Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

n'ont de réalité que dans l'esprit ; et la réflexion qui fait ces images, prend le nom d'imagina

tion.

>> Un jugement que je prononce peut en renfermer implicitement un autre que je ne prononce pas. Si je dis qu'un corps est pesant, je dis implicitement que si on ne le soutient pas, il tombera. Or, lorsqu'un second jugement est ainsi renfermé dans un autre, on le peut prononcer comme une suite du premier; et par cette raison, on dit qu'il en est la conséquence. On dira, par exemple, cette voûte est bien pesante; donc, si elle n'est pas assez soutenue, elle tombera. Voilà ce qu'on entend par faire un raisonnement. Ce n'est autre chose que prononcer deux jugemens de cette espèce. Il n'y a donc que des sensations dans nos raisonnemens comme dans nos jugemens.

>> Vous voyez que toutes les facultés que nous venons d'observer sont renfermées dans la faculté de sentir: l'âme acquiert par elle toutes ses connaissances; par elle, elle entend les choses qu'elle étudie, en quelque sorte, comme par l'oreille, elle entend les sons; c'est pourquoi la réunion de toutes ces facultés se nomme. entendement.

» L'entendement comprend donc l'atten

tion, la comparaison, le jugement, la réflexion, l'imagination et le raisonnement. On ne saurait s'en faire une idée plus exacte. »>

VOLONTÉ.

« En considérant nos sensations comme représentatives, nous venons d'en voir sortir toutes les facultés de l'entendement (E). Si nous les considérons comme agréables ou désagréables, nous en verrons naître toutes les facultés qu'on rapporte à la volonté.

Quoique, par souffrir, on entende pro-. prement éprouver une sensation désagréable, il est certain que la privation d'une sensation agréable, est une souffrance plus ou moins grande; mais il faut remarquer qu'être privé et manquer, ne signifient pas la même chose. On peut n'avoir jamais joui des choses dont on manque; on peut même ne pas les connaître. Il en est tout autrement des choses dont nous sommes privés: non-seulement nous les connaissons, mais encore nous sommes dans l'habitude d'en jouir, ou du moins d'imaginer le plaisir que leur jouissance peut promettre. Or, une pareille privation est une souffrance qu'on nomme plus particulièrement besoin. Avoir

besoin d'une chose c'est souffrir parce qu'on en

est privé.

>>>Cette souffrance, dans son plus faible degré, est moins une douleur qu'un état où nous ne nous trouvons pas bien, où nous ne nous trouvons pas à notre aise. Je nomme cet état malaise:

>> Le malaise nous porte à nous donner des mouvemens pour nous procurer la chose dont nous avons besoin. Nous ne pouvons donc pas rester dans un parfait repos; et par cette raison, le malaise prend le nom d'inquiétude (F). Plus nous trouvons d'obstacle à jouir, plus notre inquiétude croît et cet état peut devenir un

tourment.

» Le besoin ne trouble notre repos, ou ne produit l'inquiétude, que parce qu'il détermine les facultés du corps et de l'âme sur les objets dont la privation nous fait souffrir. Nous nous retraçons le plaisir qu'ils nous ont fait : la réflexion nous fait juger de celui qu'ils peuvent nous faire encore; l'imagination l'exagère; et pour jouir, nous nous donnons tous les mouvemens dont nous sommes capables.. Toutes nos facultés se dirigent donc sur les objets dont nous sentons le besoin; et cette direction est proprement ce que nous entendons par désir. >> Comme il est naturel de se faire une ha

bitude de jouir des choses agréables, il est naturel aussi de se faire une habitude de les désirer, et les désirs tournés en habitude se nomment passions.

» De pareils désirs sont, en quelque sorte, permanens, ou du moins, s'ils se suspendent par intervalles, ils se réveillent à la plus légère occasion. Plus ils sont vifs, plus les passions sont violentes.

>> Si, lorsque nous désirons une chose, nous jugeons que nous l'obtiendrons, alors le jugement joint au désir produit l'espérance.

>> Un autre jugement produira la volonté. C'est celui que nous portons lorsque l'expérience nous a fait une habitude de juger que nous ne devons trouver aucun obstacle à nos désirs. Je veux, signifie je désire, et rien ne peut s'opposer à mon désir, tout doit

courir.

y con

>> Telle est au propre l'acception du mot volonté; mais on est dans l'usage de lui donner une signification plus étendue; et l'on entend par volonté, une faculté qui comprend toutes les habitudes qui naissent du besoin; les désirs, les passions, l'espérance, le désespoir, la crainte, la confiance, la présomption, et plu

sieurs autres dont il est facile de se faire des idées. »

PENSÉE.

» Enfin, le mot pensée, plus général encore, comprend dans son acception toutes les facultés de l'entendement et toutes celles de la volonté.

Car, penser, c'est sentir, donner son attention, comparer, juger, réfléchir, imaginer, raisonner, désirer, avoir des passions, espérer, craindre, etc.

>> Nous avons expliqué comment les facultés de l'âme naissent successivement de la sensation; et on voit qu'elles ne sont que la sensation qui se transforme, pour devenir chacune d'elles.

[ocr errors]

Voilà, messieurs, la manière dont Condillac explique l'origine et la génération des facultés de l'âme. Toutes sont d'abord renfermées et comme enveloppées dans la faculté de sentir; et lorsqu'elles se montrent ou une à une, ou plusieurs à la fois, ce n'est jamais que la faculté de sentir qui se présente sous une seule forme ou sous plusieurs formes; en sorte que l'entendement, la volonté et la pensée, ne sont et ne peuvent être que des modes divers de la sensibilité, des manières différentes de sentir; et, pour parler sa langue, des transformations de la

sensation.

« PreviousContinue »