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garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur! De quels yeux regardèrent-ils le jeune Prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le Prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régimens à la journée de Rocroi, en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le Prince fléchit le genou; et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait. Là, on célébra Rocroi délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la Régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. · BOSSUET. Oraisons funèbres.

Combat naval de Duguay-Trouin.

DUGUAY-TROUIN s'avance, la victoire le suit. La ruse et l'audace, l'impétuosité de l'attaque et l'habileté de la manoeuvre, l'ont rendu maître du vaisseau commandant. Cependant, l'on combat de tous côtés; sur une vaste étendue de mer règne le carnage. On se mêle : les proues heurtent contre les proues; les manœuvres sont entrelacées dans les manoeuvres; les foudres se choquent et

retentissent. Duguay-Trouin observe d'un œil tranquille la face du combat, pour porter des secours, réparer des défaites, ou achever des victoires. Il aperçoit un vaisseau armé de cent canons, défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte ses coups; il préfère à un triomphe facile l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ose l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaisseau ennemi l'oblige de s'écarter. Le Devonshire, semblable à un volcan allumé, tandis qu'il est consumé au dedans, vomit au dehors des feux encore plus terribles. Les Anglais, d'une main lancent des flammes, de l'autre tâchent d'éteindre celles qui les environnent. DuguayTrouin n'eût désiré les vaincre que pour les sauver. Ce fut un horrible spectacle pour un cœur tel que le sien, de voir ce vaisseau immense brûlé en pleine mer, la lueur de l'embrasement réfléchie au loin sur les flots, tant d'infortunés errans en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes, s'embrassant les uns les autres, ou se déchirant eux-mêmes, levant vers le Ciel des bras consumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer; d'entendre le bruit de l'incendie, les hurlemens des mourans, les vœux de la religion mêlés aux cris du désespoir et aux imprécations de la rage, jusqu'au moment terrible où le vaisseau s'enfonce, l'abîme se referme, et tout disparaît. Puisse le génie de l'humanité mettre souvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois qui ordonnent les guerres! Cependant DuguayTrouin poursuit la flotte épouvantée. Tout fuit, tout se disperse. La mer est couverte de débris; nos ports se remplissent de dépouilles; et tel fut l'événement de ce combat, qu'aucun des vaisseaux qui portaient du secours ne passa chez les ennemis. Les fruits de la bataille d'Almanza furent assurés; l'Archiduc vit échouer ses espérances, et Philippe V put se flatter que son trône serait un jour affermi,

THOMAS, Eloge de Duguay-Trouin.

Incendie de la Flotte Turque à Tchesmé.

LES vaisseaux turcs, en suivant la côte, rencontrèrent le petit golfe de Tchesmé, et y entrèrent comme dans un asile.

L'armée russe jeta l'ancre à la même place que l'armée turque venait d'abandonner; et apercevant les vaisseaux ennemis amoncelés dans une baie étroite, et dont l'entrée se trouvait encore resserrée par un rocher qui s'élevait au milieu des eaux, on conçut l'espérance d'y incendier toute cette flotte.

Quatre vaisseaux russes furent aussitôt détachés pour fermer la sortie de cette baie. Mais les courans firent tomber ces quatre vaisseaux sous le vent, sans que de tout le jour aucune manœuvre pût les rapprocher.

Chacune des deux escadres demeurait ainsi dans un extrême péril; l'une, malgré sa force, amoncelée entre des rochers, où il était facile de la détruire; l'autre, malgré sa faiblesse, séparée en deux divisions hors de portée de se secourir mutuellement.

Hassan, qui s'était fait porter au lieu du danger, représenta au capitan-pacha combien la flotte ottomane était exposée dans cette anse. Mais celui-ci, de plus en plus attaché à sa résolution de ne point combattre, se croyait sous la protection de la petite forteresse de Tchesmé et des batteries qu'il faisait établir sur les côtes. Il défendit à tout vaisseau de prendre le large, et envoya par terre aux Dardanelles, pour en faire venir encore quelques vaisseaux. Il employa toute la journée suivante à établir des batteries sur le rivage. Une fut placée sur le rocher qui rétrécissait l'entrée du golfe. Quatre vaisseaux, placés en travers dans l'intérieur du golfe, couvraient toute la flotte et défendaient le passage. Mais pendant cette même journée l'escadre russe, parvenue à se

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réunir, préparait des brûlots pour une expédition plus terrible qu'un combat.

Au milieu de la nuit ces brûlots s'avancent, soutenus par trois vaisseaux de ligne, une frégate et une bombarde. Un de ces vaisseaux, monté par Gregg, arriva le premier à l'entrée du port, et y resta long-temps exposé au feu de la batterie et des quatre vaisseaux ennemis, faisant de son côté un feu terrible et continuel, avec des grenades, des boulets rouges, des carcasses, des fusées, de la mitraille. Les deux autres vaisseaux arrivèrent enfin à la même portée, et commencèrent un feu semblable, tandis que la bombarde, placée à leur tête, envoyait au loin ses bombes dans l'intérieur du golfe. Pendant ce temps, les deux brûlots approchent, conduits l'un et l'autre par des officiers anglais. L'un, dont le commandant ne put bien faire comprendre ses ordres par les Esclavons et les Grecs qui formaient son équipage, prit feu trop tôt et brûla inutilement; l'autre s'en éloigna et gagna le centre de l'ennemi. Le crampon s'accrocha à quelques grillages d'un des plus gros vaisseaux turcs. Cinq minutes après, le vaisseau turc fut enflammé, et le feu gagna aussitôt les trois autres vaisseaux qui fermaient l'entrée du port.

Les vaisseaux russes, auxquels on avait envoyé toutes les chaloupes, se retirèrent pour n'être pas exposés quand les vaisseaux ennemis sauteraient en l'air.

L'escadre turque était si resserrée, que les vaisseaux se touchaient presque les uns les autres. En peu d'instans, les flammes poussées par le vent s'élevèrent, s'étendirent, et offrirent aux yeux des Russes le spectacle de la flotte ennemie embrasée tout entière. Le golfe de Tchesmé ne paraissait qu'un immense globe de feu. De lamentables cris sortaient de cette mer enflammée. La plus grande partie des équipages turcs était descendue à terre dans la journée précédente. Ce qui restait dans les navires se précipite dans la mer et cherche à fuir au rivage. Mais les canons de ces vaisseaux étant chargés, à mesure que la

flamme les échauffait, les batteries faisaient feu et foudroyaient la côte. Quand l'embrasement eut gagné les soutes à poudre, d'affreux éclats retentissaient du sein de cet horrible incendie, et dispersaient au loin des débris, des corps expirans, des troncs mutilés.

Les habitans de Scio, accourus au rivage, et tremblans de voir leur ville pillée par les vainqueurs, voyaient distinctement à la lueur de l'incendie, et sur toute la surface de la mer, différentes scènes de cette horrible catastrophe; les eaux couvertes de malheureux nageant à travers les débris enflammés; la forteresse de Tchesmé, la ville et une mosquée bâties en amphithéâtre sur une colline, abîmées de fond en comble, et tous les habitans de cette côte fuyant sur les hauteurs éloignées. On entendait mugir dans l'enfoncement des terres les montagnes et les rochers. Au moment de cette destruction, il y eut un si horrible fracas, que Smyrne, distant de dix lieues, sentit la terre trembler.

Athènes, à plus de cinquante lieues d'une mer coupée d'îles, prétend en avoir entendu le bruit. Les vaisseaux russes, quoique assez éloignés, étaient agités comme par les secousses d'une violente tempête. Cet affreux spectacle dura depuis une heure après minuit jusqu'à six heures du matin.

RULHIÈRE. Histoire de Pologne, liv. XI.

Maldonata, ou la Lionne reconnaissante.

LES Espagnols avaient fondé Buenos-Ayres en 1535. La nouvelle colonie manqua bientôt de vivres : tous ceux qui se permettaient d'en aller chercher étaient massacrés par les Sauvages, et l'on se vit réduit à défendre, sous peine de la vie, de sortir de l'enceinte du nouvel établissement. Une femme, à qui la faim sans doute avait donné le courage de braver la mort, trompa la vigilance

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