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Je m'étois persuadé que la fable de l'huître, que j'avois mise à la fin de cette épître au roi, pourroit y délasser agréablement l'esprit des lecteurs [b], qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avois mise sembloit me mettre à couvert d'une faute dont je faisois voir que je m'apercevois le premier [c]; mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé long-temps si je l'ôterois, parcequ'il y en avoit plusieurs qui la louoient avec autant d'excès que les autres la blâmoient; mais enfin je me suis rendu à l'autorité d'un prince [d], non moins consi

[a] Tel est le titre de l'avertissement que l'auteur mit en 1672 à la tête de la seconde édition de la première épître, et qu'il supprima dans les éditions postérieures de ses œuvres. Brossette, Saint-Marc, MM. Didot, Daunou, etc., conservent cet avis sous le nom d'avertissement.

[b] C'est ainsi qu'il faut lire. Saint-Marc, MM. Didot, Daunou, etc., mettent les lecteurs pour l'esprit des lecteurs, une nouvelle fin pour une autre fin.

[c] En terminant son apologue, le poëte disoit, pour le faire par

donner :

Mais quoi! j'entends déja quelque austère critique,
Qui trouve en cet endroit la fable un peu comique.
Que veut-il? C'est ainsi qu'Horace dans ses vers
Souvent délasse Auguste en cent styles divers; etc.

[d] Marmontel blâme Despréaux d'avoir autant hésité. «Il ne falpas moins, dit-il, que le grand Condé pour vaincre la répu

- lut

dérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très bien contée, ne lui sembloit pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résisté; j'ai mis une autre fin [a] à ma pièce, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques [b]. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parceque mon style, bon ou mauvais, est aisé à reconnoître; mais comme le nombre des sots est grand, et qu'ils pourroient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces qui sont dans ce livre [c], il n'y a rien de moi entre les mains du public ni imprimé ni en manuscrit.

« gnance du poëte à sacrifier ce morceau [a]. » Marmontel n'auroit-il pas dû reconnoître, dans le langage du satirique, le desir de faire au prince un compliment très flatteur?

[a] Cette autre fin parut en 1672, et commence au vers 151:

Qui ne sent point l'effet de tes soins généreux?

[b] Cette pièce est généralement attribuée au père Sanlecque, dont nous avons déja parlé [b]. En voici le début :

Quel est donc ce cahos? et quelle extravagance
Agite maintenant l'esprit de notre France?
Quel démon infernal a mis des changements,

Et tant de nouveautés dans tous nos réglements?

[c] Ces onze pièces, contenues dans l'édition de 1672, sont le discours au roi, les neuf premières satires et l'épître première. Le discours sur la satire Y est joint.

[a] Éléments de littérature, 1818, tome II, page 337, au mot Épître. [b] Tome Ier, page 40, note a

ÉPITRE I [a].

AU ROI.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire
Pour toi seul désormais j'avois fait vœu d'écrire.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: Arrête, insensé; que fais-tu [b]?
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages [c]!'
Cette mer où tu cours est célébre en naufrages.

Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char Je ne pusse attacher Alexandre et César;

[a] Après le traité d'Aix-la-Chapelle, conclu en 1668, la France jouissoit d'une paix que Colbert vouloit maintenir. Pour seconder les vues sages du ministre, Despréaux, en 1669, composa sa première épître, qui fut présentée au roi par madame de Thiange, sœur du maréchal de Vivonne et de madame de Montespan.

[b] Cùm canerem reges et prælia, Cynthius aurem

Vellit, et admonuit.

(Virgile, égl. VI, vers 3—4. )

[c] Il y avoit dans la première composition:

Où vas-tu t'embarquer? Regagne le rivage.

Cette mer où tu cours est célèbre en naufrage.

D'après le conseil de ses amis, Despréaux mit au pluriel les deux substantifs qui terminent ces vers, et c'est ainsi qu'ils se trouvent dans les éditions antérieures à celle de 1701. Cette correction ne satisfit pas Desmarets. « Il suffit, dit-il, à un vaisseau qui est en « danger de gagner un port ou un rivage, sans en gagner plusieurs. »

Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide [a],
T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide,

Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil;

Il s'amuse ensuite aux dépens d'Apollon, qui veut faire regagner le rivage à quelqu'un qui n'est pas encore embarqué. Le poëte, qui étoit assez sage pour profiter des critiques de ses ennemis, refit le premier vers tel qu'on le lit dans les éditions de 1701 et de 1713:

Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?

[a] Ce n'est pas que ma main, comme une autre, à ton char,
Grand roi, ne pût lier Alexandre et César;

Ne pût, sans se peiner, dans quelque ode insipide, etc.
(Édit. ant. à celle de 1701.)

Le changement étoit nécessaire: il n'y avoit pas de justesse à dire de la main qu'elle peut exalter quelqu'un dans une ode.

Pierre Corneille fait dire à Melpomène, dans le prologue d'Andromède, en parlant de Louis XIV, qui avoit à peu près dix ans, lorsque cette pièce fut jouée en 1750:

Je lui montre Pompée, Alexandre, César,
Mais comme des héros attachés à son char;
Et tout ce haut éclat où je les fais paroître,

Lui peint plus qu'ils n'étoient, et moins qu'il ne doit être.

Treize ans après, le même Corneille remercie le roi de l'avoir compris dans le nombre des hommes de lettres à qui il avoit accordé des gratifications; il lui rappelle son ancienne prédiction dans les vers suivants :

Mon génie au théâtre a voulu m'attacher,

Il en a fait mon sort, je dois m'y retrancher.

Par-tout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même ;
Mais là j'ai quelque nom, là quelquefois on m'aime;

Là ce même génie ose de temps en temps

Tracer de ton portrait quelques traits éclatants.

Par eux de l'Andromède il sut ouvrir la scène;

On y vit le soleil instruire Melpomène,

Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents,

Phébus même auroit peur s'il entroit sur les rangs,
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace ;

Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous?
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban [a]?
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées?

Et lui dire qu'un jour Alexandre et César
Sembleroient des vaincus attachés à ton char:
Ton front le promettoit, et tes premiers miracles
Ont rempli hautement la foi de mes oracles [a].

On croit, et c'est l'opinion de Voltaire, que le satirique a voulu faire allusion à la louange usée que Corneille adresse à Louis XIV. Brossette n'en dit rien, et Monchesnai s'exprime ainsi : « M. Des"préaux disoit assez volontiers dans la conversation: C'est un tel ouvrage ou un tel auteur que j'ai eu en vue en faisant mes vers. Cependant il ne nous a jamais dit qu'il eût eu dessein d'attaquer Corneille dans sa première épître.» (Bolæana, n. XCVI.)

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[a] Dans son ode à la reine Marie de Médicis, sur sa bienvenue en

[a] Remerciement au roi, 1817, tome X, page 206.

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