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aussi des facultés, des opérations, des puissances, des habitudes; en un mot, tout ce qu'il est possible de concevoir dans l'àme.

Condillac a de commun, avec un très-grand nombre de philosophes, de faire dériver les idées des sensations : ce qui lui est particulier, c'est de faire dériver les facultés de la même source.

Locke avait dit : toutes les idées viennent de la sensation ou de la réflexion. Condillac a dit : toutes les idées, et la réflexion elle-même, viennent de la sensation.

Il faut l'entendre développer sa doctrine. Cet auteur veut prouver, et croit démontrer que toutes les facultés de l'âme naissent de la sensation; qu'elles ne sont toutes que la sensation qui change de forme pour devenir chacune d'elles; à peu près, si l'on peut comparer l'ordre physique à l'ordre intellectuel, comme la glace change de forme pour devenir de l'eau, et comme l'eau change de forme lorsqu'elle se convertit en vapeur.

Je vais vous donner lecture du chapitre de sa logique, où, pour la dixième fois, il présente l'analyse des facultés de l'âme; analyse dont il est si sûr, qu'il n'y a rien en géométrie qui lui paraisse mieux démontré. Je ne sais si

vous en jugerez de même ; mais je ne serais pas faché que d'abord elle vous parût offrir les caractères de l'évidence. Les deux leçons suivantes en acquerraient plus d'intérêt.

« C'est l'âme seule qui connaît (1), parce que c'est l'âme seule qui sent; et il n'appartient qu'à elle de faire l'analyse de tout ce qui lui est connu par sensation, Cependant, comment apprendra-t-elle à se conduire, si elle ne se connaît pas elle-même, si elle ignore ses facultés ? Il faut donc qu'elle s'étudie; il faut que nous découvrions toutes les facultés dont elle est capable; mais où les découvrirons-nous, sinon dans la faculté de sentir? Certainement cette faculté enveloppe toutes celles qui peuvent venir à notre connaissance. Si ce n'est que parce que l'âme sent, que nous connaissons les objets qui sont hors d'elle, connaitrons-nous ce qui se passe en elle autrement que parce qu'elle sent (A)? Tout nous invite donc à faire l'analyse de la faculté de sentir (2). »

(1) Logique de Condillac, première partie, chap. 7. (2) Je reviendrai sur tous les passages écrits en caractère Italique, pour en faire l'examen,

ENTENDEMENT.

<< Lorsqu'une campagne s'offre à ma vue, je vois tout, d'un premier coup d'œil, et je ne discerne rien encore. Pour démêler différens objets et me faire une idée distincte de leur forme et de leur situation, il faut que j'arrête mes regards sur chacun d'eux; mais quand j'en regarde un, les autres, quoique je les voie encore, sont cependant, par rapport à moi, comme si je ne les voyais plus; et, parmi tant de sensations qui se font à la fois, il semble que je n'en éprouve qu'une, celle de l'objet sur lequel je fixe mes regards,

>> Ce regard est une action par laquelle mon œil tend à l'objet vers lequel il se dirige : par cette raison, je lui donne le nom d'attention; et il m'est évident que cette direction de l'organe est toute la part que le corps peut avoir à l'attention. Quelle est donc la part de l'âme? Une sensation que nous éprouvons comme si elle était seule, parce que toutes les autres sont comme si nous ne les éprouvions pas.

» L'attention que nous donnons à un objet, n'est donc, de la part de l'âme, que la sensation que cet objet fait sur nous (B). Sensation qui de

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vient, en quelque manière, exclusive; et cette faculté est la première que nous remarquons dans la faculté de sentir.

:

>> Comme nous donnons notre attention à un objet, nous pouvons la donner à deux à la fois alors, au lieu d'une seule sensation exclusive, nous en éprouvons deux ; et nous disons que nous les comparons, parce que nous ne les éprouvons exclusivement que pour les observer l'une à côté de l'autre, sans être distraits par d'autres sensations. Or, c'est proprement ce que signifie le mot comparer.

» La comparaison n'est donc qu'une double attention: Elle consiste dans deux sensations qu'on éprouve, comme si on les éprouvait seules, et qui excluent toutes les autres (C).

» Un objet est présent ou absent. S'il est présent, l'attention est la sensation qu'il fait sur nous : s'il est absent, l'attention est le souvenir de la sensation qu'il a faite. C'est à ce souvenir que nous devons le pouvoir d'exercer la faculté de comparer des objets absens comme des objets présens.

>> Nous ne pouvons comparer deux objets, ou éprouver, comme l'une à côté de l'autre, les deux sensations qu'ils font exclusivement sur nous, qu'aussitôt nous n'apercevions qu'ils se

ressemblent ou qu'ils diffèrent. Or, apercevoir des ressemblances ou des différences, c'est juger. Le jugement n'est donc encore que sensation (D).

» Si, par un premier jugement, je connais un rapport; pour en connaître un autre, j'ai besoin d'un second jugement. Que je veuille, par exemple, savoir en quoi deux arbres diffèrent, j'en observerai successivement la forme, la tige, les branches, les feuilles, les fruits, etc., je comparerai successivement toutes ces choses, je ferai une suite de jugemens; et, parce qu'alors mon attention réfléchit, en quelque sorte, d'un objet sur un autre, je dirai que je réfléchis.

» La réflexion n'est donc qu'une suite de jugemens qui se font par une suite de comparaisons; et, puisque dans les comparaisons et les jugemens, il n'y a que des sensations, il n'y a aussi que des sensations dans la réflexion.

par

» Lorsque, par la réflexion, on a remarqué les qualités par où les objets diffèrent, on peut, la même réflexion, rassembler dans un seul les qualités qui sont séparées dans plusieurs : c'est ainsi qu'un poëte se fait, par exemple, l'idée d'un héros qui n'a jamais existé. Alors, les idées qu'on se fait sont des images qui

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