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Et ce mot, on le voit, n'a pas été choisi sans raison, puisque l'esprit étant obligé de commencer par la décomposition des objets dont il veut faire l'étude, la méthode est essentiellement décomposition, c'est-à-dire, analyse.

C'est donc l'analyse qui, ramenant à l'unité les idées les plus diverses qu'elle-même nous a données, fait produire à la faiblesse les effets de la force; c'est l'analyse qui sans cesse ajoute à l'intelligence, ou plutôt l'intelligence est son ouvrage, et la méthode est trouvée.

Mais, que dis-je? non, elle n'est pas trouvée; elle est tout au plus indiquée : ce n'est qu'à mesure que nous avancerons dans l'étude de la philosophie, que nous pourrons découvrir les différens artifices de l'analyse, et bien connaître les secours qu'elle nous prête. Une première notion exacte, mais bornée, sera suivie de plusieurs autres qui devront être également exactes mais moins circonscrites, jusqu'à ce que nous arrivions à une notion qui, s'il est possible, ne laisse rien à désirer.

Je termine donc ici ces réflexions; elles étaient indispensables, et elles suffisent, pour entendre les leçons qui vont suivre. De plus longs développemens eussent été prématurés;

et j'ai dû ne pas vous les donner à une première séance.

Nous allons commencer un cours de philosophie. Qu'est-ce que la philosophie ? D'après quel plan distribuerons-nous ses différentes parties?

Voilà ce qu'on voudrait savoir à l'instant, et cette curiosité paraît assez naturelle. Cependant, je demande la permission de ne pas la satisfaire encore, parce que je dois m'abstenir de parler quand je n'ai pas la certitude de pouvoir me faire entendre. Comment, en effet, pourriez-vous saisir et juger la disposition des parties d'un tout que vous ne connaissez pas

?

Si je disais que je ramène le cours de philosophie à un traité des facultés de l'âme, verriez-vous dans un simple titre l'expression abrégée de toutes les méditations des philosophes ?

Si j'ajoutais que nous étudiérons ces facultés dans leur nature, dans leurs effets, et dans leurs moyens, le premier de ces points de vue rappellerait-il à votre esprit les efforts si souvent, j'ai presque dit, si vainement répétés, pour

pénétrer ce qu'il y a de plus caché au-dedans de nous ?

Verriez-vous dans le second, tout ce que les philosophes ont compris dans leurs traités de métaphysique et de morale?

Et le troisième vous montrerait-il d'une manière évidente que c'est par la logique que nous terminerons le cours?

Et puis, sait-on en ce moment ce que c'est que logique, ce que c'est que métaphysique ?

Je ne développerai donc pas aujourd'hui le plan du cours de philosophie, mais je puis indiquer le but vers lequel il se dirige, ou du moins le but vers lequel je chercherai à le diriger.

L'esprit humain n'est pas tout entier dans Virgile ou Boileau, ni dans Tite - Live ou Tacite, ni dans Démosthène ou Bossuet, ni dans Newton ou Euler, ni même dans la réunion des poëtes, des orateurs, des historiens et des géomètres.

Interrogez les philosophes. Consultez Socrate, Platon, Descartes, Mallebranche: les réponses de ces grands hommes vous ouvriront un nouvel univers. Vous ne connaissiez que les besoins et les plaisirs des sens, ou ceux de l'imagination, ou les attraits d'une vaine curiosi

:

té ils vous ont créé de nouveaux besoins, pour vous donner de nouveaux plaisirs. Ils se sont retirés au-dedans d'eux-mêmes ; et ils ont découvert un monde rempli de merveilles que l'œil ne peut voir, mais dont les beautés ont mille fois plus de réalité que celles du monde visible. Ils ont reconnu que l'homme extérieur n'est pas tout l'homme, ni sa plus noble partie. L'esprit a été séparé de la matière les ressorts cachés qui donnent le jeu à la pensée ont été mis au jour la raison observée dans ses causes et dans ses effets a été soumise à des lois; et alors elle a pu, de connaissance en connaissance, s'élever jusqu'à un premier et unique régulateur, sans lequel l'ordre physique est impossible, et l'ordre moral une chimère.

:

Voilà quelques-unes des vérités que le genre humain doit à la philosophie. Sont-elles moins grandes, moins belles que tout ce que nous ont appris l'astronomie ou la chimie? Sontelles moins dignes d'une noble curiosité? plus étrangères à notre bonheur? Qui pourrait ne sentir que notre premier intérêt est de nous connaître nous-mêmes!

pas

On ne sera donc pas surpris qu'une étude, dont l'objet nous touche de si près, ait appelé,

dans tous les temps, les méditations d'un grand nombre d'hommes qui se sont dits philosophes; mais très-peu se sont montrés dignes d'un si beau nom.

Les uns, dominés par une imagination déréglée, n'ont enfanté que des rêves extravagans; d'autres, attachés à des sectes, n'ont vu la vérité que dans ce qui pouvait les faire triompher; presque tous, abusés par un langage qui leur était devenu familier avant la connaissance des choses, ont cru s'être fait des idées, quand ils n'avaient assemblé que des mots; et quelquesuns, il faut le dire à la honte de l'esprit humain, ont osé se proclamer sages, et ont été appelés philosophes, quand leur doctrine pervertissait la raison, sapait les fondemens des sociétés, et enlevait aux malheureux leur dernière espé

rance.

Il est donc nécessaire de faire un choix dans l'étude des philosophes, ou de ceux qu'on appelle ainsi.

Vous mettre en état de bien faire ce choix, serait un des résultats que j'ambitionnerais d'obtenir. Il faudrait que ceux qui auront suivi ces leçons, pussent à l'instant, et d'une manière infaillible, distinguer le bon du mauvais, l'excellent du médiocre ; il faudrait, par

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