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qu'un sentiment confus des rapports, en acquiert la perception distincte.

Enfin naît et se développe l'infinie variété des langues parlées et figurées, qui nous créent, en quelque sorte, un nouvel esprit, en nous créant de nouveaux moyens d'augmenter ses forces.

Ainsi commence, s'accroît et se perfectionne l'intelligence.

Ainsi l'homme, qui ne peut rien ou presque rien pour se donner des sensations, peut tout pour se donner des idées, puisque c'est par son activité propre et par des méthodes qui sont l'ouvrage de son esprit qu'il s'en rend le maître. Une idée était cachée dans une sensation, il la trouve ; elle était enveloppée dans une autre idée, il la découvre.

Cette méthode qui, en nous conduisant ainsi des sensations aux idées, et de ces idées à de nouvelles idées, nous montre ce que nous ignorons dans ce que nous savons ou dans ce que nous sentons; cet artifice qui fait sortir l'inconnu du connu

et le connu du senti; cette langue, sans laquelle, réduits à la simple instruction des sens, nous n'aurions jamais pu nous élever au-dessus de l'expérience; tels sont les objets, ou plutôt tel est l'objet dont je de vous entretenir.

me propose

Parce que la raison se présente d'abord sous des formes moins riantes que l'imagination, il ne faut pas croire qu'elle n'ait aussi quelque attrait: peut-être que Locke, en écrivant sur l'origine des connaissances humaines, n'éprouvait pas de moindres jouissances qe uRacine lorsqu'il composait ses admirables tragédies; peut-être aussi que plus d'un lecteur, en passant de Corneille à Bacon, a senti que le langage de la raison n'avait pas moins de richesse et moins de puissance que les accens des passions; et celui (1) qui, tout à coup, fut saisi d'un transport inconnu et d'une violente palpitation à l'ouverture d'un livre,

(1) Mallebranche.

était-il en présence d'un poëte ou d'un philosophe?

Mille expériences le prouvent ; la faculté de raisonner peut être une source de plaisirs aussi vifs que ceux qui nous viennent du sentiment, et la réflexion n'est pas plus avare de récompenses que l'imagination.

Une philosophie inattentive, d'accord avec le préjugé, regarda long-temps la raison comme une acquisition tardive de l'expérience et des progrès de l'âge. Elle n'avait pas vu que la faculté de raisonner peut se laisser deviner dès les premiers momens de notre existence. A peine l'enfant a respiré, qu'il sent des besoins et qu'il désire: or le désir, tel qu'il se manifeste aujourd'hui dans le plein développement de la vie, suppose l'action de toutes les facultés de l'esprit. Nos premiers désirs furent donc l'action de ces mêmes facultés naissantes. Car, s'il est vrai que les facultés du corps datent du moment de son organisation, il ne l'est pas moins que tou

tes les facultés de l'esprit datent du moment même où il fut créé ; qu'elles entrent en action dès les premières impressions reçues, dès les premiers sentimens éprou

vés.

Ce n'est encore, on peut le croire, qu'une ébauche tout-à-fait informe: rien n'est démêlé, rien n'est prononcé, rien n'est distinctement perçu; attention, comparaisons, raisonnemens, tout est confondu, tout échappe, mais tout existe : et lorsque ces facultés, fortifiées par l'exercice, se montreront dans toute leur puissance elles pourront bien nous déguiser leur origine, elles ne changeront pas leur nature. Pascal, proposant l'expérience du Puyde-Dôme, d'après la pesanteur connue de l'air, ne raisonnera pas autrement que Pascal au berceau, lorsqu'il tendait les bras à sa nourrice, d'après le souvenir des soins qu'il en avait reçus.

Mais, quand il raisonné et quand il pense, l'enfant ne sait pas qu'il pense et qu'il raisonne. Il ignorera ce qui se passe

au dedans de lui, tout le temps qu'entraîné au dehors par la vivacité de ses besoins, sa pensée ne se sera pas repliée sur elle-même.

Si par une fiction, que des philosophes ont confondue avec la réalité, on le réduisait à un état purement sensitif; si on le supposait privé de toute activité, et de celle qu'il exerce hors de lui, et de celle qu'il exerce sur lui-même, il continuerait sans doute à voir, à entendre, il sentirait par tous ses organes et par toutes les parties de son corps; mais, dans l'impuissance absolue de diriger ses sens, de donner son attention et de réagir sur luimême, il n'acquerrait aucune connaissance; son âme, réduite à de pures sensations qu'elle ne pourrait ni démêler, ni comparer, ni réunir, ni diviser, serait privée de toute idée, et ne prendrait jamais son rang parmi les intelligences.

Puisqu'il en est ainsi, qu'il nous soit permis de rectifier deux énoncés célèbres qui, par la manière inexacte dont ils ex

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