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«tait également les difficultés et les conséquences, s'y <«< surpassa lui-même par son application, sa patience, « la variété des remèdes. Peu aidé par les sous-gouver<«<neurs, il se secourut de tout ce qu'il trouva sous sa <«< main. Fénelon, Fleury, sous-précepteur, qui a donné << une si belle Histoire de l'Église, quelques gentils« hommes de la manche, Moreau, premier valet de <«< chambre, fort au-dessus de son état sans se mé«< connaître, quelques rares valets de l'intérieur, le « duc de Chevreuse seul du dehors, tous mis en œuvre << et tous en même esprit, travaillèrent chacun sous la <«< direction du gouverneur, dont l'art, déployé dans « un récit, ferait un juste ouvrage également curieux <«<et instructif. Mais Dieu, qui est le maître des cœurs, << et dont le divin esprit souffle où il veut, fit de ce «< prince un ouvrage de sa droite, et entre dix-huit et <«< vingt ans il accomplit son œuvre. De cet abîme << sortit un prince affable, doux, humain, modéré, << patient, modeste, pénitent, et, autant et quelquefois << au delà de ce que son état pouvait comporter, hum« ble et austère pour soi. Tout appliqué à ses devoirs « et les comprenant immenses, il ne pensa plus qu'à « allier les devoirs de fils et de sujet avec ceux aux«< quels il se voyait destiné. La brièveté des jours fai« sait toute sa douleur. Il mit toute sa force et sa con«solation dans la prière, et ses préservatifs en de

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pieuses lectures. Son goût pour les sciences abstrai<«tes, sa facilité à les pénétrer, lui déroba d'abord un «< temps qu'il reconnut bientôt devoir à l'instruction « des choses de son état, et à la bienséance d'un rang

«< destiné à régner, et à tenir en attendant une

«< cour.

« L'apprentissage de la dévotion et l'appréhension « de sa faiblesse pour les plaisirs le rendirent d'abord « sauvage. La vigilance sur lui-même, à qui il ne << passait rien et à qui il croyait devoir ne rien passer, « le renferma dans son cabinet comme dans un asile impénétrable aux occasions. Que le monde est étran«ge! il l'eût abhorré dans son premier état, et il fut « tenté de mépriser le second. Le prince le sentit, il « le supporta, il attacha avec joie cette sorte d'oppro«bre à la croix de son Sauveur, pour se confondre << soi-même dans l'amer souvenir de son orgueil passé. « Ce qui lui fut de plus pénible, il le trouva dans les << traits appesantis de sa plus intime famille. Le roi, << avec sa dévotion et sa régularité d'écorce, vit bientôt «< avec un secret dépit un prince de cet âge censurer, << sans le vouloir, sa vie par la sienne, se refuser un « bureau neuf pour donner aux pauvres le prix qui y « était destiné, et le remercier modestement d'une « dorure nouvelle dont on voulait rajeunir son petit <«< appartement. On a vu combien il fut piqué de son «< refus trop obstiné de se trouver à un bal de Marly « le jour des Rois. Véritablement ce fut la faute d'un « novice. Il devait ce respect, tranchons le mot, cette « charitable condescendance, au roi son grand-père, a de ne l'irriter pas par cet étrange contraste; mais au « fond et en soi, c'était une action bien grande qui « l'exposait à toutes les suites du dégoût de soi qu'il « donnait au roi, et aux propos d'une cour dont le roi

« était l'idole, et qui tournait en ridicule une telle

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singularité.

Monseigneur ne lui était pas une épine moins aiguë; tout livré à la matière et à autrui dont la politique redoutait déjà ce jeune prince, n'en apercevait « que l'écorce et la rudesse, et s'en aliénait comme « d'un censeur. Madame la duchesse de Bourgogne, <«< alarmée d'un époux si austère, n'oubliait rien pour «<lui adoucir les mœurs. Ses charmes dont il était pé« nétré, la politique et les importunités effrénées des jeunes dames de sa suite déguisées en cent formes «< diverses, l'appât des plaisirs et des parties auxquels <«< il n'était rien moins qu'insensible, tout était déployé «< chaque jour. Suivaient dans l'intérieur des cabinets «<les remontrances de la dévote fée et les traits pi« quants du roi, l'aliénation de Monseigneur grossiè«<rement marquée, les préférences malignes de sa « cour intérieure, et les siennes trop naturelles pour « M. le duc de Berry, que son aîné, traité là en étran« ger qui pèse, voyait chéri et attiré avec applaudis« sement. Il faut une âme bien forte pour soutenir de « telles épreuves, et tous les jours sans en être ébranlé; <«< il faut être puissamment soutenu de la main invi«<sible quand tout appui se refuse au dehors, et qu'un prince de ce rang se voit livré aux dégoûts des siens << devant qui tout fléchit, et presque au mépris d'une <«<cour qui n'était plus retenue, et qui avait une se«< crète frayeur de se trouver un jour sous ses lois. Cependant, rentré de plus en lui-même par le scrupule de déplaire au roi, de rebuter Monsei

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« gneur, de donner aux autres de l'éloignement de la << vertu, l'écorce rude et dure peu à peu s'adoucit, « mais sans intéresser la solidité du tronc. Il comprit << enfin ce que c'est que quitter Dieu pour Dieu, et << que la pratique fidèle des devoirs propres de l'état « où Dieu a mis est la piété solide qui lui est la plus «< agréable. Il se mit donc à s'appliquer presque uni« quement aux choses qui pouvaient l'instruire au «< gouvernement; il se prêta plus au monde, il le fit « même avec tant de grâce et un air si naturel, qu'on << sentit bientôt sa raison de s'y être refusé, et sa peine « à ne faire que s'y prêter, et le monde qui se plaît << tant à être aimé commença à devenir réconciliable.

... « On crut sa présence nécessaire pour ranimer « les armées et y rétablir la discipline perdue. Ce fut « en 1708. On a vu l'horoscope que la connaissance « des intérêts et des intrigues m'en fit faire au duc de « Beauvilliers dans les jardins de Marly, avant que la « déclaration fût publique, et on a vu l'incroyable « succès, et par quels rapides degrés de mensonge, « d'art, de hardiesse démesurée d'une impudence à « trahir le roi, l'État, la vérité, jusqu'alors inouïe, « une infernale cabale, la mieux organisée qui fut jamais, effaça ce prince dans le royaume dont il « devait porter la couronne, et dans sa maison pater« nelle, jusqu'à rendre odieux et dangereux d'y dire << un mot en sa faveur. Une épreuve si étrangement « nouvelle et cruelle était bien dure à un prince qui « voyait tout réuni contre lui, et qui n'avait pour soi « que la vérité suffoquée par tous les prestiges des

«

<< magiciens de Pharaon; il la sentit dans tout son « poids, dans toute son étendue, dans toutes ses <«< pointes. Il la soutint aussi avec toute la patience, la « fermeté, et surtout avec toute la charité d'un élu « qui ne voit que Dieu en tout, qui s'humilie sous sa «< main, qui se purifie dans le creuset que cette divine « main lui présente, qui lui rend grâce de tout, qui << porte la magnanimité jusqu'à ne vouloir dire ou faire « que très précisément ce qu'il doit à l'État, à la véa rité, et qui est tellement en garde contre l'humanité << qu'il demeure bien en deçà des bornes les plus << justes et les plus saintes.

« Tant de vertu trouva enfin sa récompense dès ce a monde, et avec d'autant plus de pureté, que le «< prince, bien loin d'y contribuer, se tint encore fort «< en arrière. Ce fut alors qu'il redoubla plus que ja<< mais d'application aux choses du gouvernement, et << à s'instruire de tout ce qui pouvait l'en rendre plus <«< capable. Il bannit tout amusement de sciences pour partager son cabinet entre la prière qu'il abrégea et << l'instruction qu'il multiplia, et le dehors entre son « assiduité auprès du roi, ses soins pour Madame de

Maintenon, la bienséance et son goût pour son « épouse, et l'attention à tenir une cour, et à s'y « rendre accessible et aimable. Plus le roi l'éleva, «< plus il affecta de se tenir soumis en sa main; plus <«< il lui montra de considération et de confiance, plus « il y sut répondre par le sentiment, la sagesse, les « connaissances, surtout par une modération éloignée « de tout désir et de toute complaisance en soi-même,

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