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deuil; le ciel de la Germanie était plus obscur ; des tempêtes agitaient la cime des forêts qui environnaient le camp et ces objets lugubres semblaient ajouter encore à notre désolation.

Il voulut quelque temps être seul, soit pour repasser sa vie en présence de l'Etre-Suprême, soit pour méditer encore une fois avant que de mourir. Enfin, il nous fit appeler, Tous les amis de ce grand homme et les principaux de l'armée vinrent se ranger autour de lui; il était pâle, les yeux presque éteints, et les lèvres à demi glacées. Cependant nous remarquâmes tous une tendre inquiétude sur son visage. Prince, il parut se ranimer un moment pour toi. Sa main mourante te présenta à tous ces vieillards qui avaient servi sous lui. Il leur recommanda ta jeunesse, « Servez-lui de père, leur dit-il, ah! servezlui de père! » Alors il te donna des conseils tels que Marc-Aurèle mourant devait les donner; et bientôt après, Rome et l'univers le perdirent.

A ces mots, tout le peuple romain demeura morne et immobile. Apollonius se tut, ses larmes coulèrent. Il se laissa tomber sur le corps de Marc-Aurèle; il le serra long-temps entre ses bras; et se relevant tout à coup : << Mais toi qui vas succéder à ce grand homme, & fils de Marc-Aurèle! ô mon fils, permets ce nom à un vieillard qui t'a vu naître, et qui t'a tenu enfant dans ses bras, songe au fardeau que t'ont imposé les Dieux; songe aux devoirs de celui qui cómmande, aux droits de ceux qui obéissent. Destiné à régner, il faut que tu sois ou le plus juste ou le plus coupable des hommes. Le fils de MarcAurèle aurait-il à choisir ?»>

« On te dira bientôt que tu es tout-puissant; on te trompera les bornes de ton autorité sont dans la loi, On te dira encore que tu es grand, que tu es adoré de tes peuples. Ecoute : quand Néron eut empoisonné son frère, on lui dit qu'il avait sauvé Rome; quand il eut fait égorger sa femme, on loua devant lui sa justice,

quand il eut assassiné sa mère, on baisa sa main parricide, et l'on courut aux temples remercier les Dieux. Ne te laisse pas éblouir par des respects. Si tu n'as des vertus, on te rendra des hommages, et l'on te haïra. Crois-moi, on n'abuse point les peuples. La justice outragée veille dans les cœurs. Maître du monde, tu peux m'ordonner de mourir, mais non de t'estimer. O fils de Marc-Aurèle! pardonne : je te parle au nom des Dieux, au nom de l'univers qui t'est confié ; je te parle pour le bonheur des hommes et pour le tien. Non, tu ne seras point insensible à une gloire si pure. Je touche au terme de ma vie ; bientôt j'irai rejoindre ton père. Si tu dois être juste, puissé-je vivre encore assez pour contempler tes vertus! Si tu devais un jour........ »

Tout à coup Commode, qui était en habit de guerrier, agita sa lance d'une manière terrible. Tous les Romains pâlirent. Apollonius fut frappé des malheurs qui menaçaient Rome. Il ne put achever. Ce vénérable vieillard se voila le visage. La pompe funèbre, qui avait été suspendue, reprit sa marche. Le peuple suivit, consterné et dans un profond silence: il venait d'apprendre que Marc-Aurèle était tout entier dans le tombeau.

THOMAS.

Péroraison de l'Eloge de Duguay-Trouin.

FAUT-IL qu'il nous ait été enlevé si tôt ! faut-il qu'usé par les maladies, il ait succombé lorsqu'il aurait pu encore remplir une longue carrière! Ah! si le Ciel eût prolongé ses jours, même dans sa vieillesse il aurait encore pu servir l'Etat. Ainsi Duquesne, affaibli par les années, rendait encore la France respectable sur les mers; ainsi Villars remportait des victoires à l'âge où les autres hommes vivent à peine. Que du moins son âme

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respire encore parmi nous! que son exemple perpétue dans notre marine et la valeur et les talens!

Dans ces entretiens si profonds qu'il avait avec Philippe, il parlait sans cesse à ce Prince de l'importance et de l'utilité de la marine. Ah! s'il revivait aujourd'hui, s'il errait parmi nos ports et nos arsenaux, quelle serait sa douleur! << Français, s'écrierait-il, que sont devenus ces vaisseaux que j'ai commandés, ces flottes victorieuses qui dominaient sur l'Océan? Mes yeux cherchent en vain : je n'aperçois que des ruines. Un triste silence règne dans vos ports. Hé quoi! n'êtes-vous plus le même peuple? N'avez-vous plus les mêmes ennemis à combattre? Allez tarir la source de leurs trésors. Ignorez-vous que toutes les guerres de l'Europe ne sont plus que des guerres de commerce, qu'on achète des armées et des victoires, et que le sang est à prix d'argent? Les vaisseaux sont aujourd'hui les appuis des trônes.

<< Portez vos regards au-delà des mers; les habitans de vos colonies vous tendent les bras : les abandonnerezvous aux premiers ennemis qui voudront descendre sur leurs côtes? Les ferez-vous repentir de leur fidélité? En vain la nature leur a donné la valeur et le zèle. Leur vie, leur sûreté, leur existence est dans vos ports; vos vaisseaux sont leurs remparts; ils n'en ont point d'autres. Etes-vous citoyens? ce sont vos frères. Etes-vous avides de richesses? vous les trouverez dans ce NouveauMonde ; vous y trouverez un bien plus précieux : la

gloire.

« Vous avez versé tant de sang pour maintenir la balance de l'Europe; l'ambition a changé d'objet. Portez, portez cette balance sur les mers; c'est là qu'il faut établir l'équilibre du pouvoir si un seul peuple y domine, il sera tyran, et vous serez esclaves. Il faudra que vous achetiez de lui les alimens de votre luxe, dont vos malheurs ne vous guériront pas. Français, considérez ces mers, qui, de trois côtés, baignent votre patrie;

voyez vos riches provinces qui vous offrent à l'envi tout ce qui sert à la construction; voyez ces ports creusés pour recevoir vos vaisseaux. La gloire, l'intérêt, la nécessité, la nature, tout vous appelle. Français, soyez grands comme vos ancêtres : régnez sur la mer; et mon ombre, en apprenant vos triomphes sur les peuples que j'ai vaincus, se réjouira encore dans son tombeau. » LE MÊME.

Péroraison de l'Eloge de Racine.

O MES concitoyens! ne vous opposez point à votre gloire, en vous opposant à celle de Racine. L'éloge de ce grand homme doit vous être cher, et peut-être n'est-il pas inutile. Les barbares approchent, l'invasion vous menace; songez que les déclamateurs en vers et en prose ont succédé jadis aux poëtes et aux orateurs. Retardez du moins parmi vous, s'il est possible, cette inévitable révolution. Joignez-vous aux disciples du bon siècle pour arrêter le torrent; encouragez l'étude des anciens, qui seule peut conserver parmi vous le feu sacré prêt à s'éteindre. N'en croyez pas surtout ces esprits impérieux et exaltés qui trouvent la littérature du dernier siècle timide et pusillanime; qui, sous prétexte de nous délivrer de ces utiles entraves, et qui ne donnent que plus de ressort aux talens et plus de mérite aux beaux-arts, ne songent qu'à se délivrer eux-mêmes des règles du bon sens qui les importunent.

Ne les croyez pas, ceux qui veulent être poëtes sans faire de vers, et grands hommes sans savoir écrire: ne voyez-vous pas que leur esprit n'est qu'impuissance, et qu'ils voudraient mettre les systèmes à la place des talens?

Ne les croyez pas, ceux qui vantent sans cesse la nature brute; ils portent envie à la nature perfectionnée : ceux qui regrettent les beautés du chaos; vous avez sous

vos yeux les beautés de la création : ceux qui préfèrent un mot sublime de Shakespeare aux vers de Phèdre et de Mérope; Shakespeare est le poëte du peuple; Phèdre et Mérope sont les délices des hommes instruits.

Ne les croyez pas, ceux qui relèvent avec enthousiasme le mérite médiocre de faire verser quelques larmes dans un roman ; il est un peu plus beau d'en faire couler à la première scène d'Iphigénie : ceux qui justifient l'invraisemblable, l'outré, le gigantesque, sous prétexte qu'ils ont produit quelquefois un effet passager, et qu'ils peuvent étonner un moment; malheur à qui ne cherche qu'à étonner, car on n'étonne pas deux fois!

O mes concitoyens! je vous en conjure encore, méfiezvous de ces législateurs enthousiastes; opposez-leur toujours les Anciens et Racine; opposez-leur ce grand axiome de son digne ami, ce principe qui paraît si simple, et qui est si fécond: Rien n'est beau que le orai. Et si vous voulez avoir sans cesse sous les yeux des exemples de ce beau et de ce vrai, relisez sans cesse Racine. LA HARPE.

Exhortation à l'étude des Sciences naturelles.

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Er comment ne conserveriez-vous pas à jamais votre ardeur pour les sciences naturelles? Quelque destinée qui vous attende, dans quelque contrée du globe que vos jours doivent couler, la nature vous environnera sans cesse de ses productions, de ses phénomènes, de ses merveilles. Dans les vastes, plaines et au milieu des bois touffus, sur le haut des monts et dans le fond de la vallée solitaire, vers le bord des ruisseaux paisibles et sur l'immense surface de l'Océan agité, vous serez sans cesse entourés des objets de votre étude.se

Elle vous suivra partout, cette collection que la nature déploie avec tant de magnificence devant les yeux dignes de la contempler, et qui est si supérieure à toutes celles

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