse l'a soutenu avec gloire durant plusieurs années dans l'obscurité d'une vie errante et

cachée. Il a conservé l'archevêché de Paris contre la puissance du Cardinal Mazarin; mais, après la mort de ce ministre, il s'en est démis, sans connaître ce qu'il faisait, et sans prendre cette conjoncture pour ménager les intérêts de ses amis et les siens propres. Il est entré dans divers conclaves, et sa conduite a toujours augmenté sa réputation.

Sa pente naturelle est l'oisiveté; il travaille néanmoins avec activité dans les affaires qui le pressent, et il se repose avec nonchalance quand elles sont finies. Il a une grande présence d'esprit, et sait tellement tourner à son avantage les occasions que la fortune lui offre, qu'il semble qu'il les ai prévues et désirées. Il aime à raconter; il veut éblouir indifféremment tous ceux qui l'écoutent par des aventures extraordinaires, et souvent son imagination lui fournit plus que sa mémoire.

Il est faux dans la plupart de ses qualités; et ce qui a le plus contribué à sa réputation, est de savoir donner un beau jour à ses défauts. Il est insensible à la haine et à T'amitié, quelque soin qu'il ait pris de paraître occupé de l'une ou de l'autre. Il est incapable d'envie et d'avarice, soit par vertu, soit par inapplication. Il a plus emprunté de ses amis, qu'un particulier ne pouvait espérer de pouvoir leur rendre. Il a senti de la vanité à trouver tant de crédit, et à entreprendre de s'acquitter; il n'a point de goût ni de délicatesse; il s'amuse à tout et ne se plaît à rien; il évite avec adresse de laisser pénétrer qu'il n'a qu'une légère connaissance de toutes choses. La retraite qu'il vient de faire est la plus éclatante et la plus fausse action de sa vie; c'est un sacrifice qu'il fait à son orgueil, sous prétexte de dévotion: il quitte la Cour où il ne peut s'attacher, et il s'éloigne du monde qui s'éloigne de lui. LA ROCHEFOUcauld.

Même sujet.

ON a de la peine à comprendre comment un homme qui passa sa vie à cabaler n'eut jamais de véritable objet. Il aimait l'intrigue pour intriguer : esprit hardi, délié, vaste et un peu romanesque, sachant tirer parti de l'autorité que son état lui donnait sur le peuple, et faisant servir la religion à sa politique; cherchant quelquefois à se faire un mérite de ce qu'il ne devait qu'au hasard, et ajustant souvent après coup les moyens aux événemens.

Il fit la guerre au Roi; mais le personnage de rebelle était ce qui le flattait le plus dans sa rebellion: magnifique, bel-esprit, turbulent, ayant plus de saillies que de suite, plus de chimères que de vues, déplacé dans une monarchie, et n'ayant pas ce qu'il fallait pour être républicain, parce qu'il n'était ni sujet fidèle ni bon citoyen; aussi vain, plus hardi et moins honnête homme que Cicéron, enfin plus d'esprit, moins grand et moins méchant que Catilina.

Ses Mémoires sont très-agréables à lire; mais conçoiton qu'un homme ait le courage ou plutôt la folie de dire de lui-même plus de mal que n'en eût pu dire son plus grand ennemi? Ce qui est étonnant, c'est que ce même homme, sur la fin de sa vie, n'était plus rien de tout cela, et qu'il devint doux, paisible, sans intrigue, et l'amour de tous les honnêtes gens de son temps; comme si toute son ambition d'autrefois n'avait été qu'une débauche d'esprit, et des tours de jeunesse dont on se corrige avec l'âge; ce qui prouve bien qu'en effet il n'y avait en lui aucune passion réelle. Après avoir vécu avec une magnificence extrême, et avoir fait pour plus de quatre millions de dettes, tout fut payé, soit de son vivant, soit après sa mort.

Le Président HENAULT,

Saint Vincent de Paul.

A la tête de ces protecteurs de l'humanité souffrante, je vois un homme qui a reçu du Ciel le don de l'élocution et la sensibilité la plus profonde, éloquent à force d'âme et de vertu, fécond en pensées du cœur, et par-là même également sublime et populaire dans ses discours, doué du plus rare courage d'esprit, de la conception des grandes entreprises et de la patience des plus petits détails, d'une imagination hardie et d'un jugement sage, d'une prudence consommée pour discerner l'à-propos des momens opportuns, saisir le point de maturité des projets utiles, et s'attacher aux établissemens durables; enfin d'un zèle ardent et inébranlable, d'un attrait de persuasion qui rallie toutes les opinions à ses sentimens, et du talent plus heureux encore et plus rare, d'embraser les cœurs du feu divin, dont il est consumé lui-même. Cet homme anime tout, propose les bonnes œuvres, discute les moyens, indique les ressources, écarte les obstacles, correspond à la fois avec le gouvernement, avec les riches, avec les malheureux. Son regard embrasse toutes les provinces ; il veille sans cesse pour la patrie; il est présent à toutes les calamités; il atteint tous les malheurs par sa bienfaisance; il transporte tous ses auditeurs au milieu des désastres publics; il les entraîne dans ce tourbillon de charité qui l'environne, les pénètre de terreur, les fait fondre en larmes, les oppresse de sanglots, leur ôte leur âme pour leur donner la sienne, et cet homme de la Providence est Vincent de Paul, qui, du milieu de son assemblée de charité (1), semble dire, comme

(1) On comptait dans cette respectable association Anne d'Autriche, la reine de Pologne, la princesse de Conti, la duchesse d'Aiguillon, le général de Gondi, le maréchal Faber, la vertueuse veuve Le Gras, née Marilhac, qui devint la première supćrieure de la Charité, dont elle prit l'habit, après avoir déposé,

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