Page images
PDF
EPUB

blaient déclarer avec franchise, ou la haine ou l'amitié; lors même qu'il excitait des discordes, il avait le maintien d'un conciliateur, la supériorité d'un arbitre. Il se faisait pardonner son orgueil par un enjouement plein de grâces. En s'établissant le vengeur de la Religion, il affectait de ne montrer que celle d'un soldat, d'un chevalier; il s'avouait vindicatif, et préconisait la vengeance comme l'attribut des belles âmes. Ce meurtrier de Coligny portait légèrement le poids de son crime: il n'était plus de sommeil pour celui qui avait offensé le Duc de Guise; sa mémoire paraissait aussi grande pour les services que pour les injures. Ses dons, quoique semés par une ambition savante, paraissaient toujours versés par une bonté facile; son élocution avait de l'éclat et de la force; la profondeur de ses passions, la vivacité de ses pensées, lui faisaient rejeter, soit les ornemens pédantesques, soit les puérils jeux d'esprit qui corrompaient alors toute éloquence. Il écoutait bien, et cependant ne prenait jamais conseil que de lui-même (1).

Les Ducs de Guise.

LE MÊME.

La maison de Lorraine est une de ces grandes familles historiques qui, sans avoir porté la couronne, se présentent aux regards de la postérité avec toute la puissance et toute la majesté d'une dynastie tige hardie, vigoureuse et féconde, qui s'éleva à la hauteur du trône, le dépassa quelquefois, et qui, après avoir couvert de ses rameaux toutes les avenues de la grandeur et de la gloire, languit abandonnée sur la terre d'exil, ou ne revit le sol de la France que pour briller un moment dans des fêtes mythologiques, et disparaître enfin sans retour! Certes, il y a loin de ces premiers ducs de Guise

(1) Voyez en vers.

qui, tour à tour l'effroi ou le soutien de la couronne, tenaient dans leurs mains les destinées de l'Etat, au dernier prince de leur race mourant inconnu dans son hôtel; mais quatre-vingts ans passés à gagner des batailles, à ourdir des conspirations, à remuer des trônes, épuisent le sang le plus généreux; et d'ailleurs les temps et les rois avaient changé sur leur passage; la pusillanimité des Valois avait fait place à la fermeté de Henri IV; le cardinal de Richelieu avait osé proscrire le chef d'une maison qui était demeurée un Etat dans l'Etat, et Louis XIV ne permettait aux héritiers du nom de Guise que de commander dans des carrousels, ou de le suivre en volontaires à ses conquêtes.

[ocr errors]
[ocr errors]

Il est heureux peut-être que le Ciel ait épargné à la terre le nombre des hommes tels que les Guises. « Pour qu'un homme soit au-dessus de l'humanité, dit Montesquieu, il en coûte trop cher aux autres, » Cependant, lorsque dans la grande galerie du château d'Eu on contemple ces nobles figures; lorsque l'on voit ce vieux Claude de Lorraine, avec sa lourde cuirasse, sa longue épée teinte de sang à Marignan, et ses six glorieux fils pour cortége et pour appui; lorsqu'on voit ce François de Lorraine, rival de Charles-Quint et vainqueur des Anglais; ce cardinal, orateur éloquent, prince galant et magnifique, prêtre ambitieux et cruel; Marie Stuart, ange de douleur et de poésie, dont la tête charmante porta une couronne et tomba sous la hache du bourreau; ce Balafré, dont l'audace était une seconde royauté; Catherine de Montpensier, avec ses ciseaux et son poignard; Charles de Lorraine, l'élu de la Ligue, expiant dans l'exil sa royauté d'un jour; son fils enfin, chevalier si aventureux, héros de la fable dans les tournois, héros de roman dans les fastes de la galanterie..... lorsque, entouré de tous les membres de cette noble et vaste famille, on se rappelle que, dans ce nombre, l'un a élevé ces anciennes murailles; que plusieurs les ont

habitées; que presque tous ont porté, en même temps que le titre de ducs de Guise, celui de comtes d'Eu; que, pour rendre la justice à leurs vassaux, ils allaient s'asseoir sous ces arbres séculaires qu'on aperçoit des fenêtres du château..... on est saisi du désir d'interroger ces vieux témoins, de leur demander compte de ce qu'ils ont vu, de ce qu'ils ont entendu; et, suppléant à leur silence par la pensée, on repasse le rôle si dramatique des Guises, et on éprouve le besoin de rassembler les grandes pages de leur histoire, comme une auguste main a pris soin de réunir leurs images dans une même galerie.

J. VATOUT, conseiller d'Etat, premier bibliothécaire du Roi. Souvenirs historiques des Résidences royales de France, château d'Eu.

Sully.

On ne connaîtrait point Sully tout entier, si l'on ignorait que ses vertus égalèrent ses talens. Dans ses Mémoires, en traçant les qualités morales que doit avoir l'homme d'Etat, il trace lui-même son portrait sans s'en apercevoir. On y voit la sainteté des mœurs, l'éloignement du luxe, ce courage stoïque qui dompte la nature, qui résiste à la volupté, et se refuse à tout ce qui peut énerver l'âme. Sully avait adopté ces vertus autant par principe que par caractère. A la Cour, il conserva l'antique frugalité des camps. Les riches voluptueux eussent peut-être dédaigné sa table; mais les du Guesclin et les Bayard seraient venus s'y asseoir à côté de lui. Le travail austère remplissait ses journées. Chaque portion de temps était marquée pour chaque besoin de l'Etat. Chaque heure, en fuyant, portait son tribut à la patrie. Ses délassemens même avaient je ne sais quoi de mâle et de sévère. C'était du

repos sans indolence, et du plaisir sans mollesse. L'économie domestique l'avait formé à cette économie publique, qui devint le salut de l'Etat. Ses ennemis louèrent sa probité. Sa justice eût étonné un siècle de vertu. Sa fidélité brilla parmi des rebelles.

Après la mort de son maître, on put le persécuter, mais on ne put réussir à en faire un mauvais citoyen. Il resta sujet malgré la Cour. Il servit la Reine qui l'opprimait. En entrant dans les finances, il ne craignit point de donner à la nation la liste de ses biens; en sortant de place, il osa défier son siècle et la postérité. Les présens qu'on lui offrit pour le corrompre n'avilirent que ceux qui les lui offraient. Comme ministre, il ne reçut rien des sujets; comme sujet, il ne reçut de son maître que ce qui était empreint du sceau des lois. On a déjà vu sa fermeté dans ses devoirs. La France se ligua contre lui pour l'empêcher de sauver la France: il résista à tout; il eut le courage d'être haï. La noblesse, qui n'inspire que de la vanité aux petites âmes, lui inspira l'orgueil des grandes choses. Jamais on ne porta si loin ce vieil honneur, dont l'enthousiasme fit nos antiques chevaliers. Il dut avoir des calomniateurs et des jaloux : il terrassa la calomnie par ses vertus; il humilia l'envie par ses succès. Il se vengea de ses ennemis, car il ne perdit aucune occasion de leur faire du bien. Les méchans trouvaient en lui une âme inflexible et rigide; les malheureux y trouvèrent une âme sensible et compatissante. Dans la religion, zélé sans fanatisme et tolérant sans indifférence, il était l'organe du Roi auprès des protestans, il était le protecteur des catholiques auprès du Roi : il fut adoré à Genève, il fut estimé dans Rome.

Bon époux, bon maître, bon père de famille, il donna un plus grand spectacle; il fut l'ami d'un Roi! O Henri IV! ò Sully! ô doux épanchemens des cœurs! soins consolans de l'amitié! c'était auprès de Sully que Henri IV allait oublier ses peines; c'était à lui qu'il confiait toutes I. - 28.

-

38

ses douleurs. Les larmes d'un grand homme coulaient dans le sein d'un ami. La franchise guerrière et la douce familiarité assaisonnaient leurs entretiens. Il n'y avait plus de sujet, il n'y avait plus de Roi; l'amitié avait fait disparaître les rangs. Mais cette amitié si tendre était en même temps courageuse et sévère de la part de Sully. A travers les murmures flatteurs des courtisans, Sully faisait entendre la voix de la vérité. Il estimait trop Henri IV, il s'estimait trop lui-même, pour parler un autre langage. Tout ce qui eût avili l'un et corrompu l'autre, était indigne de tous deux aussi osa-t-il souvent déplaire à

son maître.

Je n'entrerai point dans le détail de ses actions et de ses paroles. Il en est qui ne sont pas faites pour être senties dans les siècles corrompus. Les âmes faibles les appelleraient téméraires; les âmes basses les jugeraient criminelles; mais l'homme vertueux les honorera toujours comme il le doit. Je n'ajouterai plus qu'un mot, c'est que l'idée seule de Sully était pour Henri IV ce que pensée de l'Etre Suprême est pour l'homme juste, un frein pour le mal, un encouragement pour le bien (1). THOMAS. Eloge de Sully.

la

Bedmar.

LE marquis de Bedmar est l'un des plus puissans génies que l'Espagne ait jamais produits. On voit, par les écrits qu'il a laissés, qu'il possédait tout ce qu'il y a dans les historiens anciens et modernes qui peut former un homme extraordinaire. Il comparait les choses qu'il racontait avec celles qui se passaient de son temps. Il observait exactement les différences et les ressemblances des affaires,

(1) Voyez plus haut. Tableaux, Sully dans la retraite, et cidessous le parallèle de Colbert et Sully.

« PreviousContinue »