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clientèle, qui ne se défend pas sérieusement quand on sert ses besoins et ses caprices 1.

La petite industrie subit donc des oscillations et des luttes sous diverses formes :

a. Elle perd plus ou moins complètement les produits faits en masse, surtout quand la machine y est adaptée avec avantage; sinon, elle succombe souvent aussi devant le travail à domicile quand les produits sont nombreux et similaires.

b. Elle perd les produits dont l'usage disparaît par le changement des habitudes, tels que certains objets de ménage d'autrefois, mais elle en récupère d'autres, qui surgissent, on l'a vu. Elle perd surtout ainsi par la substitution des objets ordinaires aux objets de haut prix.

c. Elle tombe en dépendance des magasins quand l'organisation commerciale domine le marché, surtout pour les objets à bon marché confections, objets de blanc, meubles communs, etc. Elle devient, soit du travail à domicile salarié, soit de la petite industrie anémiée et pauvre.

d. Elle conserve souvent la réparation, bien que parfois aussi la grande entreprise s'en charge.

e. Elle conserve surtout les produits à travail intermittent, à mode de détail variable, à adaptation personnelle, à goût spécial, où l'action personnelle de l'artisan vient se greffer sur la fourniture.

f. Elle garde ce terrain étendu, mais imprécis, qu'elle doit aux causes sociales, psychologiques ou semi-économiques.

1. Parmi les modernes, l'économiste anglais MARSHALL a fort insisté sur les influences psychologiques dans les prix, dont ceci est un phénomène. Principles of Economics, London, 1891. M. SCHWIEDLAND a groupé divers faits et une bibliographie dans un article des Jahrbuecher f. Nationalæk. u. Stat., Iéna, 1889: « Das Verhaeltniss der gross. und Kleinhandelspreise ».

Le terrain perdu, suivant les cas, est occupé soit par le salariat à domicile, soit par la fabrique.

Quels sont les obstacles qui empêchent les métiers de répondre ainsi aux nécessités de la situation? Comment les mettre au niveau des besoins de la lutte?

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Bien des difficultés surgissent : Le manque d'aptitude spéciale et technique, le manque d'habileté commerciale, le manque de capital, les difficultés du crédit, les difficultés d'outillage, certaines infériorités administratives légales, des abus divers... Ce sont les faiblesses principales, les infériorités des métiers; toutes assurément ne lui sont pas imputables, mais il y a moyen d'y remédier, non pour lui assurer le succès partout, mais pour lui donner des armes et une sérieuse vitalité.

Aux deux premiers desiderata, répond l'enseignement professionnel et technique avec son complément commercial.

A d'autres répondent diverses formes de groupement économique.

Au dernier il faut opposer la lutte vigoureuse et, s'il y a lieu, la campagne législative.

Tous ces moyens, le programme germanique les combine dans l'organisation corporative que nous aurons à examiner.

Ces aperçus montrent à la fois ce qui déprime, ce qui conserve le métier. Parmi ces supériorités de la grande industrie, il y en a qui sont invincibles. Il en est d'autres qui tiennent plus à la force du capital, de l'organisation, de crédit, qu'à une supériorité technique ou mécanique; celles-ci sont redoutables, mais non au même degré; il y a, par l'association, moyen peutêtre, dans une certaine mesure, de rivaliser avec elles. Il en est qui tiennent à l'instruction, à la sagacité : à

l'art commercial. Il en est qui tiennent à des causes artificielles, des dispositions légales, ou autres, qui donnent une infériorité aux artisans; de celles-là encore, n'y en a-t-il pas qui peuvent disparaître?

Quel sera l'avenir des métiers, c'est ce que nous n'entendons pas prédire. Les moyens de relèvement signalés, et que nous exposerons, ont été indiqués, préconisés avec énergie, confiance, peut-être avec présomption, comme des remèdes généraux. Il faut constater qu'en fait, ils n'ont guère eu ce caractère ni cet effet et que, jusqu'ici, leur efficacité et même leur succès a été sporadique, partiel, parfois individuel. De résultats d'ensemble, remettant à flot la petite industrie en général, on ne peut donc rien dire de certain. On ne peut qu'essayer avec prudence, sans se faire d'illusions trop larges qui pourraient être déçues, sans non plus de découragements que tant d'événements peuvent démentir. Nous ne pouvons loyalement conclure avec plus de certitude, vu l'état actuel des faits; les chapitres suivants vont en montrer les éléments.

Innombrables sont les monographies de métiers ou d'industrie. On a étudié sous les faces les plus diverses la transformation des diverses industries, et il ne peut être question ici de citer tout cela. Les dimensions d'un petit volume comme celui-ci, excluent l'apparatus d'une bibliographie abondante. Ce n'est qu'un échantillonnage, et encore est-il difficile de faire un triage un peu sérieux, tant est abondante la production sur une question qui, surtout en Allemagne, préoccupe sérieusement depuis longtemps l'opinion publique, et aussi les sphères lettrées et scientifiques.

CHAPITRE IV

L'ÉDUCATION ET L'INSTRUCTION PROFESSIONNELLES.

1. Généralités. Apprentissage. Enseignement.

L'art industriel si fin, si florissant, qui donna des merveilles au moyen âge, où l'artisan était presque toujours un artiste en son affaire, cet art est souvent fort dégénéré.

On a souvent répété que la routine est une des causes de la décadence des métiers. Le petit industriel, l'artisan, continue héréditairement la pratique du procédé traditionnel; habitué à ses clients, il ne s'inquiète guère d'améliorer son outillage, son installation; il ne songe pas davantage à se procurer une clientèle, à l'attirer par l'ingéniosité de ses procédés nouveaux; il songe peu aux goûts du public, à leurs transformations; il vit doucettement, sans trop se gêner, servant lentement, souvent inexactement; ou s'il a quelque intelligence naturelle, il est dépourvu de l'art, des renseignements, de la formation nécessaire pour s'y appliquer et y réussir. Pour lutter contre la fabrique ou contre ses concurrents du même rang, au lieu de chercher à faire mieux, souvent il recourt à des procédés de rivalité mesquins ou répré

hensibles, il se plaint; en un mot, sa façon de concurrence est peu ou pas progressive. Que de fois n'entend-on pas ces reproches, et s'ils sont outrés quand on veut trop les généraliser, on ne peut méconnaître qu'ils ont une large part de vérité. Partout on se plaint de la décadence de l'apprentissage. Sans doute, il y a dans les sphères de la petite industrie, des hommes industrieux et ingénieux, mais depuis l'abolition de la vie corporative, la masse a manqué longtemps de formation, d'éducation professionnelle, technique, et aussi de cette éducation particulière nécessaire pour le succès d'une affaire'.

L'instruction technique est nécessaire au maître comme à l'ouvrier. Au maître, il faut en outre plus d'art, d'ingéniosité, des qualités d'entreprise, et aussi des connaissances commerciales dont souvent il est totalement dépourvu, ignorant les premiers éléments d'une convenable tenue de livres et les règles fondamentales d'un commerce.

Cette infériorité est bien grave vis-à-vis de la direction d'une entreprise considérable où précisément tout cela est soigné, est l'objet d'une attention spéciale, de ressources procurées par un service technique, commercial, etc. Sans doute, il y a des artisans intelligents et progressifs, et des industriels routiniers, mais les uns sont plus exposés à la routine que les seconds.

D'autre part, le travail technique personnel, soigné, le travail bien achevé est une des caractéristiques du service direct et spécial de la clientèle, à laquelle la petite industrie est surtout adaptée. Il est donc à

1. FRIEDRICH RÜCKLIN, Die Volksgewerbliche Schule, ihre Sozialwirthschaftliche Aufgabe, ihre Methode und naturgemässe Gestaltung, Leipzig, 1888, etc.

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