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on comprend, malgré l'allure pessimiste de certains. historiens ou économistes, que les amis des métiers cherchent, non à les garder comme ils sont, ce qui serait une faute, mais à leur faciliter le moyen de se maintenir dans le milieu'social et économique présent, de se mettre au niveau des transformations nécessaires. Les métiers subsisteront-ils toujours? On ne nous demandera pas de jouer ce rôle ingrat de prophète. Nous constatons qu'ils peuvent vivre moyennant quelques efforts, puisqu'ils vivent, qu'ils subsistent, presque sans en avoir fait! Même plus : nous constatons que, sans effort, ils subsisteront probablement quand même dans certains milieux par la force des choses! Optimistes et pessimistes ici sont en présence 1.

Il n'y a pas toujours eu de métiers, dit K. Bücher; il ne doit pas y en avoir toujours 2. Nous disons seulement qu'il y en a encore beaucoup et qu'il y en aura encore demain; que peut-être, et même presque sûrement, il y en aura toujours, et même beaucoup, à certaines conditions. Au surplus, Bücher et Schmoller le reconnaissent fort bien. Bernstein 3, le socialiste dissident, qui s'est attaché avec vigueur à l'étude des statistiques allemandes, écrit : « Le développement considérable de la grande industrie ne présente qu'une des faces du problème. L'exemple, cité avec prédilection, de l'industrie textile est, à bien des points de vue,

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1. Au Congrès de Cologne du Verein fuer Sozialwissenschaft, en 1897, les tendances divergentes se manifestent chez les professeurs Bücher, Hitze, Schmoller, etc. Julius Wolff (Breslau) raille les allées et venues des pessimistes et des optimistes, mais ses propres conclusions sont très criticables (Zeitschrift für Socialwissenschaft, Berlin, 1898, p. 252 et suiv.).

2. Die Entstehung der Volkswirthschaft. Trad. Hansay, Études d'histoire et d'économie politique, Paris, Alcan, 1901, p. 153 et suiv.

3. Die Voraussetzung des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie, Stuttgart, 1899.

trompeur. Le progrès de la grande industrie semble permettre aussi à la petite et à la moyenne industrie de vivre à côté d'elle, loin de devoir toujours s'alimenter de leur ruine. Seuls les tout petits ateliers sont en manifeste recul. Telle est la leçon des chiffres en Allemagne. Si l'on ne peut contester la concentration progressive dans beaucoup de branches, ce qui est évident, il ne peut non plus être question de nier davantage que dans une série d'autres la petite et la moyenne industrie restent viables. Il n'existe pas non plus de développement ni d'évolution identique pour toute l'industrie. >>

C'est ce qui encourage les amis des métiers en Allemagne, mais il faut agir intelligemment : voir quels métiers peuvent survivre et comment on peut soutenir ceux qui subsistent. Qu'un progrès de la grande industrie se produise encore, Schmoller' n'en doute pas; mais il est difficile, dit-il prudemment, d'en prévoir la mesure.

La statistique, déjà si sujette à caution pour le passé et le présent, est d'une extrême faiblesse pour les prévisions. Au surplus, il est dangereux et vain de chercher à pénétrer le lointain avenir; il dépend de facteurs multiples dont l'existence et l'intensité échappent à nos calculs et à nos prévisions. Il y a déjà eu des périodes de concentration bien plus fortes que celle-ci dans l'histoire, auxquelles ont succédé des morcellements. Quelle sera la technique de l'avenir? Quelles seront les influences diverses qui agiront? Bornonsnous donc au fait immédiat et prochain.

Tout indique qu'il demeurera une large part de métiers, de travaux à domicile et surtout de moyenne

1. Grundriss der allgemeinen Volkwirthschaftslehre, 1901, et suiv.

p. 153

industrie. Il faut, disions-nous, voir quels métiers sauver et comment. C'est l'objet même et l'art de ce qu'on peut appeler la politique des classes moyennes, et que nous aurons à étudier.

Section 2.

L'état de la petite industrie en France d'après les données statistiques1.

Que nous révèle à cet égard la statistique française? Elle est bien moins fournie qu'en Allemagne, car ce n'est que tout récemment que l'on y est doté d'un recensement où les éléments utiles se trouvent groupés. On peut donc établir l'état des choses; on ne peut en mesurer le mouvement. Ce n'est qu'au recensement de la population de 1896 que fut joint sérieusement le recensement spécial des industries et professions 2. Il n'y a donc pas moyen de procéder à un travail de comparaison, comme en Allemagne, avec les documents antérieurs.

Auseul point de vue de la statistique, le recensement cependant est éloquent; car, dans un pays si anciennement industriel que la France et dans les régions qui sont à cet égard réputées les plus avancées, il

1. Nous avons déjà examiné cette question dans deux études, dont ce chapitre est extrait : Bull. de l'Académie royale de Belgique (classe Lettres et Sciences morales et politiques), 1900, et Revue sociale catholique. Louvain, no de mars 1902. Citons encore L. MARCQ, La distribution des entreprises d'après leur importance, Société de statistique de Paris, Séance du 15 mai 1901; Henri JOLY, De l'état actuel des classes moyennes, La Quinzaine, Paris, 16 février 1902.

2. Résultats statistiques du recensement des industries et des professions, t. I. Introduction. Région de Paris au Nord et à l'Est (15 départements), Paris, Imprimerie nationale, 1899; t. II. Région du Sud-Est ; t. III. Région de l'Ouest au Midi, 1900; t. IV. Résultats généraux, 1904.

nous montre des chiffres vraiment élevés de petite industrie et de métiers. Sans prétendre assurément qu'une tendance « centripète » n'existe pas dans l'industrie française, nous constatons seulement la survivance et l'importance du groupe des métiers, même dans les milieux qui paraissent les moins favorables.

Certes ces statistiques françaises présentent une difficulté signalée déjà pour celles d'Allemagne : la distinction entre les petits patrons et les ouvriers isolés travaillant « à façon ou sans place fixe et unique ». On n'a pas raffiné, on les a tout bonnement mis sous la même rubrique. « Travailleurs disséminés, dit la note explicative du tableau, qui, suivant l'industrie, sont de petits patrons (exemple: cultivateurs), des ouvriers à façon chez eux (exemple : vanniers), des ouvriers sans place fixe et unique (exemple : couturière en journée). »

L'aveu est franc, dépouillé d'artifice; il est honnête. Tâchons de dégager quelques chiffres plus significatifs, tant pour l'ensemble que pour certains dépar

tements.

Le point qui nous occupe, et vers lequel nous nous tournons de préférence, c'est la situation respective des diverses formes industrielles, suivant leur dimension, leur concentration économique. A cet effet deux colonnes d'observations se présentent, celle du nombre des établissements, celle du chiffre du personnel. L'unité est l'établissement, dans la statistique française; signalons-en la notion conventionnelle : le groupement d'un certain nombre de personnes qui travaillent en commun, dans une localité déterminée, sous la direction d'un ou de plusieurs représentants d'une même raison sociale. Il en résulte que les travailleurs isolés, fussent-ils indépendants, ne constituent

pas un établissement au sens de la statistique française, tandis qu'ils rentrent dans la notion du Betrieb du recensement industriel allemand. Ils sont, nous l'avons dit, l'objet d'une rubrique spéciale: travailleurs isolés indépendants ou disséminés. Mais comme on voulait, ensuite, avoir des proportions générales sur le nombre des patrons et des employés et ouvriers, on a procédé à une répartition conjecturale des «< isolés »; tout cela n'est pas sans base, mais si on critique la répartition directe des isolés par déclaration ou autrement, il faut reconnaître que la « conjecture » est aussi un procédé bien discutable!

La première constatation intéressante pour nous, est celle qui concerne la répartition globale des dimensions. Ce tableau figure dans le recensement; nous en donnons le résumé tel qu'il nous est fourni, avec l'agriculture et le commerce dont cependant nous ne nous occupons pas.

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Si maintenant on passe au personnel, bien qu'avec des bases d'estimation plus approximatives, on signale :

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