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déterminé à m'adresser plutôt à Votre Majesté qu'à tout autre Prince. J'ai une vénération bien plus grande pour les personnes d'un mérite sublime que pour celles qui n'ont que des titres pompeux, un nom célèbre, des aïeux illustres et une fortune brillante. Les premiers sont les vrais Souverains de la terre. Il me semble que le pouvoir des Rois sur leurs sujets n'est qu'une image imparfaite et grossière du pouvoir de l'esprit fort sur les esprits faibles. Le droit de persuader et d'instruire est, parmi les philosophes, ce que le droit de commander est dans le gouvernement politique. Quelque puissant, quelque redoutable que soit un Monarque, tout manque à sa gloire, s'il n'a pas l'esprit éminent. Un citoyen obscur, sans biens, qui fait de sa vertu tout son appui, est audessus du conquérant du monde.

Régnez donc, incomparable Princesse, puisque votre génie est supérieur à votre rang, régnez sur l'univers, il est votre domaine; les savans et les gens de bien sont vos sujets. Que les Souverains apprennent avec admiration que la fille de Gustave est l'âme des savans et le modèle des Rois.

Le Duc de Montausier au Dauphin, sur la Prise de Philipsbourg.

MONSEIGNEUR,

Je ne vous fais pas de compliment sur la prise de Philipsbourg; vous aviez une bonne armée, une excellente artillerie, et Vauban. Je ne vous en fais pas non plus sur les preuves que vous avez données de bravoure et d'intrépidité : ce sont des vertus héréditaires dans votre maison; mais je me réjouis avec vous de ce que vous êtes libéral, généreux, humain, faisant valoir les services d'autrui et oubliant les vôtres : c'est sur quoi je vous fais mon compliment.

Madame de Maintenon à Madame de Montespan (1).

MADAME,

Voici le plus jeune des auteurs qui vient vous demander votre protection pour ses ouvrages. Il aurait bien voulu, pour les mettre au jour, attendre qu'il eût huit ans accomplis: mais il a eu peur qu'on ne le soupçonnât d'ingratitude, s'il eût été plus de sept ans au monde sans vous donner des marques publiques de sa reconnaissance.

En effet, Madame, il vous doit une bonne partie de tout ce qu'il est. Quoiqu'il ait eu une naissance assez heureuse, et qu'il y ait peu d'auteurs que le Ciel ait regardés aussi favorablement que lui, il avoue que votre conversation a beaucoup aidé à perfectionner en sa personne ce que la nature avait commencé. S'il pense avec quelque justesse, s'il s'exprime avec quelque grâce, et s'il sait faire déjà un assez juste discernement des hommes, ce sont autant de qualités qu'il a tâché de vous dérober. Pour moi, Madame, qui connais ses plus secrètes pensées, je sais avec quelle admiration il vous écoute, et je puis vous assurer avec vérité qu'il vous étudie beaucoup plus volontiers que tous ses livres.

Vous trouverez dans l'ouvrage que je vous présente quelques traits assez beaux de l'Histoire ancienne; mais il craint que, dans la foule des événemens merveilleux qui sont arrivés de nos jours, nous ne soyons guère touchés de tout ce qu'il pourra vous apprendre des siècles

(1) Cette épître dédicatoire fut mise par Mme de Maintenon à la tête de quelques traductions faites par son élève, le jeune duc du Maine, fils de Louis XIV et de Mme de Montespan. Elles parurent en 1678, sous le titre d'Œuvres diverses d'un auteur de sept ans.

passés il craint cela avec d'autant plus de raison, qu'il a éprouvé la même chose en lisant les livres. Il trouve quelquefois étrange que les hommes se soient fait une nécessité d'apprendre par cœur des auteurs qui nous disent des merveilles si fort au-dessous de celles que nous voyons. Comment pourrait-il être frappé des victoires des Grecs et des Romains, et de tout ce que Florus et Justin lui racontent? Ses nourrices, dès le berceau, ont accoutumé ses oreilles à de plus grandes choses. On lui parle, comme d'un prodige, d'une ville que les Grecs prirent en dix ans ; il n'a que sept ans, et il a déjà vu chanter en France des Te Deum pour la prise de plus de cent villes.

Tout cela, Madame, le dégoûte un peu de l'antiquité: il est fier naturellement; je vois bien qu'il se croit de bonne maison; et, avec quelque éloge qu'on lui parle d'Alexandre et de César, je ne sais s'il voudrait faire quelque comparaison avec les enfans de ces grands hommes. Je m'assure que vous ne désapprouverez pas en lui cette petite fierté, et que vous conviendrez qu'il ne se connaît pas mal en Héros; mais vous avouerez aussi que je ne me connais pas mal à faire des présens, et que, dans le dessein que j'avais de vous dédier un livre je ne pouvais choisir un auteur à qui vous prissiez plus d'intérêt qu'à celui-ci.

Je suis, Madame, etc.

Le Duc de Lorraine à l'Empereur.

SACRÉE MAJESTÉ,

Je serais parti d'Inspruck pour aller recevoir vos ordres; mais un plus grand maître m'appelle, et je pars pour lui aller rendre compte d'une vie que je vous ai consacrée. Je supplie très-humblement Votre Majesté de

se ressouvenir d'une femme qui lui touche d'assez près, d'enfans sans bien, et de sujets dans l'oppression.

Le Marquis de Feuquières à Louis XIV, en faveur de son fils (1).

APRÈS avoir mis devant les yeux de Dieu toute ma vie, que je vais lui rendre, il ne me reste plus rien à faire avant de la quitter, que de me jeter aux pieds de Votre Majesté. Si je croyais avoir plus de vingt-quatre heures à passer encore en ce monde, je n'oserais prendre la liberté que je prends, Je sais que j'ai déplu à Votre Majesté et, quoique je ne sache pas précisément en quoi, je ne m'en crois pas moins coupable.

J'espère, Sire, que Dieu me pardonnera mes péchés, parce que j'en ressens en moi un repentir bien sincère. Vous êtes l'image de Dieu, et j'ose vous supplier de pardonner au moins à mon fils des fautes que je voudrais avoir expiées de mon sang. Ce sont celles, Sire, qui ont donné à Votre Majesté de l'éloignement pour moi, et qui sont cause que je meurs dans mon lit au lieu d'employer à votre service les derniers momens de ma vie et la dernière goutte de mon sang, comme je l'ai toujours souhaité.

Sire, au nom de ce Roi des Rois devant qui je vais paraître, daignez jeter des yeux de compassion sur un fils unique que je laisse dans ce monde sans appui, sans bien il est innocent de mes malheurs, il est d'un sang qui a toujours bien servi Votre Majesté. Je prends confiance en la bonté de votre cœur; et, après vous avoir encore une fois demandé pardon, je vais me re

(1) Le marquis de Feuquières écrivit cette lettre douze heures avant sa mort. Le Roi la lut; il en fut touché, et accorda au fils les pensions du père.

pour

mettre entre les mains de Dieu, à qui je demande Votre Majesté toutes les prospérités que méritent vos

vertus.

Voltaire à Milord Harvey, garde des sceaux d'Angleterre.

1740.

, par

Je fais compliment à votre nation, Milord, sur la prise de Porto-Bello, et sur votre place de garde des sceaux. Vous voilà fixé en Angleterre ; c'est une raison pour moi d'y voyager encore. Ne jugez point, je vous prie, de mon Essai sur le Siècle de Louis XIV, les deux chapitres imprimés en Hollande avec tant de fautes qui rendent l'ouvrage inintelligible; mais surtout soyez un peu moins fâché contre moi de ce que j'appelle le siècle dernier le siècle de Louis XIV. Je sais bien que Louis XIV n'a pas eu l'honneur d'être le maître ni le bienfaiteur d'un Bayle, d'un Newton, d'un Halley, d'un Addison, d'un Dryden : mais dans le siècle qu'on nomme de Léon X, le Pape Léon X avait-il tout fait ? n'y avait-il pas d'autres Princes qui contribuèrent à polir et à éclairer le genre humain? Cependant le nom de Léon X a prévalu, parce qu'il encouragea les arts plus qu'aucun autre. Eh! quel Roi donc en cela a rendu plus de services à l'humanité que Louis XIV? Quel Roi a répandu plus de bienfaits, a marqué plus de goût, s'est signalé par de plus beaux établissemens? Il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, sans doute, parce qu'il était homme; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il était un grand homme : ma plus forte raison pour l'estimer beaucoup, c'est que, avec des fautes connues, il a plus de réputation qu'aucun de ses contemporains; c'est que, malgré un million d'hommes dont il a privé la France, et qui tous ont été intéressés à le décrier, toute l'Europe l'es

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