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30; 24 cordonniers, il en reste 10; 18 tailleurs, il y en a 15, etc.'. Mais on voit combien cela est peu de chose eu égard à l'étendue de la France. En réalité, on ignore la situation. Avec plus d'études comparées, on aboutirait peut-être à des constatations analogues à celles d'Allemagne et d'ailleurs, en ce qui concerne la survivance et la vitalité de divers métiers.

Et que peuvent ces quelques aperçus isolés contre la preuve de la masse existante des petits métiers qui, à leur compte, ne pourrait être si considérable?

Et voilà la difficulté d'interpréter les statistiques, car l'ouvrier façonnier travaillant avec d'autres, pour un magasin, a l'air d'un patron; en dépit de tout cela, il n'en reste pas moins incontestable que dans l'ensemble la masse de l'industrie décentralisée demeure énorme, comme le constate M. Fournier de Flaix à propos du dernier recensement 2.

Il est incontestable que, en France, les études et les enquêtes sur cette grave question sont encore insuffisantes. Elles ne peuvent, comme pour l'Allemagne, nous faire juger la situation d'ensemble. Là, nous voyons clairement que la petite industrie souffre sur certains points, mais subsiste; nous voyons aussi qu'il faut travailler et aider à ce qu'elle puisse résister, s'organiser et se maintenir dans l'avenir avec succès. En France, on possède sans doute des rapports des Chambres de commerce sur l'industrie textile,

1. Ces chiffres ont été groupés dans un rapport pessimiste au Congrès de la petite bourgeoisie d'Anvers (septembre 1899) par M. FRANZ FUNCK-BRENTANO. Il a été publié dans la Réforme sociale du 16 octobre 1899.

2. Voir aussi les réflexions du journal autrichien de la petite industrie: Das Kleingewerbe de Brunn (Moravie), numéro du 16 octobre 1899 : Die Grossindustrie und das Kleingewerbe, à propos du recensement français.

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mais personne n'ignore que c'est, de toutes les industries, celle où la concentration a opéré avec énergie qui l'a fait prendre comme exemple classique de la décadence des petits métiers. Même réflexion pour les détails historiques sur l'industrie houillère, si intéressants soient-ils; les données sont encore trop partielles, trop éparses, ne présentent que des fragments du tableau et par conséquent risquent d'en faire mal juger le caractère.

Les documents français ne nous permettent donc pas de bien constater le mouvement des faits; en matière de petite industrie, nous avons signalé l'ensemble du fait actuel. La statistique, fût-elle même détaillée, est souvent difficile à interpréter. Elle donne des chiffres et tout n'est pas dans ces chiffres. Nous voyons, par ceux-ci, qu'en France le nombre des petits ateliers est considérable. Nous voyons en Allemagne que leur recul est très lent dans l'ensemble, qu'ils se maintiennent même très nombreux, surtout dans les régions où la population est peu agglomérée. Mais en Allemagne, plus qu'en France, à côté des statistiques il y a des enquêtes, des observations sur la vie des métiers. Là, on voit les faits en action et l'on constate que si les métiers subsistent, ils sont cependant en proie à une crise; nous aurons à l'étudier.

Les études de M. du Maroussem sont presque les seules qui s'attachent directement à la question du métier, avec les introductions qu'y a mises M. FunckBrentano; et ce point de vue se manifeste surtout dans les volumes sur les Ébénistes du Faubourg

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1. In-8°, Paris, Rousseau. Citons aussi les Monographies professionnelles de M. BARBERET, Paris, Berger-Levrault, en cours de publication depuis 1886 et prenant les professions par ordre alphabétique.

Saint-Antoine et sur le Jouet parisien, où ils montrent l'artisan indépendant rapetissé et asservi par le grand capital. Nous ne partageons certes pas toutes leurs idées, mais elles sont suggestives et caractéristiques; ils montrent, dans certaines industries, le mouvement qui resserre la subordination, menace la hiérarchie des producteurs libres, la détruit parfois et aggrave la question ouvrière et prolétaire par l'appoint des classes moyennes dépossédées, déclassées, révoltées. Ces enquêtes ont un défaut grave, d'ordre tout externe, c'est de se limiter à la ville de Paris; or il est évident qu'on ne peut juger de la situation de la petite industrie par ce qui se passe à Paris, marché concentré par excellence et où les avantages de l'agglomération sont les plus décisifs. Nous nous en servirons cependant plus d'une fois.

Concluons que, si incomplètes que soient les statistiques françaises, elles prouvent indubitablement le fait de la survivance d'un très grand nombre de petits ateliers qui forment la grande masse des entreprises; elles prouvent en même temps leur vitalité puisque, sans qu'on ait jusqu'ici rien fait pour les soutenir ou les aider, ils se sont maintenus par leur seule force dans la lutte, au moment d'une efflorescence puissante des nouveaux procédés industriels; elles prouvent donc aussi indirectement leur viabilité pour l'avenir, surtout si on les organise techniquement, commercialement, professionnellement, d'une façon rationnelle. Sans doute, on sait bien que, dans leur état actuel, la lutte en est parfois difficile, qu'il y a une crise en certains milieux, une transformation, mais l'analogie des autres pays pas plus que le fait statique français ne permet de conclure à leur défaite finale; elle autorise, au contraire, à faire pronostiquer leur maintien en bien

des terrains et démontre en même temps l'utilité et la sagesse d'une politique économique sociale qui la soutienne, sans d'ailleurs sacrifier les droits d'autres classes sociales.

CHAPITRE III

LES DANGERS QUI MENACENT LA PETITE INDUSTRIE DANS LE MONDE ÉCONOMIQUe moderne.

La petite industrie, florissante, prépondérante, presque exclusive dans le régime urbain du moyen âge ou les marchés similaires, est au contraire refoulée par la concurrence d'autres formes de l'entreprise, celles de la grande industrie. Nous disons celles, au pluriel, car la grande industrie en revêt plusieurs, et notamment celles de la fabrique décentralisée avec travail à domicile et de l'usine agglomérée avec travail en commun. Les causes de cette concurrence, souvent victorieuse, de la grande industrie, sont multiples; on les a exposées bien des fois, en tous les traités d'économie politique, et nous l'avons fait nous-même'. Les causes principales en ont été dans la transformation de la technique et dans celle des voies de communication.

Cette seconde cause a agi la première; l'ouverture, à partir du xvre siècle, de marchés nouveaux, l'ha

1. Les grandes lignes de l'Économie politique, Louvain, Ch. Peeters, 1901. liv. II, ch. v, p. 127 et suiv.

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